Caroline Dekerle est la nouvelle Directrice du programme Inclusion des Personnes en Situation de Handicap au sein de France Travail. Les enjeux d’insertion au travail en général, et plus particulièrement des personnes en situation de handicap, constituent le fil conducteur de sa carrière, en région et au sein des cabinets ministériels.
En tant que conseillère auprès de Sophie Cluzel Secrétaire d’Etat aux Personnes Handicapées puis Olivier Dussopt, Ministre du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, Caroline Dekerle a porté le plan de Transformation des ESAT puis les 17 mesures emploi issues de la Conférence Nationale du Handicap d’avril 2023.
Comment le défi d’une meilleure accession à l’emploi des personnes en situation de handicap est-il envisagé au sein de France Travail ?
C.D : Le programme Inclusion des Personnes en Situation de Handicap est l’un des quinze programmes de transformation mis en place au sein de France Travail pour structurer la transformation du service public de l’emploi. Il faut y voir le signe que notre organisme perçoit le défi de l’accès et du retour à l’emploi des personnes en situation de handicap comme une priorité.
Pour progresser dans l’insertion au travail des personnes en situation de handicap, il faut certainement mieux les écouter. Or, une des demandes fondamentales est d’être traité comme tout le monde. Un demandeur d’emploi en situation de handicap est d’abord un demandeur d’emploi avant d’être une personne handicapée. C’est donc bien à l’environnement de travail de droit commun de s’adapter et non à l’inverse.
Bien sûr, certaines situations de handicap exigent des aménagements particuliers. Mais dans la plupart des cas, il n’est pas nécessaire d’adresser les personnes dans des structures dédiées « handicap » : mettre à niveau l’environnement de travail de droit commun suffit pour proposer un accueil adapté aux personnes en situation de handicap. C’est cette logique inversée que nous portons au sein du programme Handicap. Le traitement séparé doit être l’exception et non la règle.
Avec des conséquences positives très concrètes. Par exemple, imposer à un demandeur d’emploi en situation de handicap, quel que soit son handicap, de se rendre à 50 kilomètres de son domicile pour suivre une formation ; alors qu’un organisme de formation « ordinaire » peut exister à quelques minutes de son domicile et doit se mettre en capacité d’accueillir tout apprenant, quel que soit son handicap.
Le traitement séparé était souvent induit par des structures séparées. Comment suscitez-vous la convergence à l’échelle de l’organisation de France Travail ?
C.D Concrètement nous avons créé une « Team handicap » dans chacune de nos 900 agences, composées de conseillers France Travail à dominante handicap et de conseillers Cap Emploi, qui accompagnent les personnes et les employeurs avec l’agence comme Lieu Unique d’Accompagnement.
Lors de l’inscription une évaluation est menée pour déterminer quel type de conseiller est le plus adapté : ce sera un conseiller Cap Emploi de la team handicap uniquement pour les demandeurs d’emploi avec des handicaps plus lourds qui ont besoin d’être accompagnés sur le champ de la compensation de leur handicap.
Cette nouvelle organisation recueille un taux de satisfaction de l’ordre de 85 % de la part des demandeurs d’emploi en situation de handicap.
La difficulté d’accès à la formation pour les personnes en situation de handicap est un frein majeur à l’évolution positive du taux d’emploi. Quels leviers avez-vous pour faire que les choses changent dans ce contexte également ?
C.D : La nouvelle approche d’unicité de traitement concerne bien sûr tout l’environnement de l’accès au travail, dont la formation. À partir du moment où l’accueil des demandeurs d’emploi est fait au maximum selon le même circuit, il faut que les organismes de formation montent en compétence pour devenir accessibles au sens universel du terme. 80 % des handicaps sont invisibles, l’accessibilité ne doit donc pas être réduite à l’adaptation des bâtiments et des bureaux. Elle passe aussi au besoin notamment pour ces situations de handicap invisibles par des livrables adaptées, des temps de pause supplémentaires, des horaires aménagés, des heures de soutiens.
La prise en considération du handicap est d’ailleurs un des indicateurs obligatoires pour la certification Qualiopi pour les organismes qui souhaitent bénéficier de fonds publics pour les formations professionnelles qu’ils dispensent.
L’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées) a en charge la formation des référents handicap dans les centres de formation. Toutes les situations de handicap n’ont pas besoin d’un aménagement en formation. Quand un demandeur d’emploi souhaite accéder à une formation c’est au conseiller France Travail via la mobilisation de l’expertise de cap emploi qu’il revient d’évaluer le besoin de compensation pour suivre la formation. L’Agefiph interviendra alors pour prendre en charge, en sus des financements de France travail, ce besoin de compensation de la situation individuelle d’un apprenant en situation de handicap. Sur le terrain, l’amélioration de la coordination entre les différents acteurs est encore à travailler pour plus de lisibilité tant pour les personnes que pour les organismes de formation
L’enjeu est vraiment que cette égalité d’accueil et de traitement par principe se diffuse dans tous les organismes et pour tous les sujets.
Comment accélérer les choses ?
C.D : France Travail prend sa part de l’impulsion à travers ses achats de formation. Nous relançons début 2025 notre nouveau marché de formation. Nous avons mis l’accent sur l’accès des personnes en situation de handicap dans notre cahier des charges en intégrant des clauses qui garantissent que les formations achetées seront accessibles à tous.
Par exemple, certains handicaps se traduisent par une hyper-sollicitation du cerveau, qui génère une fatigabilité. Nous avons introduit en conséquence une clause qui garantit que l’organisme de formation peut décliner sa formation à temps partiel si nous le lui en passons commande. Quitte à acheter un peu plus cher.
Mais ce qui est très intéressant, c’est que d’autres publics profitent aussi de ces adaptations. Les salariés à temps partiel ou les parents isolés de jeunes enfants qui ne peuvent pas accéder à une formation si elle est à plein temps. Finalement, la transformation que nous opérons est une façon d’individualiser les approches. C’est nous tous qui en profitons.
Votre offre de service vise à la fois les personnes en situation de handicap et les structures qui les emploient. Ce qui sous-tend cette approche, c’est qu’une intégration réussie et durable ne s’envisage que si l’accompagnement est réciproque ?
C.D : D’une façon générale, sensibiliser les employeurs est en effet un incontournable pour améliorer l’insertion des personnes en situation de handicap. Accompagner les demandeurs d’emploi ne suffit pas. Il est clairement nécessaire d’accompagner les employeurs. Ceux-ci sont rarement malveillants mais très souvent parfaitement démunis.
Cela passe très simplement par la démystification du handicap. Dans la plupart des cas, il est invisible et dans bien des cas, il est apparu dans le courant de la vie professionnelle. Le handicap, c’est aussi le diabète, l’épilepsie ou une maladie chronique. Il existe une diversité de situations de handicap ; donc aucun poste n’est par principe pas compatible avec le handicap.
Nous manquons de Rôles Modèles en France pour témoigner de la compétence des personnes en situation de handicap.
Le handicap psychique est le plus difficile à appréhender. Il ne s’agit pas que les employeurs deviennent des spécialistes mais qu’ils puissent accéder aux nombreux dispositifs existants tels les plateformes départementales ‘’emploi accompagné’’, pour qu’ils ne soient pas tout seuls.
Il y a les employeurs et il y a aussi l’entourage professionnel : managers de proximité et collègues. Quelles sont selon vous les pratiques qui améliorent la qualité de vie au travail des personnes en situation de handicap ?
C.D : Nous constatons l’intérêt d’une direction générale convaincue et engagée, qui porte avec efficacité la politique d’ouverture et d’intégration. Mais cela ne suffit pas : il faut passer du temps à sensibiliser les collectifs de travail et les managers de proximité aux enjeux de l’inclusion d’un point de vue général, pour préparer le terrain à libérer la parole sur le handicap.
Les entreprises de plus de 250 salariés doivent avoir un référent handicap ; ce dernier doit dépasser la gestion des situations individuelles pour développer une vraie politique RH inclusive qui permettra ainsi à chaque collaborateur s’il en éprouve le besoin, de partager sa situation de handicap.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas de nommer son handicap mais de pouvoir partager les effets du handicap sur la mission. Pour certains collaborateurs en situation de handicap psychique, le risque est important d’être épuisé en deuxième partie de journée, tant le cerveau travaille en permanence. Il faut donc inviter son manager à confier des tâches impliquant de la concentration plutôt le matin. Créer les conditions de la confiance dans le collectif pour faire part de situations particulières permet à tout le monde d’en sortir grandi : le collaborateur qui cessera de surcompenser son handicap et recouvra une qualité de vie au travail. Mais aussi le manager qui aura progressé en individualisant son management pour s’appuie sur les talents de chacun.
Une meilleure inclusion au travail des personnes en situation de handicap est le fil conducteur de votre engagement. Voyez-vous réellement les choses changer ?
C.D : Changer le regard dans l’entreprise privée ou publique est assurément une course de fond. Pour accélérer, nous devons collectivement faire encore plus, c’est incontestable.
Mais il faut aussi savoir reconnaître les avancées sur la perception du handicap. Par exemple, le succès croissant chaque année de la journée DuoDay, qui crée un duo entre une personne en situation de handicap et un collaborateur en entreprise va dans le bon sens. Au-delà de contribuer à montrer la diversité du handicap, dans 20% des situations Duoday aboutit à des recrutements, des stages, des contrats d’apprentissage.
Il y a eu aussi je veux le croire un effet Paris 2024. Les Jeux Olympiques ont amplement démontré d’une part que le handicap ne se limite pas au fauteuil roulant et d’autre part que talent et différence ne sont pas antinomiques. Parler du handicap autrement que comme un problème est déjà une première victoire. Aux employeurs d’en tirer des conséquences dans leurs entreprises.