Un Comité des Nations unies reconnaît les défaillances de l'État mexicain dans la protection des femmes

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Le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s’est appuyé sur les rapports et les recommandations de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et de ses organisations membres et partenaires au Mexique. L’aboutissement d’un important travail d’enquête et de plaidoyer en faveur des droits des femmes de ce pays. En 2024 au Mexique, 3 601 femmes ont été portées disparues, un chiffre jamais atteint correspondant à une hausse de plus de 40 % par rapport à l’année précédente.

18 août 2025. La 91e session du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (acronyme en anglais Cedaw) s’est tenue du 16 juin au 4 juillet 2025 à Genève. Les expert·es du Comité y ont conduit l’examen du rapport soumis par le Mexique au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. De nombreuses organisations de la société civile s’étaient réunies lors de cette session, dont la FIDH avec une de ses organisations membres au Mexique, Idheas Litigio Estratégico en Derechos Humanos, spécialiste en litiges stratégiques en droits humains, ainsi que leur partenaire, l’Equipe mexicaine d’anthropologie judiciaire (Emaf), spécialiste en anthropologie médico-légale. Du 16 au 19 juin 2025, les trois organisations ont participé à la session afin d’attirer l’attention des expert·es du Comité sur le caractère généralisé des disparitions de femmes et de filles au Mexique et leur lien avec d’autres crimes graves, tels que les féminicides et la traite, et de maintenir cette question à l’agenda des expert·es.

En amont de l’examen du Mexique par le Comité, les organisations Idheas, Emaf et la FIDH avaient conjointement soumis un rapport alternatif, basé sur leurs travaux de documentation et d’analyse. Ce rapport avait pour but de fournir au Comité des informations sur le phénomène des disparitions de femmes et de filles au Mexique et d’analyser les violations de la part des autorités mexicaines.

Les observations finales du Comité, publiées le 7 juillet 2025, ont reflété plusieurs éléments développés dans les rapports d’enquête et d’analyse produits par la FIDH, Idheas et Emaf. En particulier, le rapport alternatif soumis au Cedaw (2025), qui traitait des violations de la part des autorités mexicaines en ce qui concerne les disparitions de femmes et de filles. Le rapport « Qui nous recherche ? Qui se soucie de nous ?  » (2024) sur les disparitions de femmes et de filles liées à la traite des êtres humains dans l’État de Mexico, et le rapport Guerrero (2023), sur la disparition de filles et de femmes dans cet État ont tous deux été repris.

Depuis de nombreuses années, les organisations alertent sur la recrudescence alarmante des violences basées sur le genre au Mexique, en particulier des disparitions. Cette tendance n’est pas récente : depuis 2007, de nombreux États fédérés ont enregistré des niveaux historiquement élevés de disparitions de femmes et de filles. Ces dernières années, cette augmentation s’est intensifiée de manière particulièrement préoccupante. En 2024, 3 601 femmes ont été portées disparues, un chiffre jamais atteint dans l’histoire du Mexique, correspondant à une hausse de plus de 40 % par rapport à l’année précédente. Ces constats confirment pleinement les préoccupations exprimées par le Cedaw, aux paragraphes 27 a) et b) de ses observations finales, qui soulignent que cette hausse des violences basées sur le genre est aggravée par les réponses inefficaces et insuffisantes de l’État mexicain.

En dépit de ces chiffres dramatiques, FIDH, Idheas et Emaf ont souligné que les femmes qui entreprennent des recherches pour retrouver leurs proches disparus, majoritairement mères ou sœurs des disparues, communément appelées « buscadoras  », subissent des actes de harcèlement et des menaces directes tant sur leur personne que sur les autres membres de leur famille, sans que les autorités n’interviennent pour assurer leur protection. Dans certains cas, ces risques ont conduit au déplacement forcé des «  buscadoras » et de leurs proches, compromettant la continuité des recherches. Les trois organisations ont mis en évidence le manque de protection adéquate de la part de l’État mexicain, un constat confirmé par le Comité au paragraphe 21 c) de ses observations finales, qui souligne l’insuffisante attention portée par la Commission nationale des droits de l’Homme aux «  buscadoras  » ainsi qu’aux femmes victimes de menaces, disparitions ou meurtres. Dans ce contexte, les organisations se félicitent des recommandations formulées par le Comité aux paragraphes 22 c) et 58, qui insistent sur la nécessité de reconnaître officiellement les «  buscadoras  » comme défenseures des droits humains, de mettre en place des mesures de protection adaptées, de renforcer l’appui opérationnel et psychosocial, et d’assurer leur inclusion systématique dans les processus de recherche de la vérité et de mémoire.

Les travaux de la FIDH, Idheas et Emaf ont également mis en lumière certaines défaillances et manquements dans l’activation des mécanismes d’alerte, compromettant la recherche rapide et efficace des victimes. Sur ce point, le Comité, au paragraphe 28 g), enjoint l’État mexicain à « assurer la coordination et l’application cohérente des protocoles d’intervention d’urgence et éliminer les retards dans les processus d’activation du protocole Alba et de l’alerte Amber, en garantissant des ressources adéquates pour leur mise en œuvre efficace dans tous les États. »

Concernant la traite, le Comité note dans son paragraphe 32 a) les lacunes persistantes dans la protection efficace «  contre la traite des femmes défavorisées  », telles que les adolescentes, les migrantes, les déplacées, les femmes en situation de pauvreté, lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes (LBTI), les femmes autochtones et afro-mexicaines. À cet égard, les rapports de des trois organisations mettent en évidence certains obstacles majeurs rencontrées par les femmes des peuples autochtones, des personnes LGBTQI+ et des personnes migrantes dans l’accès à la justice : lorsque des enquêtes sont enfin ouvertes, elles sont souvent mal dirigées par les enquêteur·ices en raison de préjugés sexistes et/ou racistes, explorant le passé des victimes ou leurs choix de vie plutôt que de se concentrer sur le contexte et les causes des disparitions.

Les trois organisations ont également mis en évidence l’absence d’une approche holistique dans les enquêtes sur les disparitions liées à la traite, conduisant à se concentrer sur des hypothèses isolées et à négliger les schémas récurrents, leur possible lien avec les réseaux de criminalité organisée, ainsi que les dimensions multiples et interconnectées de ces phénomènes. Les recommandations du Comité, au paragraphe 32 b), appelant l’État mexicain à « s’attaquer au lien entre la traite et les réseaux du crime organisé en renforçant la coordination des forces de l’ordre et en mettant en œuvre des stratégies de prévention globales », viennent pleinement corroborer nos constats et soulignent la nécessité de dépasser une approche fragmentée de ces phénomènes.

Le Comité souligne, paragraphe 32 c), la nécessité d’enquêter sur les agent·es des forces de l’ordre impliqué·es dans la traite, les poursuivre en justice et les punir de manière adéquate, et renforcer les mécanismes de redevabilité afin de prévenir la corruption et la collusion avec les trafiquant·es. Les informations recueillies par les organisations sur l’État de Mexico révélent que la police municipale ferme souvent les yeux sur les activités du crime organisé, recevant parfois des paiements pour entraver les enquêtes ou dissimuler des informations cruciales. Or cette connivence dans certains cas, de fonctionnaires locaux·ales – y compris de présidents municipaux – et d’agent·es d’enquête avec des réseaux de trafiquant·es et des organisations criminelles constitue un obstacle majeur à la lutte contre les disparitions et à l’accès à la justice, en particulier pour les femmes.

Comme les organisations le soulignent dans leurs travaux, il est indispensable d’assurer une prise en charge intégrale des victimes de disparitions et de traite, en veillant à ce que des enquêtes soient ouvertes même lorsque celles-ci ne se reconnaissent pas immédiatement comme telles, et à ce qu’un accompagnement psychosocial leur soit offert sans risque de revictimisation. Le Comité va en ce sens en recommandant, paraphe 32 e) de « renforcer les services d’accompagnement complets pour les femmes et les filles victimes de la traite, y compris l’accès immédiat à des refuges, à des soins médicaux, à un soutien psychosocial et à une aide juridique, et collecter des données ventilées sur les tendances de la traite, les caractéristiques démographiques des victimes, ainsi que sur l’efficacité des interventions de lutte contre la traite et des réparations accordées ».

Seule déception dans l’approche du Cedaw : le Comité n’a pas explicitement fait le lien entre les disparitions de femmes et de filles et la traite. Pourtant, le rapport « Qui nous recherche ? Qui se soucie de nous ? » montre que ces disparitions sont fréquemment liées à des réseaux de traite à des fins d’exploitation sexuelle. Ce constat a été réitéré avec force par les organisations présentes à Genève, en particulier lors du déjeuner informel avec les expert·es du Comité. L’absence de reconnaissance de ce lien entrave une compréhension adéquate du problème et encourage l’impunité, permettant aux responsables des disparitions et de la traite d’échapper dans une large mesure aux conséquences de leurs agissements, perpétuant ainsi un cycle de violence structurelle. Un point sur lequel la FIDH et ses partenaires continueront d’insister auprès des institutions locales et internationales.

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Maxime Duriez