Organisé le 27 mai dernier, le débat dans l’hémicycle a mis en lumière les nombreux défis auxquels sont confrontés les territoires ruraux. La ministre déléguée Françoise Gatel a répondu à une série d’interventions des sénateurs portant sur la mobilité, l’accès aux services, l’éducation, le numérique, la fiscalité et la politique familiale. Malgré certaines avancées, les sénateurs soulignent un sentiment persistant de relégation et souhaitent une politique plus équitable et ambitieuse.
- La mobilité, un droit fondamental dans les zones rurales
De nombreuses interventions ont porté sur la mobilité en milieu rural, considérée comme une condition essentielle d’accès à l’emploi, à la formation, aux soins et à la culture. Les jeunes ruraux passent en moyenne 2 h 37 par jour dans les transports, contre 1 h 55 pour les jeunes urbains, et 69 % d’entre eux dépendent quotidiennement de la voiture.
Le réseau ferroviaire, jugé dégradé, subit des fermetures de lignes et un allongement des temps de parcours. Les élus réclament un plan ambitieux de modernisation du rail. En réponse, la Ministre a rappelé l’investissement de l’État à hauteur de 208 millions d’euros dans les contrats État-Région sur deux ans, et le gouvernement envisage le développement de lignes ferroviaires légères, adaptées aux zones peu fréquentées.
Par ailleurs, la voiture reste le moyen de transport principal, notamment en raison du manque de transports collectifs. Sur ce point, Françoise Gatel a rappelé le soutien du Gouvernement en faveur du développement du covoiturage et de l’autopartage à travers le fonds vert, doté de 90 millions d’euros sur trois ans. En 2024, ce fonds a permis de financer 225 projets locaux de mobilité durable.
Concernant l’accès au permis de conduire, les sénateurs ont rappelé l’engorgement des examens. Selon la ministre, des mesures ont été prises, telles que la création de nouveaux postes d’inspecteurs et la mobilisation d’inspecteurs retraités pour accroître le nombre d’examens disponibles.
- Le statut de l’élu rural, entre engagement et découragement
À la veille des municipales, la question du statut de l’élu local reste un enjeu majeur. Les élus des petites communes craignent que le scrutin de liste obligatoire, y compris dans les villages, n’aggrave la désaffection pour les mandats locaux. Bien que consciente de ces difficultés, la ministre a défendu ce mode de scrutin, qui permet selon elle une meilleure représentativité.
Françoise Gatel a annoncé que la proposition de loi sur le statut de l’élu local, votée à l’unanimité au Sénat, sera examinée à l’Assemblée nationale du 30 juin au 3 juillet 2025, avant de revenir devant le Sénat en septembre.
- Le très haut débit, un service essentiel à garantir pour tous
Le passage progressif à la fibre optique est essentiel pour l’égalité d’accès au numérique. Toutefois, dans certaines communes rurales, la couverture fibre est très élevée (jusqu’à 96 %), mais seuls 32 % des logements sont effectivement raccordés. Le coût des raccordements pratiqué par certains opérateurs inquiète.
Françoise Gatel a considéré que la ruralité devait bénéficier de ces technologies. La situation est inégale selon les départements. L’État a investi plus de 3,5 milliards d’euros dans le plan France Très Haut Débit. Les raccordements sont parfois complexes ; ils incombent aux opérateurs.
Elle a annoncé qu’un dispositif piloté par la Direction générale des entreprises (DGE) sera expérimenté à partir du mois de septembre sur 3 141 communes pour lesquelles la fermeture du réseau cuivre est prévue d’ici à 2027, afin d’aider au financement des travaux.
Par ailleurs, le dispositif Cohésion numérique des territoires finance les solutions de substitution hertziennes, comme le satellite, en attendant la fibre. La fermeture du réseau cuivre est soumise à de strictes conditions, dont des délais de prévenance. Des comités locaux, sous l’égide du préfet, assurent le suivi du plan de fermeture sur le territoire. Après avoir été invités par la Ministre à prendre attache avec les préfets, les sénateurs ont alerté sur les coûts prohibitifs de raccordement pratiqués par certains opérateurs et ont demandé un suivi.
- L’éducation et la culture : une offre fragilisée en milieu rural
Les zones rurales ont perdu 13 % de leurs élèves en dix ans, contre 3 % en zones urbaines. Les élus craignent que cette baisse de population scolaire entraîne la fermeture de classes et affaiblisse le tissu éducatif local. De plus, la suppression en 2025 de la dotation pour les activités périscolaires fragilise les communes rurales, qui peinent à financer ces services.
Après avoir confirmé la suppression à venir des dotations pour le périscolaire, vu le contexte budgétaire contraint, la ministre a annoncé travailler avec Élisabeth Borne pour mettre en place de projets éducatifs à travers les territoires éducatifs ruraux, avec une attention portée au périscolaire. Elle affirme qu’une école de qualité en milieu rural nécessite aussi une politique d’installation des familles et des entreprises.
- Le plan France Ruralités Revitalisation (FRR), entre espoir et frustration
Le plan FRR a été salué pour avoir élargi le soutien de l’État à 19 000 communes. Toutefois, le zonage retenu est critiqué pour son incohérence : certaines communes aux caractéristiques similaires ne bénéficient pas du même classement. Ce traitement inégal crée un sentiment d’injustice et un risque de concurrence fiscale entre territoires voisins.
En réponse, la ministre précise que 2 168 communes qui devaient sortir du dispositif ont été réintégrées jusqu’en 2027. Elle annonce qu’aucune modification ne sera faite à la carte actuelle, mais qu’une évaluation du dispositif sera menée prochainement.
- Le développement économique freiné par les rigidités administratives
De nombreux projets industriels ou d’aménagement sont bloqués par des décisions prises au niveau régional, souvent par les DREAL, sans concertation avec les préfets. Ces blocages freinent l’emploi local et le développement des entreprises.
Le Gouvernement entend renforcer les pouvoirs des préfets de département pour qu’ils deviennent les véritables chefs d’orchestre de l’action publique locale. Ils devraient pouvoir arbitrer entre les services, adapter les normes aux réalités locales, et être protégés juridiquement dans leurs décisions.
- Petite enfance : une politique à renforcer dans les zones rurales
L’accueil de la petite enfance en zone rurale est jugé insuffisant. Les maires déplorent un manque de soutien pour la création de crèches ou de maisons d’assistantes maternelles, alors que ces équipements sont indispensables pour attirer les jeunes familles.
La ministre encourage les initiatives locales, comme les microcrèches ou les maisons d’assistantes maternelles. C’est l’engagement de l’État, des départements, des CAF et des MSA.
Elle a également souligné la nécessité pour les CAF, lorsque celles-ci imposent des normes, de s’assurer que les collectivités territoriales pourront les assumer.
Enfin, elle a plaidé pour une meilleure coordination avec les CAF et a proposé qu’un représentant des élus siège dans les conseils départementaux des CAF pour défendre leurs projets.
- Fiscalité locale : un mécanisme de correction à parfaire
Le système de coefficient correcteur, mis en place après la suppression de la taxe d’habitation, est perçu comme injuste par de nombreuses communes rurales. Ainsi, dans les départements ruraux, la taxe foncière dépasse désormais en volume la taxe d’habitation supprimée. L’excédent collecté par les communes rurales est donc réaffecté à d’autres collectivités, essentiellement urbaines. Pour exemple, en Dordogne, où 498 communes sont dites surcompensées, la part de taxe foncière reversée est très élevée : 57 millions d’euros
La ministre a rappelé que le Gouvernement s’est engagé à compenser la suppression de la taxe d’habitation via une part départementale de TFPB et à assurer l’équité entre les communes à travers un coefficient correcteur.
Le Gouvernement s’efforce de s’adapter aux dynamiques des territoires, plutôt que de figer des montants pour l’éternité. Elle a considéré que la liberté des communes est préservée, puisqu’elles peuvent user de leur pouvoir de taux sans incidence sur le coefficient correcteur.
Enfin, elle a rappelé que l’État participe à la compensation à hauteur de 728 millions d’euros.
- L’accès à l’enseignement supérieur : un parcours d’obstacles pour les jeunes ruraux
Les jeunes ruraux accèdent plus difficilement à l’enseignement supérieur. L’offre post-bac reste concentrée à 77 % dans les grandes villes, et les campus connectés, bien que utiles, ne suffisent pas à enrayer les inégalités.
Le Gouvernement souhaite développer plusieurs pistes : la création de premières années de médecine en territoire rural, l’installation d’options santé dans les lycées, et la mise en place d’une première année de formation supérieure dans les lycées ruraux.
Conclusion
Les territoires ruraux sont confrontés à des difficultés multiples et structurelles : mobilité insuffisante, accès limité aux services publics, fracture numérique, contraintes fiscales, et manque d’offre éducative et culturelle. Face à ces enjeux, l’État propose des réponses ciblées mais qui restent souvent partielles.
Il ressort de ces échanges une volonté forte de redonner aux territoires ruraux leur place dans l’équilibre national, à condition de mieux coordonner les politiques publiques, de renforcer les moyens et de faire preuve d’adaptabilité. Une vision stratégique globale, fondée sur l’équité territoriale et le dialogue avec les élus locaux, semble indispensable pour revitaliser durablement la ruralité française.