L’aphasie, un défi pour la communication et le quotidien
L’aphasie est l’un des troubles du langage les plus complexes et les plus bouleversants, tant pour la personne qui en est atteinte que pour son entourage. Souvent provoquée par un accident vasculaire cérébral (AVC), mais aussi par un traumatisme crânien, une tumeur cérébrale ou certaines maladies neurologiques, elle touche la capacité à parler, comprendre, lire et écrire.
Pour les proches, ce trouble peut être déroutant : la personne reste parfaitement consciente, son intelligence est intacte, mais elle ne peut plus trouver les mots ou comprendre certains messages. Cette dissociation entre la pensée et le langage crée une barrière invisible qui isole, frustre et bouleverse la vie sociale, familiale et professionnelle.
En France, on estime qu’environ 300 000 personnes vivent avec une aphasie, la majorité après un AVC. Pourtant, ce trouble reste méconnu et souvent mal compris. Trop de gens pensent encore, à tort, qu’une personne aphasique “ne comprend rien”, alors qu’en réalité, c’est le langage qui est touché, pas la pensée.
Dans cet article, nous allons :
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expliquer les différents types d’aphasie,
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explorer leurs symptômes et conséquences,
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proposer des stratégies de communication,
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présenter le rôle des professionnels et des proches,
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mettre en lumière JOE, un programme de coaching cérébral innovant pour les personnes post-AVC.
L’objectif : donner des clés concrètes pour mieux comprendre et mieux accompagner les personnes touchées par ce trouble du langage.
Comprendre l’aphasie : les bases essentielles
Avant de parler rééducation ou stratégies de communication, il faut d’abord comprendre ce qu’est l’aphasie et pourquoi elle ne se manifeste pas de la même manière chez toutes les personnes.
Une origine neurologique
L’aphasie survient lorsque certaines zones du cerveau, généralement situées dans l’hémisphère gauche, sont endommagées. Ces zones sont impliquées dans :
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la production du langage oral,
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la compréhension des mots,
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la lecture et l’écriture,
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la construction des phrases.
Un AVC qui touche ces zones peut donc interrompre brutalement la capacité à parler ou comprendre.
Les différents types d’aphasie
Toutes les aphasies ne se ressemblent pas. Les neurologues distinguent plusieurs formes :
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Aphasie de Broca (non fluente)
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Parole lente, phrases courtes, discours haché.
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Compréhension relativement bonne.
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Exemple : au lieu de dire “Je voudrais manger une pomme”, la personne dira “Pomme… manger… moi.”
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Aphasie de Wernicke (fluente)
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Parole fluide, mais parfois incohérente.
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Les mots employés peuvent être incorrects ou inventés.
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Compréhension du langage souvent altérée.
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Aphasie globale
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La plus sévère : touche à la fois l’expression et la compréhension.
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Communication orale très limitée.
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Aphasie anomique
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Difficulté à trouver le mot juste, surtout les noms d’objets.
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Les phrases restent grammaticalement correctes, mais manquent de précision.
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Des manifestations très variables
Deux personnes atteintes d’aphasie peuvent avoir des profils complètement différents.
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L’une pourra parler peu mais comprendre presque tout.
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L’autre parlera beaucoup mais de façon incohérente.
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Certaines conserveront la lecture mais perdront l’écriture, ou l’inverse.
Comprendre l’aphasie, c’est donc accepter qu’il ne s’agit pas d’un trouble unique mais d’une constellation de difficultés qui varient selon la zone du cerveau touchée. Cette compréhension est essentielle pour adapter la communication, choisir les bonnes stratégies et éviter les malentendus.
Symptômes et impacts sur la vie quotidienne
L’aphasie ne se limite pas à un simple problème de langage. Elle touche la communication dans toutes ses dimensions et peut transformer le quotidien de manière radicale. Les symptômes varient énormément d’une personne à l’autre, mais certains signes reviennent fréquemment.
Les difficultés les plus courantes incluent :
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la recherche des mots : la personne sait ce qu’elle veut dire mais ne trouve pas le mot exact
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la compréhension du langage oral, surtout lorsque la conversation va vite ou lorsqu’il y a du bruit de fond
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la lecture et l’écriture : certaines personnes peuvent parler mais n’arrivent plus à lire une phrase simple
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la construction de phrases : elles peuvent être incomplètes, désordonnées ou manquer de cohérence
Ces symptômes entraînent souvent une frustration énorme pour la personne aphasique. Imaginez vouloir raconter une histoire simple et ne pas réussir à trouver les mots. Cela peut créer un sentiment d’enfermement et une perte de confiance en soi.
Par exemple, Sophie, 58 ans, a fait un AVC il y a deux ans. Elle comprend tout ce qu’on lui dit, mais depuis son accident, elle a du mal à parler. Elle utilise parfois des gestes ou des dessins pour se faire comprendre. Elle raconte que le plus difficile, ce n’est pas de ne pas pouvoir parler, mais que “les gens pensent que je ne comprends rien”. Cette situation est malheureusement très fréquente : le trouble du langage est souvent confondu avec un trouble intellectuel, ce qui ajoute au mal-être de la personne.
Au-delà des difficultés de communication, l’aphasie a aussi un impact social et émotionnel considérable. Beaucoup de personnes aphasiques finissent par se couper des activités sociales parce que les conversations deviennent trop compliquées. Les appels téléphoniques, les repas de famille, les sorties entre amis… tout devient source d’anxiété. Petit à petit, la personne risque l’isolement, alors que le maintien du lien social est essentiel pour la qualité de vie et même pour la récupération.
Les proches sont eux aussi affectés. Les conjoints, enfants ou amis se sentent parfois démunis face aux difficultés de communication. Ils veulent bien faire, mais ne savent pas toujours comment s’y prendre. Cette incompréhension peut mener à des tensions, des frustrations, voire à un épuisement émotionnel quand la rééducation est longue.
En conclusion, les symptômes de l’aphasie vont bien au-delà du langage : ils touchent l’estime de soi, les relations sociales, la vie familiale et professionnelle. C’est pourquoi une prise en charge globale, qui ne se limite pas à la rééducation du langage, est absolument nécessaire.
La communication non verbale, une alliée précieuse
Quand les mots ne viennent plus facilement, le langage du corps devient un pont essentiel entre la personne aphasique et son entourage. La communication ne passe pas uniquement par la parole : gestes, expressions faciales, intonation de la voix, regard… tous ces éléments prennent une importance capitale.
Pour une personne atteinte d’aphasie, la communication non verbale peut être une véritable bouée de secours. Lorsqu’il est impossible de formuler une phrase complète, un simple geste ou une expression faciale peut suffire à transmettre une émotion ou un besoin. Par exemple, pointer du doigt un verre d’eau pour dire “J’ai soif”, ou faire un signe de la main pour indiquer “Viens” ou “Stop”.
L’entourage doit apprendre à interpréter ces signaux. Cela demande de l’observation, de la patience et parfois un peu de créativité. Certains gestes sont universels, mais chaque personne aphasique peut développer ses propres codes. Dans certaines familles, on finit par créer un langage hybride fait de mots, de signes et d’images, compréhensible uniquement par le cercle proche.
Les supports visuels renforcent aussi cette communication. Des pictogrammes, des photos ou même des tableaux de communication avec des images simples permettent de dépasser le blocage des mots. Par exemple, un tableau peut contenir des images pour les besoins de base : manger, boire, dormir, sortir, voir le médecin… La personne n’a qu’à montrer l’image pour se faire comprendre.
Il existe même des applications numériques qui proposent des bibliothèques d’images et de pictogrammes pour construire des phrases visuelles. Utilisées sur une tablette, elles offrent une autonomie supplémentaire et réduisent le stress lié aux situations de communication.
En plus de faciliter l’échange d’informations, la communication non verbale permet de préserver le lien émotionnel. Un sourire, une caresse sur la main, un regard attentif peuvent dire “Je t’écoute, je suis là pour toi” sans aucun mot. Pour une personne qui a perdu une partie de sa capacité à parler, ce soutien non verbal est essentiel pour ne pas se sentir isolée ou incomprise.
En conclusion, la communication non verbale ne remplace pas la parole, mais elle la complète et devient parfois le principal moyen d’expression. Encourager son utilisation dès le début du parcours de rééducation aide à maintenir le dialogue et à réduire la frustration liée à l’aphasie.
Stratégies pour mieux communiquer avec une personne aphasique
Communiquer avec une personne aphasique peut sembler difficile au début, mais il existe de nombreuses techniques pour rendre les échanges plus fluides et moins stressants. Ces stratégies sont utilisées par les orthophonistes, les proches et parfois même enseignées dans des ateliers de communication pour familles et aidants.
Voici les principaux conseils à mettre en pratique :
1. Parler lentement et clairement
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Utiliser un débit de parole plus lent que d’habitude, sans exagérer ni infantiliser la personne.
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Faire des pauses entre les phrases pour laisser le temps de comprendre et de répondre.
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Articuler correctement, mais parler avec un ton naturel pour éviter que la conversation ne paraisse artificielle.
Exemple : au lieu de dire “Est-ce que tu veux aller faire une promenade dans le parc cet après-midi ?”, dire “Veux-tu aller au parc ?” en articulant et en faisant une pause après la question.
2. Simplifier le vocabulaire et les phrases
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Privilégier des phrases courtes avec une structure simple.
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Éviter le jargon, les expressions complexes ou les phrases à double sens.
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Répéter les mots-clés plusieurs fois si nécessaire.
Exemple : dire “Docteur. Demain. 15 heures.” plutôt que “N’oublie pas que demain à 15 heures nous avons rendez-vous chez le médecin pour ton contrôle annuel.”
3. Poser des questions fermées plutôt qu’ouvertes
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Les questions qui appellent une réponse par “oui” ou “non” sont plus faciles à gérer.
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Les questions ouvertes peuvent être trop exigeantes pour une personne qui cherche ses mots.
Exemple : “Veux-tu du café ?” (réponse simple) plutôt que “Que veux-tu boire ?” (réponse complexe).
4. Utiliser des gestes pour soutenir le langage oral
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Accompagner les mots d’un geste clair ou d’un pictogramme.
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Montrer l’objet dont on parle pour faciliter la compréhension.
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Encourager la personne aphasique à faire de même pour exprimer ses besoins.
Exemple : montrer la tasse en disant “café” permet à la personne de comprendre immédiatement le sujet de la conversation.
5. Éviter les environnements bruyants
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Les bruits de fond compliquent la compréhension et augmentent le stress.
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Privilégier un endroit calme pour parler, surtout pour les échanges importants.
Exemple : couper la télévision ou la radio quand on discute pour éviter la surcharge auditive.