Rencontres Cifre 2025 : la recherche au service d’un numérique plus responsable - Cigref

Compatibilità
Salva(0)
Condividi

Retour sur les « Rencontres Cifre, la recherche en action ! » autour du thème : «L’empreinte environnementale du numérique au cœur de la recherche».

Un événement tourné vers la recherche appliquée et les enjeux environnementaux du numérique

Le 31 mars 2025, s’est tenue dans les locaux du Cigref à Paris la première édition des « Rencontres Cifre : la recherche en action ! », présidée par Xavier Guchet, professeur de philosophie, d’épistémologie et d’éthique des techniques à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC).

Cette séance, organisée par le Cigref en partenariat avec l’ANRT, a offert aux doctorants et docteurs Cifre l’occasion d’échanger avec les grands acteurs du numérique autour d’un enjeu essentiel : l’empreinte environnementale du numérique.

Trois interventions inspirantes ont mis en lumière la richesse des thèses menées en entreprise grâce au dispositif Cifre :

  • Bénédicte Kongo (IMT Atlantique / Orange) a présenté une analyse fine des impacts sociétaux, économiques et environnementaux en s’inspirant d’un cadre méthodologique holistique, le DPSIR (Driving Forces-Pressures-State-Impacts-Responses) croisant empreinte environnementale du numérique, son impact sur l’écosystème, et sa viabilité économique.
  • Adrien Berthelot (ENS Lyon / Octo Technology) a démontré comment il est possible d’évaluer de façon accélérée l’empreinte environnementale d’un système d’information, pour guider les décisions stratégiques.
  • Thibault Simon (Université de Lille / Orange Innovation) a proposé des outils pour mesurer et réduire concrètement l’empreinte des logiciels.

Ces interventions, dont voici une synthèse ci-dessous, ont permis d’éclairer le rôle essentiel des recherches partenariales dans la transition vers un numérique plus sobre, plus juste, plus responsable.

« DPSIR », un cadre méthodologique de diagnostic et d’action, par Bénédicte Kongo

Un cadre d’analyse pour relier impacts environnementaux et stratégies d’action

Bénédicte Kongo est doctorante Cifre en 1ère année de thèse à l’IMT Atlantique (École doctorale SPIN – Sciences pour l’ingénieur et le numérique), en partenariat avec Orange (Lannion). Son sujet de recherche porte sur les « Impacts environnementaux, économiques, sociaux, et sociétaux des infrastructures numériques ».

Bénédicte Kongo rappelle le contexte dans lequel nous nous situons : le numérique représente aujourd’hui 4% des émissions mondiales de carbone. Si rien n’est fait, le numérique pourrait représenter 40% des émissions mondiales d’ici à 2024 (Belkhir et Elmeligi, 2018).

Bénédicte Kongo propose dans ses travaux de recherche un cadre méthodologique qui combine évaluation (de l’empreinte environnementale du numérique) et action (pour arriver à un numérique plus soutenable).

Plusieurs normes, cadres méthodologiques existent déjà comme la norme ITU-T L.1410 ou le référentiel par catégorie de produit (RCP) des services numériques de l’ADEME. Ces méthodes se basent sur l’analyse de cycle de vie (ACV), une approche multicritère permettant d’évaluer l’empreinte environnementale d’un produit ou service tout au long de son cycle de vie, de l’extraction des matières à la fin de vie.

Mais ces référentiels se concentrent majoritairement sur le changement climatique et quelques indicateurs additionnels. L’impact sur la biodiversité par exemple est très peu pris en compte. L’ACV se concentre aussi beaucoup sur les produits et services de l’entreprise sans prendre nécessairement en compte l’ensemble des acteurs de l’écosystème concerné.

De la méthode à la transformation des écosystèmes

Bénédicte Kongo propose alors de s’inspirer du modèle DPSIR afin de prendre en compte ces différentes composantes. DPSIR signifie : Driving forces (forces motrices) ; Pressures (pressions) ; State (Etat) ; Impacts ; Responses (Réponses)

Ce modèle a été développé par l’Agence européenne pour l’environnement en 1999. Il permet une analyse systémique des relations entre la société et l’environnement. Il peut être utilisé pour éclairer la prise de décision et le passage à l’action. Ce modèle s’adressait initialement aux politiques pour adapter les politiques publiques. Mais il est aussi adapté aux entreprises car il permet :

  • D’évaluer de manière holistique l’impact environnemental d’un produit/service/projet.
  • D’évaluer les risques, opportunités et dépendances de l’entreprise par rapport à la nature.
  • De remodeler les activités de l’entreprise si nécessaire.

Le cadre DPSIR établit une série de liens de causalité. Les facteurs de pression (secteurs économiques, activités humaines) entraînent des pressions (changement d’utilisation des terres et des mers, pollution, surexploitation des espèces, changement climatique, espèces invasives), qui influencent l’état de la nature (conditions physiques, chimiques et biologiques), et génèrent des impacts sur les écosystèmes, la santé humaine et leurs fonctions. Ces éléments conduisent finalement à des réponses politiques (définition des priorités, fixation d’objectifs, indicateurs).
Dans le cadre des travaux de recherche de Bénédicte Kongo, ce modèle permettra d’évaluer l’impact de scénarios pour atteindre la neutralité carbone en entreprise ou dans la société.

L’analyse des impacts à travers le modèle DPSIR met en évidence la nécessité de l’implication de multiples acteurs dans l’évaluation de l’empreinte environnementale, soulignant ainsi l’importance d’un écosystème d’acteurs structuré et collaboratif. Face aux défis du changement climatique, une approche purement technologique ou centrée sur un seul acteur ne saurait suffire. Il est donc essentiel de favoriser une synergie entre tous les acteurs, de redéfinir l’écosystème et de renforcer les liens (nouveaux modèles d’affaires, …) qui les unissent pour une action collective plus efficace de réduction de l’empreinte environnementale.

Empreinte environnementale du numérique : quels leviers de réductions pour quelles échelles ? Par Adrien Berthelot

De l’importance des ACV (analyses de cycle de vie) et d’une évaluation multicritère

Adrien Berthelot est docteur de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon (École Doctorale Informatique et Mathématiques), et a réalisé sa thèse Cifre en partenariat avec Octo Technology et Inria, de novembre 2021 à novembre 2024.


Les travaux de recherche d’Adrien Berthelot ont porté sur l’apport de l’analyse de cycle de vie (ACV) de services numériques dans l’évaluation de l’empreinte environnementale complète d’un usage numérique. Il insiste sur la prise en compte essentiel de tout l’écosystème technique que couvrent nos usages numériques, qui peuvent être définis comme « des consommations de services reposant autant sur des terminaux individuels que sur des infrastructures de communication, calcul et stockage. »

Il insiste sur l’importance fondamentale de ne pas réduire les évaluations de l’empreinte du numérique à la seule consommation d’électricité. La prise en compte de multiples indicateurs est essentielle si l’on veut avoir une vision globale. Ils permettent d’évaluer pour tout le cycle de vie par exemple l’acidification des océans, l’utilisation de ressources en minéraux et métaux, l’utilisation de ressources fossiles, les radiations ionisantes, la consommation en eau, etc.


Les évaluations ACV permettent d’éviter les transferts d’impacts tels que :

  • Les possibles transferts géographiques, comme le fait de délocaliser des tâches sur des data centers à l’étranger;
  • Les transferts entre phases du cycle de vie : multiplier les systèmes distribués sans-fil type IoT, qui consomment moins à l’usage mais plus en fabrication ;
  • Les transferts entre les impacts eux-mêmes : déplacer des tâches de data center dans une région qui produit de l’électricité issue d’énergie verte comme le solaire ou l’éolien, mais avec la nécessité de consommer beaucoup d’eau dans une région qui peut être en stress hydrique.

Étude de cas : l’empreinte environnementale de l’IA générative

Adrien Berthelot nous a partagé deux cas d’usage permettant d’illustrer les apports de l’ACV. L’un de ces cas d’usage portait sur un service d’intelligence artificielle générative. Lorsque nous parlons de l’empreinte de l’IA, nous pensons communément à l’impact de son usage ou à son coût énergétique en termes d’apprentissage. Or, le périmètre ACV montre la complexité de bout en bout d’une véritable évaluation de l’empreinte d’un service IA générative. Ainsi une ACV dite « attributionnel » doit prendre en compte : les terminaux utilisateurs, les réseaux, l’hébergement web, une inférence faite dans un GPU d’un data center, l’entraînement du modèle, ou encore le stockage des données servant à l’entraînement.

Les résultats permettent de mieux comprendre la distribution de l’empreinte entre les différentes parties du service. Trois grands pôles ressortent sur la distribution des impacts : l’équipement, l’inférence et l’entraînement. En revanche, il n’y a pas une unique catégorie qui domine l’ensemble des impacts.
L’approche ACV fait cependant l’objet de nécessaires hypothèses. Par exemple, le taux d’utilisation actif des serveurs a dû faire l’objet d’une hypothèse chez un cloud provider qui n’occupe pas à 100% toutes ses machines. Le taux d’utilisation actif (AUR) est toujours difficile à établir. L’approche « service » fait également partie des limites de la thèse d’Adrien Berthelot, due à la complexité d’évaluation des différentes couches à prendre en compte dans les services d’IA. En effet, en plus du modèle de fondation de l’IA, s’ajoutent des coûts d’entrainement sur des données d’entreprises, et des entraînements supplémentaires dit « fine tuning » à l’échelle de l’utilisation et des sessions d’utilisation.

En conclusion, la question qui devrait se poser ne serait-elle pas désormais : comment un service numérique influence les différentes infrastructures dont il bénéfice ? On pourrait ainsi conceptualiser les différentes parties du service numérique comme des infrastructures permettant au logiciel de s’exécuter pour satisfaire le besoin de l’utilisateur. Ainsi, les terminaux et les sous-services qu’ils intègrent (le transport des données via les réseaux, le stockage ou le traitement de ces données..) peuvent être évalués comme étant en soi une partie d’une infrastructure spécialisée.
Le manuscrit de thèse d’Adrien Berthelot ainsi que l’ensemble de ses travaux sont disponibles à cette adresse : https://adrien-berthelot.fr/

L’Eco-Conception Logicielle : Estimation et Réduction de l’Empreinte Environnementale des Logiciels, par Thibault Simon

Le rôle souvent sous-estimé du logiciel

Thibault Simon est docteur de l’Université de Lille (Ecole doctorale Mathématiques, Sciences du numérique et de leurs interactions), et a réalisé sa thèse Cifre en partenariat avec Orange Innovation jusqu’en novembre 2024.
Les travaux de Thibault Simon ont porté sur le rôle du logiciel dans la croissance des impacts environnementaux du numérique. En effet, les déploiements de logiciels influent la consommation d’énergie, et le besoin de logiciels de plus en plus sophistiqués nécessite une plus grande puissance de calcul, accélérant ainsi la fabrication et le renouvellement fréquent des appareils. Il est donc nécessaire d’identifier des leviers d’action holistiques pour réduire l’empreinte environnementale des logiciels.


Thibault Simon a débuté sa présentation en rappelant la prééminence des impacts matériels des services numérique et le risque de ne considérer que la phase d’usage des logiciels dans l’évaluation de leurs impacts. Les matériaux qui constituent nos équipements numériques sont principalement d’origine primaires et doivent être minés et traités dans des infrastructures déjà existantes.


Le rôle des logiciels dans l’impact environnemental du numérique est multiple :

  • Ils participent à l’augmentation de la demande en puissance de calcul : Le développement de logiciels de plus en plus gourmands en ressources augmente la demande en matériel informatique toujours plus puissant.
  • Ils sont responsables d’une part importante de la consommation énergétique du matériel informatique (entre 4 et 8 % de la consommation énergétique mondiale).
  • Ils contribuent à accélérer le rythme de renouvellement des appareils et des infrastructures informatiques (20 % des renouvellements d’appareils en Europe sont dus à des raisons logicielles), soulignant ainsi l’interdépendance entre obsolescence logicielle et obsolescence matérielle.

La norme ITU L.1410 définit les différentes étapes d’une analyse de cycle de vie (ACV) des services numériques. Cette norme propose une évaluation à partir « d’unité fonctionnelle », c’est à dire d’un service numérique donné, et de l’analyse des différents éléments constitutifs permettant la réalisation de ce service numérique (au travers des équipements, réseaux, data centers), et en prenant en compte à la fois la phase d’usage et la phase de développement. Or aujourd’hui, les évaluations se concentrent majoritairement sur la phase d’usage des logiciels et du matériel, et au travers d’un seul critère qui est celui du changement climatique.
Quelles sont les stratégies actionnables qui peuvent être identifiées et mises en œuvre pour réduire l’impact environnemental des logiciels ?

Une boîte à outils pour modéliser et réduire l’empreinte logicielle

Dans le cadre de sa thèse, Thibault Simon a proposé un outil permettant de modéliser le cycle de vie des logiciels, considérant que nous avons besoin d’une approche commune. D’après ses travaux, les ressources qui dominent la phase d’utilisation sont les éléments de RAM, stockage et de transport des développeurs. La part la plus importante du stockage vient de la fabrication des disques. D’où l’intérêt d’une ACV . Cet élément ne serait pas apparu si on n’avait regardé que la consommation énergétique des logiciels. Cet outil est mis à disposition sur GitHub via ce lien : https://github.com/tibosmn/phd-thesis


Une fois l’évaluation faite, comment réduire les impacts concrètement ?

Thibault Simon propose un framework pour l’écoconception logiciel. L’objectif est de réduire la pression que les logiciels font peser sur les infrastructures via deux leviers : l’usage d’une part, et la fabrication des data centers, réseau, terminaux utilisateurs d’autre part. Il faut séparer le logiciel en deux dimensions : entre l’impact fonctionnel, lié à l’usage du service, et l’impact dû à l’implémentation du logiciel, lié à son développement et son architecture, afin que chacune des parties prenantes puisse trouver des leviers d’actions sur les domaines qui les concernent. Il y aura des leviers au niveau du code et de l’architecture, ou encore des leviers de performance et d’adaptation aux ressources physiques des matériels et infrastructures. Cet aspect permet d’interroger la correspondance entre les besoins et les coûts environnementaux.

©Thibault Simon, Software Ecodesign: Estimating and Reducing Software Environmental Footprint, 2024

©Thibault Simon, Software Ecodesign: Estimating and Reducing Software Environmental Footprint, 2024
En conclusion, les leviers pour réduire l’empreinte des logiciels nécessitent d’estimer un ensemble de parties et sous-parties de manière holistique. Les travaux de Thibault Simon permettent de mettre en avant différentes méthodologies d’évaluation d’impact et de proposer des outils libres pour combler les lacunes données et les incertitudes dans les modélisations, ainsi qu’un modèle conceptuel et de mesures pour guider les parties prenantes dans l’écoconception des logiciels.
La thèse de Thibault Simon est disponible via ce lien : https://inria.hal.science/tel-04875910

Conclusion : la recherche Cifre au cœur de la transformation numérique responsable


Les Rencontres Cifre 2025 ont mis en lumière la richesse des collaborations entre monde académique et entreprises autour d’un enjeu capital : faire converger innovation numérique et transition écologique.
Les travaux de Bénédicte Kongo, Adrien Berthelot et Thibault Simon montrent que des méthodes rigoureuses, alliées à des outils concrets, permettent non seulement de mieux mesurer l’impact environnemental du numérique, mais aussi d’agir efficacement à toutes les échelles.
Ces recherches illustrent le rôle structurant du dispositif Cifre pour faire émerger des solutions durables, à la croisée de la science, de l’ingénierie et de la stratégie d’entreprise.

Recapiti
Cigref