Au Rwanda, les femmes sèment l’avenir - CCFD-Terre Solidaire

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Dans le nord-ouest du Rwanda, des paysannes, soutenues et formées par l’ONG Acord Rwanda, adoptent des pratiques agroécologiques pour restaurer la fertilité des sols et améliorer leur quotidien. Par le réemploi de techniques traditionnelles, elles développent des solutions face à la dégradation des terres et aux défis du changement climatique. De quoi contribuer à l’émergence d’une agriculture plus résiliente, avec les femmes aux avant-postes. 

Une fierté évidente éclaire leur visage, redresse leur corps. Les arbres fruitiers – pruniers, avocatiers, goyaviers – qu’elles plantent ici leur survivront, et réparent déjà un paysage abîmé. Un après-midi par semaine, Marie-Irène et ses amies du forum social, groupe de solidarité à l’échelle du village qui organise de petits crédits et des mutuelles informelles, se retrouvent pour tresser des pots biodégradables en écorce de bambou pour les plants de leur pépinière. Une technique ancestrale remise au goût du jour. Elles le savent : l’agroforesterie, technique impulsée par l’ONG Acord Rwanda, soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, qui mêle arbres, cultures vivrières et animaux sur un même terrain, atténuera les conséquences du changement climatique. « Nous avons été victimes d’inondations, de glissements de terrain. Sur les champs à flanc de montagne, devenus quasi stériles, on ne cultive plus grand-chose », déplore Marie-Irène.

Nous sommes au Rwanda, secteur de Muko, à quelques minutes en voiture de la grosse ville de Musanze, au nord-ouest du si justement nommé « Pays des mille collines ».

Dans ce parc national, au creux d’un paysage spectaculaire et intense, à cheval entre Rwanda, Congo et Ouganda, la chaîne de volcans majestueux, dont le plus haut sommet culmine à 4 500 mètres, sanctuaire des célèbres gorilles de montagne aux dos argentés, veille sur un paysage agreste. Cette terre rouge et vert vif est un patchwork coloré de minuscules parcelles luxuriantes où fourmillent par milliers les paysans.

Cartographie Afdec

Intrants

Ici, au Rwanda, pays le plus densément peuplé du continent avec ses 13,2 millions d’habitants1 sur un territoire plus petit que la Belgique, 70 %*2 de la population vit de l’agriculture. Au cœur de cet océan de collines moutonnantes, tout pousse. En 2007, pour subvenir aux besoins d’une population toujours croissante, le gouvernement de Paul Kagame a mis en place un programme d’intensification agricole, qui priorise six cultures : maïs, blé, manioc, haricot, pomme de terre, riz. Avec, pour corollaire, un recours massif aux intrants et aux engrais chimiques, déjà utilisés depuis les années 1980 dans cette région.

« C’est flagrant dans cette zone du nord du pays, particulièrement dense, explique Vedaste Mwenende, chargé de suivi évaluation et apprentissage pour Acord Rwanda, ce jour sur le terrain, aux côtés de l’agronome Immaculée Dushimimana pour dispenser ses conseils aux paysannes accompagnées. Dans d’autres régions, plus lâches, la terre peut être mise en jachère. Ici, surexploitée depuis des années, elle n’a pas l’occasion de se régénérer de façon naturelle. » À ses côtés, une autre Immaculée, 62 ans, affairée à nourrir ses porcelets, confirme : « Nous avons commencé à percevoir les effets néfastes au fil des ans ; la terre ne peut plus fournir. Pour obtenir une rentabilité correcte, nous sommes obligées de doubler les intrants, ce qui représente un énorme coût. »

13,2 millions d’habitants

Sur un territoire plus petit que la Belgique

70 %

de la population vit de l’agriculture

Autour de leur pot biodégradable, Marie-Irène et ses amies l’affirment. Depuis qu’elles appliquent les recommandations d’Acord et réadoptent les savoir-faire traditionnels, leurs productions, dont les surplus sont vendus sur les marchés locaux, ont bien meilleur goût. Et leur alimentation s’en trouve plus saine, plus diversifiée. Car si le Rwanda, cette « Suisse de l’Afrique », révèle une solide croissance économique (+8,9 % d’augmentation du PIB en 20243), le pays affichait tout de même en 2020 un taux de retard de croissance (malnutrition chronique) de 33 %6 chez les enfants de moins de 5 ans, dû à une absence de variété dans l’alimentation.  

Et voici pourquoi Acord, ONG internationale créée en 1976 pour répondre à l’urgence des famines dans le Sahel, a décidé, dans sa branche rwandaise, de cibler son activité depuis cinq ans, autour de l’agroécologie. « Il s’agit d’une solution aux problématiques des paysans, face à la diminution de la fertilité des sols, éclaire Vedaste. Le dérèglement climatique, les pluies durant la petite saison sèche, l’aridité qui se prolonge, les vents, les foudres, font subir aux cultures des dommages irrémédiables. D’autant qu’elles se situent ici sur des pentes abruptes. »Ainsi, depuis cinq ans, Acord agit dans deux districts (Musanze et Ngororero, province de l’Ouest), et touche près de 1 100 bénéficiaires directs.

« Les femmes subissent le plus le changement climatique : elles sont plus exposées aux catastrophes naturelles par leur rôle dans le foyer (…) Mais pour nous, elles sont aussi la solution »


Fortunée Twiyubahe, responsable du programme FACE pour Acord Rwanda

Solution

Sur le terrain, par l’intermédiaire, entre autres, de Vedaste, l’ONG fournit des conseils, exhume des savoir-faire traditionnels, procure du matériel (brouettes, arrosoirs, tridents, etc.), des cochons. Et surtout, pour ses actions, Acord Rwanda, l’un des instigateurs, dans ce pays, de FACE, programme cofinancé par l’AFD qui lie genre et climat – 2 500 femmes concernées à travers plusieurs organisations –, se repose principalement sur les paysannes. Responsable de cette initiative pour Acord, Fortunée Twiyubahe explique : « Les hommes travaillent essentiellement dans l’agriculture de rente : café, thé, banane. À l’inverse, les femmes officient dans la culture vivrière. Ce sont elles qui façonnent le paysage. Après 1994, le génocide a laissé bon nombre de femmes cheffes de famille (maris morts ou emprisonnés). Ce sont elles qui subissent le plus le changement climatique : elles sont plus exposées aux catastrophes naturelles par leur rôle dans le foyer, assignées à aller chercher des ressources premières comme le bois et l’eau, plus sujettes à la malnutrition, au manque d’hygiène. Mais pour nous, elles sont aussi la solution. »

Autour de Marie-Irène, les femmes de la pépinière témoignent ainsi d’une dignité retrouvée. Et les langues se délient : « Nos hommes préfèrent chercher des solutions en ville. Nous, nous les trouvons ici. Auparavant, les femmes rwandaises n’étaient même pas capables d’ouvrir un compte en banque. Aujourd’hui, nous prodiguons des conseils à nos maris. » Juste à côté, autour de la costaude Marie-Claire, cheveux ras et regard doux, une autre bande de femmes s’attelle à la délicate technique du paillage, ce processus de recouvrement de la terre arable avec du matériel végétal (bambou, tige de maïs, herbe, brindille), dans un champ de pruniers. « C’est une manière de garder l’humus, de préserver les vers de terre, de protéger le sol de l’érosion », explique-t-elle. « Nous utilisons encore un peu d’engrais, mais l’objectif, c’est de s’en passer l’an prochain », affirme-t-elle. Car tous ces produits peuvent provoquer le cancer, redoutent-elles.

Avec Vedaste, nous nous dirigeons dans la demeure d’une « championne », sise sur les contreforts du splendide volcan Karisimbi. Elle s’appelle Joséphine et son petit jardin odorant, à étages, ressemble à un éden, miracle de biodiversité, d’intelligence et de gourmandise, où tout pousse. Joséphine, excellente élève, a tout mis en pratique, au-delà même des apprentissages. Les sels minéraux, le ruissellement, le fumier, les éléments nutritifs. Elle creuse, trouve des solutions, observe la nature, en tire ses conclusions. Et consigne le tout dans son grand cahier : ce que lui rapportent ses ventes au marché, dans un pays où émerge le goût du bio, combien lui coûtent ses journaliers, ses plantations… Dans son entourage, elle diffuse la bonne parole de l’agroécologie, et donne ses récoltes aux voisins qu’elle apprécie. D’ailleurs, ce jour, Vedaste repartira à Kigali avec deux énormes courgettes. Le goût d’une terre traitée avec amour.

Le bonheur est dans le compost 
De loin, on entend leurs chants, leurs cris, leurs rires tapageurs. Toute une joie turbulente ! Les voici : une grosse vingtaine de personnes, dont une large majorité de femmes, s’active autour d’un énorme pavé, d’allure végétale, d’environ deux mètres de haut, qui ne cesse de croître. Une poignée d’hommes grimpent sur la structure et la piétinent pieds nus avec acharnement pour la compacter. Il s’agit du compost réalisé par la communauté pour Katarina, paysanne robuste, visage rond et solaire, de 60 ans. La recette est simple : plusieurs couches pour ce millefeuille voué à la décomposition – cendre, terre, herbes sèches et non sèches, plantes riches en minéraux, fumier et urine d’animaux. Toutes les matières premières ont été apportées par chacun des membres de cette joyeuse troupe. Au sein du forum, chacun bénéficie à tour de rôle de son compost fabriqué par la bande. Ce jour, Katarina ne boude pas sa joie face à cet engouement, ce travail collectif, et sa future manne, à utiliser dans deux ou trois mois. « J’ai rejoint le forum il y a à peine un an. J’étais très solitaire, et désormais j’ai regagné un peu de joie de vivre, dit-elle. Auparavant, j’utilisais uniquement le fumier de mes animaux. Maintenant, je vois bien que ce mélange est de meilleure qualité pour mon sol. J’ai envie de participer à toutes les activités proposées par Acord. » Au pied du compost à présent terminé, Vedaste ne cache pas sa fierté. En un long discours ému, il félicite tous les protagonistes.

Anne-Laure Lemancel 

1 – Source Institut national de la statistique du Rwanda (INSR) chiffres 2023 alpha.statistics.gov.rw

2 – Source Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

3 – Source INSR chiffres 2024.

Recapiti
Mathieu Lopes