Dix ans après le début de la grave crise politique qui a vu le projet démocratique s’effondrer, le Burundi entre dans une période électorale importante : élections législatives et communales le 5 juin 2025, puis sénatoriales le 23 juillet, et enfin collinaires le 25 août. Or, la question de la représentativité politique des femmes y apparaît comme un défi majeur.
Notre partenaire Tournons La Page international a participé à la rédaction d’un rapport faisant l’état des lieux de la participation politique des femmes au Burundi. Co-écrit avec le collectif Tournons La Page Burundi, ”Citoyennes, militantes, élues … mais invisibles !” analyse de manière transparente les multiples freins à leur émancipation politique : faible autonomie, poids des partis politiques, pressions culturelles et violences liées à l’engagement politique. Nous vous partageons ses principaux enseignements.
Lexique :
- Élections communales : élection des conseillers communaux ou des maires
- Élections collinaires : élection des chefs de collines, en charge des décisions concernant les communautés locales à plus petite échelle
La participation des femmes burundaises à la vie politique en 7 dates clés
1961
1962
1993
2000
2005
2015
2025
Droit de vote des femmes burundaises
Premières élections démocratiques (juin).
Début de la guerre civile burundaise (octobre, au moins 300 000 victimes).
Accords de paix d’Arusha prévoyant une représentation minimale des femmes dans les institutions politiques.
Fin de la guerre civile.
Adoption de la Constitution avec l’introduction de quotas de genre (législatives et exécutives : Sénat, Assemblée Nationale, gouvernement, ministères, … ) et accession au pouvoir du CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie)
présidentielles contestées et crise politique majeure marquée par des violences et la répression de l’opposition.
Série d’élections prévue en juin et août, avec des enjeux cruciaux pour la participation des femmes en politique.
Les femmes, grandes oubliées du paysage politique burundais ?
Comme le souligne le rapport de Tournons La Page, les femmes, bien qu’actives dans la société civile, peinent à s’imposer dans les sphères politiques de haut niveau, où elles sont encore sous-représentées.
A l’heure actuelle, les femmes occupent seulement 33% des postes de ministre. C’est encore moins dans les administrations provinciales.
Beaucoup des obstacles à la participation politique des femmes sont liés à des enjeux socio-culturels plus profonds. Le manque de soutien institutionnel ou les normes patriarcales invisibilisant les femmes dans les processus décisionnels en font par exemple partie.
Le rapport précise aussi que la société burundaise reste très marquée par l’importance de la sphère familiale, et notamment par l’idée que les filles devraient être “éduquées dans la perspective du mariage et de la maternité”. La communauté ne laisse pas non plus beaucoup de place à l’autonomisation financière des femmes.
Cet héritage patriarcal n’a pas facilité l’engagement politique des femmes burundaises et renforce au contraire les stéréotypes qui pèsent sur elles.
☞ Podcast : immersion au Burundi pour un atelier de « masculinité positive »
La propriété foncière : symbole des inégalités persistantes
La propriété foncière est un enjeu crucial pour les femmes au Burundi et un “domaine emblématique […] des discriminations” dont elles sont victimes. Dépendantes majoritairement de l’agriculture, elles sont discriminées par la coutume qui les empêchent d’hériter de leurs pères. Malgré les réformes législatives visant à garantir une certaine égalité de droits, seulement 17,7% des femmes détiennent des terres en leur nom propre. Lorsque les femmes disposent de ressources économiques et de terres, elles acquièrent non seulement de l’autonomie, mais aussi une certaine légitimité nécessaire pour participer activement à la vie politique, défendre leurs droits et influencer les politiques publiques. Cette discrimination systémique accentue la marginalisation économique des femmes et les exclue de fait des processus de décision communautaire relatifs à l’agriculture, au développement local ou à la gestion des ressources naturelles. En effet, si les femmes représentent 55,2% de la population active burundaise, le manque d’accès à la propriété foncière, une source majeure de revenu à travers la vente, la location, l’agriculture ou l’accumulation de capital, se traduit directement par une faible représentation politique.
Des textes juridiques garantissant pourtant les droits politiques des femmes
Un contexte défavorable à la participation citoyenne
Depuis l’accession au pouvoir du CNDD-FDD en 2005, et encore plus depuis la crise politique de 2015 qui a vu le président de l’époque se maintenir au pouvoir en dépit de la Constitution, le paysage politique burundais est marqué par la répression politique : arrestations des voix dissidentes, fragmentation des partis d’opposition, absence de pluralisme politique. En témoignent les poursuites judiciaires à l’encontre du parti d’opposition historique, le FRODEBU (Front pour la démocratie au Burundi) ou la persécution de figures d’opposition politique. La société civile connaît elle aussi un bâillonnement : censure de la presse et des journalistes indépendants, disparitions forcées, fermetures d’ONG sur base d’accusations de soutien à l’opposition, stricte contrôle administratif et surveillance généralisée… Dans ce contexte politique miné, les femmes sont victimes d’une violence souvent multiforme entre un système politique masculin verrouillé, un climat de violence institutionnalisée et la répression des opposants qui frappe aussi les femmes engagées.
Alors que le pays vit un moment fort de sa vie démocratique avec cette série d’élections, le rapport Citoyennes, militantes, élues … mais invisibles ! met en lumière les barrières à la participation politique des femmes burundaises et encourage une action collective pour surmonter ces inégalités.
Dans leurs recommandations, les collectifs appellent le gouvernement burundais à favoriser l’inclusion des femmes dans les processus politiques. Ils incitent également les partis politiques et les organisations de la société civile à sensibiliser sur l’égalité femmes-hommes et à lutter contre les décisions discriminatoires. On retrouve par exemple des propositions pour un quota de 50% de femmes dans les institutions politiques, des programmes d’éducation civique sur l’égalité des genres ou encore une meilleure intégration de communautés autochtones marginalisées comme les Batwas.
☞ Lire aussi :
- Au Burundi, elle lance une plateforme pour lutter contre la haine
- Laura Lemmel : Sensibiliser aux violences économiques en France et en Colombie
Photos : Patrick Piro