Tribune : « Le recul de la Commission européenne sur le devoir de vigilance européen revient à affaiblir la lutte contre les abus des multinationales » - CCFD-Terre Solidaire

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Dans une tribune au « Monde », des acteurs de la lutte pour la défense de l’environnement, dont le CCFD-Terre Solidaire, alertent sur les dangers du projet de loi « Omnibus » annoncé par Ursula von der Leyen, qui menace trois piliers-clés du Green Deal européen.

Le 25 janvier 2019, le Brésil a été le théâtre d’une tragédie encore aujourd’hui impunie. En quelques minutes, l’effondrement du barrage minier de Brumadinho, géré par la société minière brésilienne Vale, libérait l’équivalent de 4 000 piscines olympiques de boues toxiques. 272 personnes perdirent la vie, des kilomètres de terres furent détruites par 12 millions de mètres cubes de résidus miniers. La rivière Paraopeba, un écosystème crucial du Brésil, était contaminée.

A l’origine de l’enfer de Brumadinho, aucune fatalité, mais de flagrantes négligences de la société exploitant le barrage. Pire, ces manquements étaient couverts par une société de certification allemande : Tüv Süd, elle-même liée par des intérêts financiers à son client. Ce drame, un parmi tant d’autres à l’échelle mondiale, devrait hanter les sphères politique et économique de l’Union européenne.

Pourtant, alors que nous commémorons les six ans de cette catastrophe, l’actualité européenne nous montre à quel point les leçons de cette tragédie n’ont pas été tirées. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé le 8 novembre 2024 vouloir simplifier trois piliers-clés du Green Deal européen. Une proposition de loi européenne dite « Omnibus » sera présentée fin février pour « simplifier » notamment la récente directive sur le devoir de vigilance des sociétés. Une telle initiative, portée par la présidente de la Commission européenne, constitue un recul inadmissible dans la lutte contre les abus des multinationales.

Contre l’impunité des acteurs économiques irresponsables

La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, adoptée en juin 2024 par l’Union européenne, était une avancée historique. La lutte contre l’impunité venait de progresser significativement. Les 27 Etats membres avaient fini par ouvrir la voie au niveau international, après que la France l’eut fait au niveau national en adoptant en 2017 la première loi mondiale sur le devoir de vigilance.

Pourtant, aujourd’hui, sous la pression des lobbies des sociétés multinationales, la France demande un report indéfini de la directive sur le devoir de vigilance. Cette position, en plus d’être inadmissible, est incompréhensible et extrêmement dangereuse à ce stade des discussions.

Affaiblir ces lois revient à abandonner des milliers de victimes potentielles partout dans le monde aux mêmes dangers qui ont coûté la vie à 272 personnes à Brumadinho. Cela signifie ignorer le cri d’alerte de Carolina de Moura, habitante de Brumadinho et défenseure de l’environnement au combat inlassable contre l’impunité du drame, qui rappelait en avril 2023 au sein de l’Assemblée nationale le besoin que chacune et chacun d’entre nous prenne sa part dans la lutte contre l’impunité des acteurs économiques irresponsables.

Rendre notre économie juste pour les peuples et la planète

Six ans après le drame de Brumadinho, qui des responsables politiques et économiques auraient le courage d’aller à la rencontre des familles des victimes, des communautés vivant dans la peur de nouveaux drames, pour leur dire que leurs droits à vivre en sécurité, dans un environnement sain et préservé, pèsent moins lourd que le besoin de « simplifier » ?

Une simplification dont l’objectif est de satisfaire des actionnaires avides de profits, des politiques frileux ou sans éthique et des consommateurs mal informés du coût humain, ainsi que pour la planète, des biens et de services dont ils profitent. Laisser se reproduire des drames comme celui du barrage de Brumadinho signerait l’effondrement de nos valeurs. Nous ne nous y résignons pas et nous appelons les femmes et les hommes, responsables politiques et économiques, à faire de même.

Plus de 400 entreprises ont d’ailleurs appelé les politiques à respecter le calendrier actuel de mise en œuvre des exigences en matière de rapports ESG (environnement, social et gouvernance). Rendre notre économie juste pour les peuples et la planète est à la portée de notre volonté. Le premier acte à poser est de ne pas toucher à la directive sur le devoir de vigilance dans le cadre de la loi « omnibus ».

Signataires :

  • Virginie Amieux, présidente du CCFD-Terre solidaire
  • Carolina de Moura, habitante de Brumadinho et membre de l’Institut Cordilheira de défense de l’environnement
  • Dominique Potier, député (PS) de Meurthe-et-Moselle

Une tribune initialement publiée dans Le Monde le 1er février 2025

Photo de couverture : Sacha Lenormand

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Lili Payant