Réseaux quantiques : un grand pas vers l’internet du futur

Compatibilità
Salva(0)
Condividi

Mis à jour le 08/07/2025

Même si l’internet quantique reste encore embryonnaire, un grand pas dans sa direction vient d’être franchi avec l’approche informatique générique, développée dans le cadre du programme européen de recherche "Quantum Internet Alliance". Cette avancée, saluée par la prestigieuse revue "Nature", repose notamment sur une méthode de calculs quantiques sécurisés, mise au point par les scientifiques de QAT (Quantum Architectures, Algorithms, Applications and their Theory). Explications.

© QuTech

Une architecture intégrant une couche informatique générique

« Jusqu’ici, les démonstrations de réseaux quantiques étaient réalisées entre laboratoires via un support en fibres optiques où transitent des photons, dédié à une tâche unique : l’expérimentation, affirme Harold Ollivier, responsable de QAT (Département d'Informatique de l'ENS–PSL, CNRS, Inria). Ensemble, nous avons passé un cap en construisant un vrai prototype de réseau quantique, doté d’une architecture intégrant une couche informatique générique, appelée QnodeOS. » 

Ainsi, ce système dépasse le cadre expérimental en laboratoire en introduisant une couche plus universelle, indépendante de la plateforme utilisée, avec même à terme une certaine interopérabilité. Cette architecture représente un socle essentiel pour la programmation des réseaux quantiques. Elle pose les bases de futurs protocoles réseaux  quantiques, ouvrant la voie à leur démocratisation dans la communauté scientifique. « Ce qui rend cette avancée importante, c’est sa capacité d’extension, souligne Harold Ollivier. Potentiellement, on pourra ajouter des nœuds supplémentaires au réseau sans modifier la couche informatique. »

Des réseaux quantiques pour connecter les ordinateurs

L’informatique quantique vise à encoder et manipuler l’information directement dans des objets physiques soumis aux lois de la mécanique quantique. Pour certaines opérations impossibles à résoudre avec des ordinateurs classiques, elle promet une puissance de calcul inégalée. 

Et comme pour l’informatique classique, les chercheurs envisagent des ordinateurs quantiques accessibles à distance. « On n’imagine plus réaliser des calculs à partir de ses propres machines installées dans le sous-sol de son bâtiment, comme dans les années 1950 ou 1960, plaisante Harold Ollivier. Les ressources de calcul sont externalisées dans les data centers. » Les ordinateurs quantiques n’échapperont pas à cette logique, d’autant plus que la distribution des tâches quantiques entre plusieurs machines en réseau pourrait démultiplier les performances. 

Architecture du QNodeOS : ce schéma, issu de la publication Nature (figure 2B), montre comment QNodeOS, l'architecture conçue pour exécuter des applications de réseau quantique, est concrètement déployée sur du matériel. Le CNPU (ordinateur classique) gère la logique classique et soumet les tâches quantiques à la QNPU (système embarqué). La QNPU, fonctionnant sur un système embarqué, interprète ces tâches quantiques et contrôle le QDevice (l'unité matérielle quantique). La station d'héralding facilite la création d'intrication entre les qubits des deux nœuds, élément fondamental pour les applications de réseau quantique.

Préserver confidentialité et intégrité des calculs, un challenge crucial

Toutefois, interconnecter ces ordinateurs soulève un défi : comment protéger la confidentialité et l’intégrité des calculs réalisés lorsqu’ils circulent entre des machines quantiques éloignées, surtout dans des domaines sensibles comme la santé ou la défense ? C’est là que l’expertise des scientifiques de QAT entre en jeu. Leur spécialité ? Explorer des architectures alternatives au modèle quantique dominant. Par exemple, les scientifiques étudient des systèmes utilisant des variables continues plutôt que discrètes. L’objectif est de découvrir des avantages pratiques ou théoriques liés à ces architectures alternatives, notamment pour le calcul sécurisé.

Forte de cette expertise, les membres de QAT sont parvenus à concevoir des protocoles de calculs sécurisés adaptés aux contraintes des réseaux quantiques. Une prouesse dévoilée dans l’article publié par Nature. « Il existe des solutions pour garantir confidentialité et intégrité pour les calculs classiques, note le responsable de QAT. Pour le quantique, tout doit être réinventé. » Avec en plus une question en toile de fond : peut-on faire confiance à un fournisseur externe du réseau quantique dans ce domaine ? 

Mêler calculs réels et calculs tests

QAT a alors fourni des protocoles de calcul sécurisés pour valider le fonctionnement de l’architecture logicielle QnodeOS. Comment ont-ils procédé ? « Nous avons développé des protocoles plus malléables que ceux qui existaient jusqu’à présent, décrit Harold Ollivier, ce qui nous a permis de les adapter aux contraintes fortes des calculs quantiques. » 

Surtout, les membres de QAT ont mis au point une solution ingénieuse pour que ces protocoles soient sécurisés : soumettre à la machine un mix de calculs réels auxquels elle doit répondre et de calculs tests dont le résultat est déjà connu. 

Si la machine réussit les calculs tests, on peut seulement supposer qu’elle en fait de même avec les calculs réels, explique Harold Ollivier. Pour en être sûr, la nature des calculs est en fait dissimulée au fournisseur externe grâce à une technique appelée "blinding", qui empêche de distinguer les vrais calculs des tests. Concrètement, on change le système de référence de façon aléatoire à chaque calcul. Autrement dit, c’est comme si je vous donnais des instructions de navigation en changeant à chaque virage la position du Pôle Nord. 

Un programme européen pour développer les réseaux quantiques

Aux yeux d’Harold Ollivier, l’article de Nature représente la publication la plus significative du projet européen Quantum Internet Alliance, dans lequel cette recherche s’inscrit. Doté d’un budget de 25 millions d’euros, ce projet regroupe au total 42 partenaires. 

C’est un bel exemple de coordination de recherche nécessaire pour faire émerger les infrastructures quantiques du futur, conclut le chercheur. Néanmoins, il convient de poursuivre les travaux et encourager l’investissement public dans les réseaux quantiques. Il nous reste à passer à l’échelle, à étendre ce que nous avons réalisé sur quelques qubits à des millions de qubits en optimisant le système. Théoriquement, c’est possible !

Harold Ollivier, un pionnier du quantique au parcours atypique

Chez Inria, Harold Ollivier fait figure de précurseur : c’est l’un des premiers à explorer les enjeux de l’informatique quantique dès 2001, dans le cadre de sa thèse au sein de l’institut. Il l'avait initiée en 2000, au Laboratoire national de Los Alamos (États-Unis), où il a mené des recherches dans une équipe pionnière du traitement de l’information quantique dirigée par Wojciech Hubert Zurek, Emanuel Knill et Raymond Laflamme. Ici, la théorie se mêle à l’expérimentation. Il effectue ensuite un postdoctorat au Perimeter Institute et à l’Institut for Quantum Computing à Waterloo, au Canada.

À mi-parcours de son postdoctorat, en 2006, changement de cap : Harold Ollivier met temporairement la recherche entre parenthèses pour intégrer la Direction générale des entreprises au ministère des Finances en France, où il est alors chargé de mission pour le financement de l’innovation. Deux ans après, il participe à la création et prend la direction de l’Institut Louis Bachelier, qui applique les mathématiques aux marchés financiers et favorise le développement durable en économie et finance. En 2009, il rejoint le fonds d’investissement en capital risque UI investissement, avant de cofonder la banque d’affaires Adviso Partners en 2015 puis la startup Dealsights en 2017. 

En 2019, il revient à la recherche, d’abord au CNRS, puis de retour chez Inria en 2021, où il devient directeur scientifique adjoint pour les technologies quantiques. En parallèle, il lance et dirige une équipe dédiée à l’informatique quantique : QAT.

En savoir plus

Pour les experts :

Recapiti
Inria