Ideas - Batteries reconditionnées, empreinte environnementale réduite

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Des batteries réemployées

Fin 2022, vous avez créé VoltR qui fabrique des batteries bas carbone grâce au reconditionnement de batteries usagées. Comment cela fonctionne-t-il ?

Nous avons développé une activité reposant sur deux axes. Le premier consiste à proposer des services de collecte aux industriels possédant des batteries usagées afin de les récupérer, de les analyser et de les acheminer jusqu’à notre centre de traitement basé à Angers. Le second axe de notre activité concerne la revalorisation de ces batteries, ou réaffectation, selon la terminologie officielle.

Cela consiste à les démanteler pour atteindre les cellules, les composants unitaires de base des batteries. C’est à cet endroit que s’effectue véritablement le stockage de l’énergie, et c’est là que se trouvent tous les métaux critiques qui suscitent actuellement beaucoup d’attention.

Nous avons développé une technologie innovante permettant de déterminer la performance résiduelle de ces cellules et de pronostiquer leur comportement dans la durée pour une application de seconde vie donnée.

Cela nous permet ensuite de les rediriger vers une application de seconde vie appropriée et de les réassembler dans de nouveaux packs, que nous commercialisons auprès d’industriels intégrateurs fabriquant des équipements nécessitant une batterie pour fonctionner.

Il existe de forts enjeux écologiques. La cellule de lithium pèse-t-elle pour 80% dans le bilan carbone des batteries ?

C’est un chiffre à prendre avec précaution, car il est très difficile aujourd’hui d’obtenir des données précises sur l’amont de la filière. Les fabricants de batteries publient peu leurs chiffres. Cependant, cette moyenne reste une référence pertinente. Ainsi, 80% de l’empreinte carbone globale d’une batterie proviennent de la fabrication de la cellule, incluant l’extraction et le raffinage des matières premières nécessaires à sa production.

Par matières premières, on entend les métaux critiques, notamment le cobalt, le manganèse, le lithium et le graphite. En effet, ces éléments, en particulier le lithium, le nickel et le cobalt, posent d’importants enjeux environnementaux.

Et sur le plan écologique toujours, quand la cellule arrive au recyclage, lorsque la cellule atteint le stade du recyclage, vous indiquez qu’elle n’a été utilisée qu’à 20% de ses capacités ?

Exactement : l’opportunité sur laquelle repose notre approche vient du constat qu’en moyenne, une cellule considérée comme obsolète pour son application de première vie et envoyée au recyclage n’a en réalité utilisé que 20% de ses performances. Autrement dit, elle conserve encore 80% de sa capacité de stockage. Détruire ces cellules serait donc un véritable gâchis, d’autant plus que le recyclage est un procédé destructeur, énergivore et générateur d’une empreinte carbone non négligeable.

Il est donc essentiel de créer un maillon supplémentaire dans la chaîne de valeur, qui précède le recyclage : le réemploi.

Il existe plusieurs manières de réemployer une batterie, comme c’est le cas pour d’autres types de produits. Cependant, ce réemploi doit impérativement être privilégié avant le recyclage, sans pour autant s’y substituer. Un produit réemployé une, deux ou trois fois, finira toujours par atteindre un stade où il ne pourra plus être utilisé, et il sera alors recyclé. L’enjeu majeur est donc d’optimiser cette chaîne de valeur pour en maximiser l’efficacité.

L’apport de l’IA

Parlons maintenant de l’IA qui, dans ce processus, va déterminer le niveau de performance résiduelle de la cellule mais aussi d’anticiper son comportement dans une application de seconde vie, c’est bien cela ?

Pour bien comprendre, il faut repartir de la barrière technologique que nous avons levée. Le principal défi est qu’une batterie vieillit et se dégrade progressivement avec le temps et l’usage. Lorsqu’une batterie arrive en fin de première vie, il est relativement simple d’en évaluer la performance résiduelle, c’est-à-dire principalement sa capacité résiduelle et sa résistance interne. Ces paramètres peuvent être déterminés grâce à des tests de cyclage.

Cependant, connaître ces valeurs à un instant T ne suffit pas. Deux cellules issues de la même usine, de même référence et ayant été utilisées pour une même application ne se comporteront pas nécessairement de la même manière en seconde vie. Cela s’explique par le fait qu’elles n’ont pas forcément été soumises aux mêmes conditions d’utilisation en première vie. De plus, lorsque nous récupérons une batterie usagée, nous ne disposons pas d’un historique précis de son utilisation. Il est donc nécessaire de reconstituer artificiellement cette première vie pour pouvoir prédire la seconde.

Pour ce faire, nous avons développé des bases de données d’entraînement. Nous avons soumis des cellules à des cycles de vieillissement accéléré en laboratoire, en reproduisant diverses conditions d’usage. Cela nous a permis de constituer une base de données conséquente, sur laquelle repose notre intelligence artificielle.

Grâce à des modèles statistiques, nous sommes en mesure de rapprocher une cellule donnée de milliers de cellules observées auparavant et ainsi d’établir un pronostic très précis sur son comportement futur.

Quelles applications ?

J’imagine que le réemploi entraîne forcément une baisse de performance et puis qu’il peut y avoir aussi des difficultés matérielles, des restes de soudure ou des références de cellules différentes, etc. ?

Je réfute complètement l’idée de la baisse supposée et systématique des performances lorsqu’une batterie est utilisée en seconde vie ; je vais vous donner un exemple simple pour illustrer cela.

Lorsque vous achetez un smartphone, vous vous attendez à ce qu’après une charge complète durant la nuit, il fonctionne toute la journée. Mais après une ou plusieurs années d’utilisation, il se peut qu’à 17h, après une charge complète, il soit déjà déchargé. Que faites-vous alors ? Vous changez soit de smartphone, soit uniquement de batterie. Pourtant, la batterie usagée, bien qu’elle ne soit plus suffisante pour alimenter votre smartphone toute la journée, fonctionne toujours : elle permet encore une utilisation de 8h à 17h.

Nous récupérons donc ces cellules et les redirigeons vers une application de seconde vie moins exigeante en autonomie et en performance ; par exemple, un terminal de paiement électronique qui ne nécessite qu’une autonomie d’environ une heure.

C’est ce que nous appelons l’escalier des performances. Notre métier consiste à repositionner les batteries dans des usages adaptés à leurs performances résiduelles.

Une batterie qui affiche 80% de sa performance initiale sur son application de première vie peut en réalité atteindre 120% de performance sur une application de seconde vie moins exigeante. C’est là toute l’ingéniosité du processus. Ainsi, nous sommes en mesure de proposer des produits aussi performants que ceux issus de l’industrie linéaire, simplement en les réorientant vers les bonnes applications.

Qu’est-ce qu’une application de seconde vie pour une batterie ?

Aujourd’hui, nous intervenons sur deux principaux marchés. Le premier est celui de la mobilité légère, qui comprend les trottinettes, les scooters et les vélos électriques. Le second concerne les applications électroniques portables, toutes les batteries de petite puissance qui ne sont pas destinées à déplacer des biens ou des personnes. Cela inclut, par exemple, l’outillage électroportatif, les terminaux de paiement électronique, l’électroménager autonome, etc.

Notre objectif est de créer ce que nous appelons des cascades, c’est-à-dire d’associer un flux entrant de batteries usagées à un flux sortant correspondant à un nouvel usage. Ce principe est essentiel dans l’économie circulaire, et nous avons réussi à l’appliquer à de nombreux cas d’usage.

Aujourd’hui, VoltR propose une dizaine de modèles de batteries certifiées, disponibles sur le marché, qui répondent à ces différents besoins. Nous avons ainsi pu établir des correspondances précises entre les batteries récupérées et les applications adaptées à leurs performances résiduelles.

Quel impact écologique ?

Revenons à l’impact écologique. Quel est l’effet du réemploi des batteries au lithium sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? A-t-il été mesuré ?

Comme évoqué précédemment, 80% de l’empreinte carbone d’une batterie proviennent de la fabrication de la cellule. Or, chez VoltR, nous fabriquons des batteries exclusivement avec des cellules de seconde vie. Cela signifie que nous nous affranchissons, en grande partie, de cette empreinte écologique en réutilisant des cellules existantes.

Bien sûr, il s’agit d’une simplification, car notre activité de réemploi implique certains processus qu’un fabricant de batteries neuves n’a pas. Pour obtenir des chiffres précis, il est donc nécessaire de réaliser une analyse de cycle de vie (ACV). Nous sommes actuellement en train de mener cette étude afin d’établir des données fiables et consensuelles. Un panel d’experts travaille sur les hypothèses retenues, mais l’exercice n’est pas encore finalisé.

Cela étant dit, nos estimations actuelles indiquent que nous permettons d’éviter entre 70 et 80% des émissions de gaz à effet de serre.

Cependant, l’empreinte carbone n’est pas toujours l’indicateur le plus pertinent lorsqu’il s’agit des batteries. Deux autres aspects cruciaux sont à considérer :

  • L’extraction des ressources naturelles, qui entraîne une raréfaction progressive de certains matériaux essentiels.
  • La consommation d’eau, car l’industrie minière est extrêmement gourmande en eau.

Aujourd’hui, dans certaines régions du monde où l’on extrait le lithium et le cobalt, comme en République démocratique du Congo ou en Australie, la pression hydrique est une problématique majeure. Ces zones souffrent déjà d’un accès limité à l’eau, et l’extraction intensive de ces métaux ne fait qu’aggraver la situation.

Enjeux de souveraineté

Abordons maintenant les enjeux autour de la souveraineté du lithium et des batteries. Près de 95% du marché européen sont importés depuis l’Asie ?

Le chiffre clé à retenir est qu’environ neuf batteries sur dix mises sur le marché en Europe – tous secteurs confondus (véhicules électriques, mobilité douce, stockage d’énergie, électronique portable, etc.) – sont fabriquées hors de nos frontières. Il existe donc un véritable enjeu d’indépendance pour l’Europe dans cette filière extrêmement stratégique.

Recapiti
Stéphane Boucart