De la double conscience à la triple conscience : Une réflexion inspirée de Douce Dibondo

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Après avoir achevé La charge raciale, l’ouvrage incontournable de l’écrivaine Douce Dibondo, j’ai ressenti le besoin de poser des mots sur des intuitions et des ressentis souvent diffus. Douce Dibondo est une autrice et journaliste française, militante féministe et engagée dans les luttes antiracistes. Parmi les nombreux concepts abordés dans son ouvrage, celui de la double conscience a résonné en moi. J’aimerais vous en parler, ou plutôt, vous écrire, pour poser sur le papier, enfin sur l’écran, ma réflexion concernant l’actualisation par Dibondo, et ses échos dans ma propre réflexion sur ce que j’ai voulu nommé une triple conscience.

Le concept de double conscience a été introduit par l’Afro-Américain W.E.B. Du Bois – célèbre docteur en droit, en histoire et en sociologie – dans son ouvrage Les âmes du peuple noir (édité en 1903). Il décrit le tiraillement identitaire constant que vivent les Afro-Américains dans une société racialisée. Du Bois explique que ces individus se trouvent à la croisée de deux perceptions : D’une part se voir à travers sa propre perception : Une conscience de soi ancrée dans ses valeurs, sa culture et son identité. D’autres part, se voir à travers les yeux des autres : Une perception façonnée par les préjugés, les stéréotypes et les attentes imposés par la société dominante.

Il écrit :

« C’est une sensation particulière, cette double conscience, ce sentiment permanent de se regarder à travers les yeux des autres, de mesurer son âme à l’aune d’un monde qui vous observe avec mépris et pitié. »

Cette dynamique entraîne une fragmentation identitaire et une charge émotionnelle constante. La personne doit à la fois rester fidèle à elle-même tout en naviguant dans un monde où son existence est réduite à des stéréotypes ou des catégories oppressives.

Dans La charge raciale, Douce Dibondo reprend l’idée de double conscience, mais elle l’actualise dans le contexte contemporain en l’inscrivant dans les dynamiques post-coloniales et les microagressions quotidiennes. Voici comment elle développe ce concept :

Dibondo montre que les personnes racisées vivent sous le poids permanent d’anticiper le regard de l’autre (souvent blanc). Ce regard est porteur de préjugés qui les contraignent à ajuster leur comportement pour être acceptées ou éviter des discriminations. De plus, les personnes racisées se doivent d’exercer un effort d’autorégulation constant. Cela inclut la surveillance de son langage, de ses attitudes ou encore l’adoption de rôles rassurants pour les autres. Cette posture mène souvent à une perte d’authenticité. Enfin cette double conscience engrange une dissonance intérieure permanente.L’écart entre être soi et répondre aux attentes extérieures crée une tension identitaire qui fatigue et fragilise. Dibondo qualifie cette dynamique de « charge émotionnelle et mentale », liée à l’expérience raciale dans un monde structurant ses oppressions par le racisme systémique.

Après m’être reconnu dans ses concepts, j’ai voulu explorer ce que d’autres avec écrits sur le sujet. L’autrice qui a pu pousser ce concept est Kimberlé Crenshaw, féministe afro-américaine mère de l’intersectionnalité.

Le concept de double conscience entre en résonance directe avec la théorie de l’intersectionnalité, formulée par Kimberlé Crenshaw. Celle-ci explore la manière dont les oppressions se croisent (racisme, sexisme, classisme, etc.) et produisent des expériences uniques d’exclusion.

Pour une femme racisée, par exemple, ce croisement des oppressions produit une double invisibilisation : elle peut être à la fois ignorée par les luttes féministes dominées par des femmes blanches et écartée des luttes antiracistes dirigées par des hommes racisés. Cette double exclusion peut accentuer la charge émotionnelle et rendre l’autonomie identitaire encore plus complexe.

Inspirée par ces lectures, je me suis interrogée sur la possibilité d’une triple conscience. Une personne vivant à l’intersection de plusieurs oppressions peut ressentir trois dimensions de tension identitaire :

Une conscience de soi : être authentiquement soi-même, en dehors des injonctions sociales. Je suis un être humain libre dans un pays libre et égalitaire.

Une conscience raciale : composer avec les stéréotypes liés à la race (ex. : éviter d’être perçu(e) comme menaçant ou agressif/ve en tant que personne noire). Je suis une personne de couleur.

Une conscience de genre : naviguer entre les attentes patriarcales (ex. : être féminine sans tomber dans les stéréotypes de soumission, s’affirmer sans menacer la masculinité dominante). Je suis une femme.

Cette triple conscience peut entraîne Une auto-surveillance constante entrainant pour l’individu une charge mentale raciale et de genre.

Je pense que de conscientiser l’autocensure pouvant être entrainer par cette triple conscience peut permettre de s’affranchir de ces normes sociétales. Re-penser sa condition de femme et sa condition de personne de couleur en prenant en compte les biais que nous nous infligeons à nous même est un eldorado vers une réinvention de soi-même. Remettre la conscience de soi au centre de sa conscience et se permettre de jouer de ces conscience de race et de genre au lieu de s’y sentir malgré nous piégé.

Recapiti
Franck Boris