Saisie par le Premier ministre le 20 janvier 2025, et après avoir consacré un premier rapport* à la situation financière du système de retraites et à ses perspectives, la Cour étudie dans ce second rapport les effets des paramètres actuels du système de retraites sur la compétitivité de l’économie française ainsi que sur l’emploi. La Cour s’est efforcée de proposer des analyses détaillées par niveau de revenu et catégories socio-professionnelles, les enjeux d’équité étant au cœur du système de retraites. Elle a également placé ses travaux dans une dimension européenne, indispensable pour apprécier l’évolution de la compétitivité de l’économie française. A l’instar du premier volet de la « mission flash » sur les retraites, ce second rapport a vocation à servir de base utile à la délégation permanente des partenaires sociaux.
Une augmentation inégale du taux d’emploi des personnes âgées de plus de 60 ans à la suite des réformes des retraites
En France, le taux d’emploi des personnes âgées de 15 à 64 ans (68,4 % en 2023) a progressé pour les 55 ans et plus, mais reste, en comparaison européenne, particulièrement faible pour les hommes de 60 ans et plus. Cette augmentation du taux d’emploi, en France et dans les autres pays d’Europe, est directement liée aux réformes des retraites. La réforme des retraites de 2010 s’est ainsi traduite par une augmentation très nette de l’emploi des personnes âgées de 55 à 60 ans, malgré des disparités selon les catégories socio-professionnelles, le genre et l’état de santé. Pour les ouvriers, le recul de l’âge moyen de départ à la retraite ne s’est traduit qu’à 66 % par un allongement de la durée en emploi, contre plus de 85 % pour les professions intermédiaires et les cadres. S’agissant des femmes, la réforme des retraites de 2010 a eu des effets comparables à ceux observés pour les hommes, avec une augmentation de l’emploi après 60 ans. Cependant, cette poursuite de l’emploi s’est davantage faite à temps partiel que pour les hommes.
Dans un contexte de dégradation de la compétitivité française depuis le début des années 2000, l’impact du financement du système de retraites est ambivalent
Les effets des paramètres du système de retraites sur la compétitivité sont indirects. Le financement des dépenses de retraite explique une partie de l’évolution des coûts salariaux unitaires et donc de la compétitivité coût. Les écarts d’évolution des coûts salariaux se sont résorbés, voire inversés, par rapport à nos principaux partenaires européens, particulièrement dans le bas de l’éventail des rémunérations. Cette évolution s’observe notamment depuis 2013 et la politique de baisse du coût du travail en France. Cependant, la structure de cotisations sociales en France est atypique. Elle se caractérise par d’importants allégements de cotisations sociales au niveau du Smic et, symétriquement, par des cotisations plus élevées que chez nos partenaires sur les niveaux de salaires les plus hauts. Cette structure permet de préserver l’emploi peu qualifié en France, mais pourrait avoir un impact sur l’emploi très qualifié.
Des sujets d’équité au cœur des évolutions des systèmes de retraites
La France consacre près de 14 points de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses publiques de retraite, soit deux points et demi de plus que la moyenne de la zone euro (mais moins que l’Italie). L’écart avec l’Allemagne s’explique pour moitié par la différence de production de richesse nationale et pour moitié par les paramètres du système de retraites (niveau moyen des pensions et âge de départ à la retraite). En revanche, les différences de structures démographiques ne jouent quasiment pas dans cet écart. Tous les pays européens sont confrontés au vieillissement de leur population. Il conduit à prêter une attention particulière à l’équité intergénérationnelle des systèmes de retraites ; certains pays se fixent ainsi pour objectif une stabilité du temps passé à la retraite au cours de la vie. Les écarts persistants d’espérance de vie impliquent également de veiller à l’équité intragénérationnelle des systèmes de retraites. Ainsi, en France, l’écart d’espérance de vie à 65 ans entre les cadres et les ouvriers était de 2 deux ans pour les femmes et de 3 trois ans pour les hommes en 2020-22. Par ailleurs, l’âge moyen de départ à la retraite des retraités dont la pension est la plus faible est plus élevé que celui des retraités dont la pension est la plus élevée. Le dispositif de départ anticipé pour carrière longue n’a pas changé cette situation, car ses effets sont concentrés sur les personnes qui touchent une pension moyenne
Des mécanismes facilitant l’adaptation des paramètres des systèmes de retraite aux évolutions démographiques et économiques
Plusieurs pays ont introduit, dans la gestion de leurs systèmes de retraites, des clauses de revoyure pour que le niveau des cotisations, celui des pensions et l’âge de départ à la retraite soient, le cas échéant, ajustés en fonction de l’évolution de plusieurs indicateurs démographiques ou économiques. Ces mécanismes, comparables à celui mis en place par les partenaires sociaux pour l’évolution des retraites complémentaires (Agirc-Arrco), doivent permettre des adaptations prévisibles, progressives et concertées des systèmes de retraites aux évolutions démographiques et aux circonstances économiques, notamment lorsque
celles-ci sont défavorables. Les principaux leviers qui peuvent être mobilisés dans le cadre de ces mécanismes ont des effets différenciés sur la compétitivité et l’emploi. Une hausse des cotisations aurait un impact négatif sur l’emploi et la compétitivité, même si son ampleur peut varier selon que l’augmentation concerne les cotisations employeurs ou salariales et qu’elle cible ou non les bas salaires. À l’inverse, retarder l’âge de départ à la retraite (que ce soit par une augmentation de la durée de cotisation ou par un recul de l’âge d’ouverture des droits) aurait un impact positif sur le taux moyen d’emploi. Cependant pour les ouvriers, les personnes ayant des difficultés de santé et les femmes, le recul de l’âge de départ s’est traduit davantage par un allongement du temps passé « ni en emploi ni en retraite ». Enfin, la question de l’impact des modalités d’indexation des pensions est plus délicate : une indexation inférieure à l’inflation aurait un faible impact sur l’emploi. Cependant, ce critère d’indexation n’apparaît pas le plus adapté pour assurer un équilibre durable du système de retraites, alors qu’une indexation sur les salaires favoriserait une meilleure équité intergénérationnelle.