Objet : modification du phare classé du Créac’h et de son feu
Ouessant et Paris, le 19 mars 2025
Madame la Ministre,
La réduction de la portée du phare du Créac’h, intégralement classé au titre des monuments historiques par arrêté du 23 mai 2011, préoccupe de nombreux amis du patrimoine.
Il est en effet prévu de remplacer son feu unique, composé de huit puissants faisceaux, par quatre faisceaux de faible intensité, produits par un feu industriel standardisé. Il serait installé au-dessus des lentilles de Fresnel, bijoux de la technologie des phares, présentés comme tel à l’exposition universelle de Paris de 1937. Ces huit rayons constituent en effet la signature lumineuse du Créac’h, unique au monde, et en font le phare le plus puissant d’Europe.
Le projet en cours suppose le démontage partiel des lentilles, pourtant comprises dans le classement du phare, l’arrêté soulignant d’ailleurs son "importance historique liée à son rôle dans l’évolution des techniques d’éclairage". Il suppose aussi une modification de sa lanterne, également classée, abritant les lentilles : elle serait en grande partie obturée pour éviter que des éclats lumineux ne perturbent le nouveau signal. C’est donc, à plusieurs titres, la mutilation d’un monument historique qui est programmée.
Cette atteinte à l’intégrité physique du phare est aussi paradoxalement une régression technique. Celui-ci a pourtant été voulu comme hors norme depuis sa construction en 1863. Toujours à la pointe du progrès pour assurer la sauvegarde des navigateurs, il deviendrait un phare secondaire !
Les travaux projetés abaisseraient en effet la portée du feu - aujourd’hui de plus de 54 km - à moins de 35 km. Ils diminueraient ainsi la sécurité au sein du Dispositif de séparation de trafic au large d’Ouessant. Cette zone, stratégique pour la sécurité maritime, ne serait plus atteinte par les faisceaux, comme l’ont expliqué l’Association française des capitaines de navires - qui a participé aux côtés de l’État à la définition du rail d’Ouessant - ou VIGIPOL. Aussi, de grands navigateurs, comme Jacques Caraës, ont pris position pour défendre le phare, toute première lumière aperçue par les marins à l’approche des côtes européennes.
Ce projet est, de surcroît, en contradiction avec le programme de valorisation du musée des Phares et Balises d’Ouessant, financé par les ministères de la Culture et de la Mer, le département et la région. Situé dans l’enceinte du phare, il retrace l’histoire de la signalisation maritime et possède une collection de lentilles Fresnel unique au monde. Le maintien en fonction du feu du Créac’h s’impose d’autant plus dans ce cadre patrimonial.
La cuve à mercure du Créac’h, permettant la rotation de ses quatre lentilles de Fresnel, a suscité sa dénaturation, le ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche étant à l’origine d’une campagne de réduction du mercure dans les phares. Ce programme, devant aboutir à l’horizon de 2030, s’applique pourtant en priorité aux phares en mer, préservant les phares historiques à terre, non sujets aux mêmes risques d’ébranlement. Malgré ce cadrage raisonné, la DIRM NAMO a malheureusement étendu ses diligences au phare du Créac’h. Son classement au titre des monuments historiques et la présence d’un musée en son sein nous semblent pourtant justifier une exception, comme l’ont fait de nombreux autres pays.
La convention de Minamata sur le mercure, ratifiée par la France en juin 2017, visant à protéger la santé humaine et l’environnement contre ses effets néfastes, précise en effet que les "produits essentiels à des fins militaires et de protection civile" sont exclus de son champ d’application, exception qui profite évidemment aux phares.
Lors d’une réunion publique tenue à Ouessant, le 25 février 2025, à la demande du Conseil municipal, en présence de Mme Lydia Rolland, première adjointe, de M. Jean Gouzien, adjoint, et de Mme Mélanie Thomin, députée du Finistère, une demande générale a émergé : le projet actuel doit être abandonné, le système actuel entretenu, et une étude associant les élus, l’administration et les associations réalisée pour trouver une solution de substitution au mercure respectant l’identité du phare, classé en totalité. La représentante de la DRAC de Bretagne a toutefois émis le souhait que le démontage des lentilles soit réversible.
L’incompréhension est aujourd’hui générale, celle des associations de professionnels de la mer, des associations de défense du patrimoine, des habitants de l’île et de leurs élus, tous préoccupés par l’image de la Bretagne et de la France. Vingt élus bretons se sont joints à M. Chesnais Girard, président du Conseil régional de Bretagne et Mme Thomin, députée du Finistère, pour soutenir le conseil municipal d’Ouessant dans son opposition à l’installation du feu industriel. Ils ont adressé une lettre à Mme Pannier-Runacher le 14 mars. Mme Havet, sénatrice du Finistère, et M. Philippe Grosvalet, sénateur de Loire-Atlantique, ont chacun déposé une question écrite au ministère de la Transition écologique à ce propos. Par ailleurs, la pétition lancée fin décembre 2024 pour demander l’abandon du projet a recueilli, à ce jour, plus de 22 500 signatures.
Autorité de tutelle des monuments historiques, nous espérons votre soutien afin de protéger ce fleuron de l’histoire maritime et technique française d’une standardisation à la fois incompréhensible, régressive, coûteuse, dangereuse pour les marins et destructrice pour notre patrimoine.
Nous serions ravis de pouvoir rencontrer vos équipes à ce propos et vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.
Elisabeth Coutrot, coprésidente de l’association Ouessant Vent de Bout’
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Dossier suivi par Frédéric Hérembert, délégué de Sites & Monuments pour le Finistère
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