L’est de la République démocratique du Congo (RDC) est ravagé par trois décennies de guerres incessantes, ayant fait des millions de victimes civiles et militaires. Alors que la situation s’enlise dans une impasse militaro-politique et que la violence fait rage, qu’en est-il des populations qui aspirent à la paix et la sécurité ?
10 mars 2025. Fin janvier 2025, le Mouvement du 23 mars (M23) soutenu par le Rwanda, prend le contrôle de Goma, au Nord-Kivu, puis de Bukavu, au Sud-Kivu, en février, au terme de combats armés avec les Forces armées de la RDC (FARDC) et ses supplétifs et alliés, provoquant des déplacements forcés de populations, des exécutions extra-judiciaires, des viols et des pillages. L’aide humanitaire peine à arriver, par manque d’accès aux zones notamment.
Réapparu à la fin de l’année 2021, le M23 n’est pas le seul groupe armé à l’est : il y en aurait plus d’une centaine. Face à cette situation explosive, l’armée congolaise est renforcée par celles d’États voisins, de la région et de l’Onu. Plusieurs initiatives de paix et de médiation sont en cours. Des sanctions et pressions sont exercées sur les parties au conflit, et de nouvelles enquêtes internationales sont lancées.
La région est le théâtre de la formation, dissolution et réapparition de groupes armés depuis plus de 30 ans. Les réponses apportées depuis se ressemblent et s’enchaînent. Elles ne sont pas suffisantes : la violence perdure. La population, victime de cette tragédie, aspire profondément à la paix.
Face à cette situation, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres en RDC, l’Association africaine de défense des droits de l’Homme (Asadho), le Groupe Lotus et la Ligue des électeurs, condamnent les violations des groupes armés à l’égard des populations civiles, demandant la fin de cette spirale de violence.
À l’est de la RDC, rien de nouveau
L’est de la RDC est au cœur de la région des Grands Lacs, frontalière du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda. Région boisée, au patrimoine écologique inouï, d’une grande diversité ethnique et culturelle, riche en ressources naturelles, elle suscite les convoitises.
Depuis près de 30 ans, les populations vivent dans l’insécurité. Elles sont victimes de violences des groupes armés étrangers et congolais, ainsi que des forces gouvernementales censées les protéger. Avec à la clé, des mouvements massifs de populations : depuis janvier 2025, plus de 500 000 personnes ont été contraintes de quitter leur foyer au Nord et Sud-Kivu, en plus des 6,4 millions qui étaient déjà déplacées avant cela, selon les Nations unies.
Les cycles de violences s’enchaînent. La fuite des génocidaires au Congo en 1994 et leur poursuite par l’armée du Front patriotique rwandais (FPR) ont marqué le début des violences armées dans l’est de la RDC, qui se sont poursuivies avec le déclin du régime dictatorial de Mobutu au Zaïre et l’arrivée au pouvoir de l’Alliance des forces démocratiques de libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila à partir de 1996. [1].
La présence de forces étrangères à l’est du Congo a provoqué l’apparition de groupes armés nationaux. La mauvaise gouvernance et la corruption aux niveaux local et national a favorisé leur recrudescence, enracinant la violence et la systématisation des atteintes aux droits humains.
Depuis 30 ans, les organisations de la FIDH documentent et dénoncent les violations en RDC. Des crimes commis par l’armée du FPR en 1994 à la recherche des bourreaux du génocide, en passant par les crimes commis durant les « deux guerres du Congo » entre 1998 et 2003, et ceux des conflits plus récents à l’ouest du pays, force est de constater l’impunité qui règne.
Les groupes armés, fléau de l’est
Le M23 n’est pas nouveau. Apparu en 2012 au Nord-Kivu, il a pris la ville de Goma, avant d’être dispersé en novembre 2013 par les FARDC et les troupes de la Mission de maintien de la paix de l’Onu, la Monusco. Il est composé d’anciens miliciens tutsis congolais issus du groupe armé Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda [2], milice qui sévissait jusqu’en 2009, lorsqu’un accord de paix a été conclu avec le gouvernement congolais pour les intégrer dans l’armée du pays - le 23 mars 2009. Prétextant l’échec de cet accord, les miliciens ont fait défection, créant le M23. Parmi eux, Bosco Ntaganda arrêté et condamné par la Cour pénale internationale (CPI) en 2021 à 30 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Ituri en 2002-2003 alors qu’il commandait les Forces Patriotiques pour la Libération du Congo.
Plusieurs rapports du groupe d’experts des Nations unies sur le Congo [3] notamment, accusent le Rwanda de soutenir le M23 afin de protéger le Rwanda et les communautés Tutsis congolaises à l’est de la RDC contre les FDLR, composés d’anciens génocidaires rwandais toujours actifs dans le pays. Cette présence rwandaise à l’est de la RDC donne accès aux ressources naturelles dont regorge la région et permet d’y maintenir un climat d’insécurité. Paul Kagame est Président du Rwanda depuis 2000 : son régime tient sur la peur et les restrictions des droits et libertés, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. L’espace démocratique rwandais est quasi inexistant.
Les FARDC sont également accusés de collaborer avec les FDLR, dans leurs opérations contre des groupes armés à l’est. Le recours aux groupes armés, notamment les Wazalendo, quasi institutionnalisé par les autorités congolaises pour lutter contre le M23, notamment à travers l’intégration de ces éléments dans la Réserve de l’armée de défense (Rad) est très problématique, notamment en matière de lutte contre l’impunité pour ces mêmes groupes armés qui commettent ou ont commis des violations. En outre, l’histoire de la RDC avec les brigades intégrées au sein de l’armée n’a montré qu’un espace libre pour créer de nouveaux groupes armés, suite à des défections et alliances au gré des opportunités.
Mais le M23 n’est pas la seule menace. Plusieurs autres groupes sèment la terreur à l’est. Les ADF, groupe armé d’origine ougandaise est actif dans les provinces de l’Ituri et au Nord-Kivu. Créés en Ouganda contre le régime de Yoweri Museveni, Président depuis 1986, pour établir l’Etat islamique, les ADF agissent aujourd’hui depuis le sol congolais. Ils se sont établis à la frontière avec l’Ouganda. Qualifiés de groupe terroriste par les États-Unis pour ses liens avec Daech, ils sont connectés avec les insurgés au nord du Mozambique, les Al-Shabaab, également qualifiés de terroristes. Daech a revendiqué les attaques récentes perpétrées par les ADF les 15, 23 et 29 janvier en RDC dans le territoire de Beni au Nord-Kivu et en Ituri où des dizaines de personnes ont été tuées. Une autre attaque commise par les ADF dans le territoire de Beni a fait 35 morts et plusieurs blessé·es. Les attaques terroristes perpétrées à Kampala fin 2021 ont également été revendiquées par le même groupe.
Force est de constater la pléthore de groupes armés étrangers et plus ou moins informels opérant à l’est de la RDC et le risque d’alliance entre ces groupes à travers les provinces de l’est, qui compliquerait certainement leur neutralisation, aurait un impact négatif sur la situation des populations civiles et des dynamiques régionales.
Les réponses politiques, militaires et judiciaires régionales et internationales se multiplient : un air de déjà vu
De nouveau, des efforts de médiation pour arriver à un énième processus de paix ont été engagés par les États africains et organisations de la région (processus de Luanda / Communauté de développement des États de l’Afrique australe - SADC et processus de Nairobi / Communauté des États d’Afrique de l’Est - EAC), mais en vain. Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, réunit pour son 38e sommet le 14 février 2025, s’est prononcé sur la coordination des mécanismes africains de paix (EAC/SADC/Union africaine) en décidant de fusionner ces mécanismes.
Poussé par une résolution du Parlement européen et quelques États membres, l’Union européenne (UE) a annoncé, le 24 février, que l’accord sur les matières premières critiques avec le Rwanda sera reconsidéré en réponse au conflit dans l’est et que les consultations de l’UE avec le Rwanda en matière de défense et de sécurité ont également été suspendues. L’Union européenne avait adopté une aide de 20 millions d’euros pour le Rwanda pour financer l’intervention aux côtés des troupes mozambicaines, afin de lutter contre les insurgés dans la province de Cabo Delgado. Région où un gisement de gaz est exploité par l’entreprise française Total.
Le 21 février 2025, après plusieurs jours de blocage au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, une résolution a finalement été adoptée sur la situation en RDC, condamnant le soutien rwandais au M23, ainsi que celui des FARDC à d’autres groupes armés, dont les FDLR. Le Conseil demande le retrait immédiat du Rwanda et du M23 du territoire de la RDC, appelant les parties au conflit à résoudre le conflit par la voie diplomatique et à faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire.
Au niveau militaire, après l’échec de la force de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC) déployée en 2022 pour combattre les groupes armés dans les provinces de l’est de la RDC, en Ituri, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, c’est une force de la Communauté de développement des États de l’Afrique australe (SADC) qui y est déployée depuis décembre 2023. L’Afrique du Sud est le principal contributeur de troupes. Dotée d’un mandat offensif, elle intervient aux côtés des troupes des FARDC et de la Brigade d’intervention rapide de la Monusco.
En 2013 a été créée la Brigade d’intervention rapide (Forced Intervention Brigade – FIB en anglais) de la Monusco, dotée d’un mandat offensif sous Chapitre 7 de la Charte de l’Onu, avec un droit au recours à la force au-delà de la légitime défense. Elle comprend des contingents kényans, du Malawi, tanzaniens et sud africains. La même année, la FIB a combattu et vaincu le M23 de l’époque, aux côtés des FARDC.
La force régionale de EAC ainsi que la Monusco ont été souvent la cible de manifestations par la population congolaise, les jugeant passives et inefficaces. La Monusco, qui est en retrait progressif de la RDC, s’est retirée des provinces du Tanganyika et du Sud-Kivu.
Des divisions des armées du Burundi et de l’Ouganda sont également sur place. Suite à un accord avec la RDC en 2021, l’armée ougandaise intervient aussi près de la frontière ougandaise avec les FARDC contre les ADF. Selon un autre accord bilatéral, l’armée burundaise est présente au Sud-Kivu depuis août 2022, aux côtés des FARDC et contre les groupes armés d’origine burundaise : la Résistance pour un état de droit au Burundi (RED-Tabara) et les Forces nationales de libération (FNL).
Alors que le Burundi est engagé aux côtés des FARDC au Sud-Kivu, voyant dans l’arrivée du M23 soutenu par le Rwanda un soutien aux groupes armés qu’il combat, la position de l’Ouganda est plus ambigüe. Certes engagée aux côtés des FARDC notamment pour combattre les ADF en Ituri et au nord du Nord-Kivu, elle est aussi accusée par plusieurs sources de tirer profit de cette présence pour exploiter et acheminer des matières premières. Sa position vis-à-vis du Rwanda demeure incertaine, entre compétition et alliance, sur fond de déjà vu. Les deux pays se sont en effet alliés durant la deuxième guerre du Congo (1998/2003) à travers des groupes armés avant de s’affronter à Kisangani en 2003 ayant causé la mort de centaines de personnes et des destructions importantes.
Au niveau judiciaire, plusieurs processus sont en cours et cohabitent pour établir vérité, justice et réparations pour les victimes.
La Cour internationale de justice (CIJ), saisie par la RDC, a condamné l’État ougandais en février 2022 à verser 325 millions USD à la RDC pour l’occupation de son territoire entre 1998 et 2003 et sa responsabilité dans la mort de milliers de personnes et dans le pillage de l’or, des diamants et du bois, pendant le conflit en Ituri.
De nouveau, la RDC a aussi saisi la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, en août 2023, contre le Rwanda pour avoir violé les obligations de la Charte en soutenant le M23 et commettant des violations des droits humains. La RDC a également saisi la Cour de justice de l’EAC pour agression par le Rwanda dans l’est du pays et crimes commis par le Rwanda à travers le M23. Le procès a débuté en septembre 2024 à Arusha.
Fin novembre 2022, à Kishishe, au Nord-Kivu, 131 civil·es auraient été tué·es par le M23 selon les premiers chiffres de l’Onu, mais les chiffres du gouvernement congolais et du M23 diffèrent. En décembre 2022, suite à ce massacre, le Congo saisit la CPI. Ce n’est qu’en octobre 2024, que le Procureur de la CPI a décidé de la réactivation des enquêtes en RDC, pour les crimes commis par toutes les parties depuis janvier 2022 au Nord-Kivu. En effet, plusieurs cas pour des crimes commis en RDC ont déjà été jugés par la CPI. Lors de sa visite récente en RDC, le Procureur de la CPI a annoncé un soutien à la création d’un tribunal spécial pour juger tous les crimes commis au Congo.
En outre, une mission d’établissement des faits a été également récemment établie par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en février 2025, pour fournir une mise à jour en juin et et un rapport final en septembre, et ensuite laisser place à une commission d’enquête composée de trois expert·es indépendant·es, qui aura pour mandat de documenter les violations, préserver les preuves, identifier les responsables et fournir des rapports au Conseil des droits de l’homme à partir de 2026. Une Mission d’établissement des faits de l’UA avait également été mandatée par le Conseil de paix et de sécurité à la Commission de l’UA fin janvier, mais aucune suite ne semble pour le moment y avoir été donnée.
Là encore, c’est une impression de déjà vu. Plus de dix ans après sa publication par le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, le rapport du projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003, demeure sans suite.
Malgré les forces armées présentes, les enquêtes menées et les condamnations pour crimes internationaux, les efforts de médiation et les pressions exercées, les cycles de violence s’enchainent à l’est de la RDC et l’inquiétude domine pour le sort des populations. Les actions tardent souvent à venir et ne s’attaquent pas assez aux causes profondes des conflits. L’ampleur des crimes est telle qu’il faut redoubler d’efforts pour les traiter immédiatement.