Seb Toussaint : les mots et les murs - VINCI Construction

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La fresque de Villetaneuse réalisée par Seb Toussaint sur le chantier de l'îlot des Poiriers 2 - © Nicolas Blscak

Comment est née, à l’été 2024, la fresque murale associée à l’îlot des Poiriers 2, un projet porté par le Crous de Créteil et réalisé par VINCI Construction à Villetaneuse ?

Seb Toussaint : Je me suis assuré, dès le début du projet, que je conserverais ma liberté, mon style et qu’on allait me faire confiance pour imaginer une œuvre qui correspondrait à ce que j’avais envie de dire. J’ai conservé le principe avec lequel je travaille partout dans le monde : celui de faire choisir un mot à mes interlocuteurs. Le terme “évolution” a été choisi par les donneurs d’ordres, la Ville en lien avec le maître d’œuvre et les équipes de Sicra Île-de-France. Ce mot est riche. Il fonctionne en français et en anglais. Il évoque autant un chantier qui évolue sans cesse, le cœur de métier de VINCI Construction, que les parcours des étudiants, dont les esprits s’éveillent et les connaissances s’enrichissent au fur et à mesure de leur formation. J’y ai trouvé du sens. D’un point de vue plus pragmatique, ce mot est composé de neuf lettres et se prêtait donc très bien à cette palissade très longue.

Quel procédé avez-vous utilisé ?

Seb Toussaint : C’était la première fois que je ne travaillais pas sur le mur lui-même mais sur DIBOND® (N.D.L.R. : panneau composite en aluminium), ce qui permet de créer en atelier, même durant l’hiver. Cette technique est intéressante car elle contourne les limites liées à la météo et à la saisonnalité du street art en extérieur. Cela ne veut pas dire qu’il ne pleut jamais l’été… Mais s’il y a une averse à midi au mois de juillet, le mur sèche rapidement, donc il est possible de continuer à peindre. En décembre, il est probable que le soleil se couche avant même que le mur ait séché, ce qui rend très difficile de prévoir des chantiers en extérieur durant l’hiver.

Vous avez l’habitude de dire qu’il faut respecter chaque mur et que l’œuvre s’adapte à son support. Lorsque vous peignez sur des façades d’immeubles, par exemple, vous utilisez les fissures, les gouttières, les fenêtres, voire la végétation comme des éléments à la fois structurants et inspirants. Ce type de support plus éphémère change-t-il votre manière de créer ?

Seb Toussaint : Le format est plus proche de celui du tableau puisque la surface est lisse, sans aspérités. En atelier, contrairement à la rue, je suis davantage dans ma bulle, plus concentré et sans interaction directe avec les passants. J’apprécie néanmoins les deux approches. J’ai l’habitude de travailler sur des supports très différents, avec des matières et des formes variables : de la toile, du bois, des murs ou encore des voitures. Par essence, dans mon métier, nous sommes très adaptables. La technique utilisée – le pinceau, l’aérosol, l’aquarelle ou la peinture digitale… – ne doit jamais être un obstacle à la création. En 2025, j’ai travaillé, une nouvelle fois avec l’équipe de Quai 36, sur un support DIBOND® similaire pour une autre palissade de chantier, dans le cadre de la réhabilitation de la villa Rozée à Sannois.

La fresque de Villetaneuse réalisée par Seb Toussaint sur le chantier de l'îlot des Poiriers 2 - © Nicolas Blscak

À Sannois, la palissade dissimulait le chantier de rénovation de l’ancien hôtel de ville, ex-musée Utrillo-Valadon. Comme à Villetaneuse, cette œuvre, La Villa, valorise des fondamentaux locaux et des éléments naturels du territoire…

Seb Toussaint : Absolument, j’ai figuré les ailes du moulin de Sannois, la vigne, le blason de la ville mais aussi des éléments architecturaux du clocheton, des ferronneries de la villa et des détails des façades que les équipes devaient restaurer. Pour Évolution, je me suis inspiré des essences d’arbres et des variétés de fleurs locales, comme les crocus ou les poiriers du parc de la Butte Pinson à Villetaneuse. Il y a aussi des nénuphars qui dialoguent avec des ballons de basket pour évoquer la vie étudiante et l’esprit d’équipe. Je ne fais jamais de croquis à l’avance, mais je cherche toujours l’équilibre entre motifs organiques et géométriques. En revanche, le choix des couleurs est plus instinctif. Je commence souvent avec la vitalité du jaune et la douceur du rose. Ici, je n’ai pas eu d’hésitations et j’ai utilisé six couleurs, notamment un vert kaki assez singulier et un violet presque lie-de-vin, avec du blanc. J’évite les palettes trop chargées.

Le mot “évolution” n’est pas lisible au premier coup d’œil. Comment avez-vous appréhendé les enjeux d’une palissade de chantier linéaire que les passants ou les usagers du tramway longent ?

Seb Toussaint : Je me pose toujours la question du regard, et j’aime que le texte découle d’une seconde lecture. De loin, la personne voit d’abord la juxtaposition d’éléments très simples, une harmonie colorée, puis elle repère une lettre, un mot, et, enfin, elle identifie les détails. Cela permet une lecture progressive, sans agressivité. D’abord, il s’agit de rendre la ville moins triste et moins terne, puis plus vivante, et, enfin, plus signifiante.

Comment avez-vous concilié votre statut d’artiste avec les contraintes du chantier ?

Seb Toussaint : Lorsque l’on m’interroge sur mon métier et que je réponds que je suis peintre, il y a toujours une hésitation… Peintre en bâtiment ? Artiste peintre ? Les deux ! Je me considère aussi comme un homme de chantier. J’ai mon casque, mes chaussures de sécurité et mon Caces (N.D.L.R. : certificat d’aptitude à la conduite en sécurité) pour les nacelles ! J’ai également un délai à respecter, un “ouvrage” à livrer et un site à rendre parfaitement propre. Je réalise une création artistique mais l’ambiance et les exigences sont celles d’un chantier, il existe un parallèle entre l’artiste que je suis et le compagnon de VINCI Construction.

Vous avez un rapport fort à l’espace urbain. Tandis que VINCI Construction a bâti de nombreux stades en France, vous avez débuté le graff au sein du Stade Malherbe Caen et du mouvement ultra du Malherbe Normandy Kop…

Seb Toussaint : J’ai grandi à Caen dans les années 1990, dans le quartier de la Grâce-de-Dieu. J’ai toujours été fasciné par les grandes villes et assez frappé par le gris des bâtiments ou des stades. Les stades du Brésil ou d’Afrique du Sud sont beaucoup plus colorés que nos infrastructures. Dans certaines villes polonaises comme Łódź ou Katowice, le street art a transformé l’image des quartiers. À Paris, le 13e arrondissement est devenu un haut lieu de l’art urbain. L’art pourrait être davantage intégré à la construction neuve, quitte à renouveler l’œuvre tous les dix ans.

Îlot des Poiriers 2, à Villetaneuse - © Nicolas Blscak

Le 14 mai 2025, vous avez participé, avec les équipes de Quai 36 et de VINCI Construction, à des ateliers s’adressant aux enfants autour de la fresque de Villetaneuse. Quel regard portez-vous sur la médiation autour de vos œuvres ?

Seb Toussaint : C’est essentiel. Quai 36 intègre souvent près de l’œuvre une plaque en guise de cartel, qui l’accompagne et explique le contexte, les inspirations… Quant aux rencontres avec les riverains et les plus jeunes, c’est toujours un moment enrichissant qui permet de déconstruire les clichés sur le street art, d’expliquer ce que l’on crée, voire de susciter des vocations. En France et partout ailleurs dans le monde, les jeunes sont curieux, enthousiastes et spontanés. J’aime qu’ils me posent des questions et qu’ils découvrent qu’il est possible de vivre de sa passion, même si ce n’est pas facile. Dans le cadre de mon projet “Share the Word”, plusieurs jeunes qui ont peint à mes côtés dans leurs quartiers sont devenus artistes à leur tour.

Ateliers avec des enfants - © Karen Assayag

Ateliers avec des enfants - © Karen Assayag

Avec le “Share the Word Project”, vous avez peint plus de 240 fresques à travers le monde en donnant la parole aux habitants des quartiers défavorisés et aux communautés marginalisées. Pourquoi ce besoin de transmission ?

Seb Toussaint : J’ai commencé ainsi en 2013. Je ne saurais être artiste sans cette dimension participative. Le “Share the Word Project” a commencé à germer dans ma tête entre 2011 et 2012, alors que je faisais, avec mes deux meilleurs amis, un tour du monde à vélo qui m’a mené dans le désert de Gobi et dans la Pampa argentine. Je travaille dans tous les pays, dans les quartiers populaires des mégalopoles ou dans des zones rurales. Je demande aux habitants de choisir un mot qui leur tient à cœur et qu’ils aimeraient partager avec le monde extérieur. Je peins ensuite ce mot sur leur maison, créant ainsi une fresque murale. L’objectif n’est pas seulement de diffuser cet art dans des zones où le street art est rare, voire inexistant. Il s’agit avant tout d’attirer l’attention sur les communautés vulnérables à travers la voix des gens.

Votre métier vous a mené dans des bidonvilles en Indonésie, dans la “jungle” de Calais ou dans des camps de réfugiés en Irak, mais aussi dans les cités de la Grande Borne à Grigny ou de la Fauconnière à Gonesse, dans des camps de Roms à Nanterre ou auprès de collégiens et de lycéens en Normandie. Quelle sera votre prochaine destination ?

Seb Toussaint : En novembre 2024, j’étais en Thaïlande, mais je ne sais pas encore ce que me réservent les mois qui arrivent. Le “Share the Word Project” est autofinancé et spontané – sauf quand il s’agit de s’installer dans des camps de réfugiés, dont l’accès est réglementé, bien entendu, de façon plus stricte. Le reste du temps, j’arrive quelque part, je me présente et je commence à peindre très vite. Il faut juste que la météo soit favorable et que mon objectif soit compris : mettre en lumière et faire entendre des communautés que l’on n’écoute jamais.

Pour aller plus loin :

En savoir plus sur le projet “Share the Word” de Seb Toussaint et sur la fresque de Villetaneuse.

Mieux connaître la maison de production d’art urbain Quai 36, et l’œuvre du peintre new-yorkais Beau Stanton dans le cadre du projet Symbiose à Bagneux, réalisé par CBC (VINCI Construction).

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