Le papier séduit à nouveau. Pas par nostalgie, mais parce qu’il propose une expérience tangible et durable : un objet que l’on touche, que l’on garde, que l’on partage. À l’heure où tout passe par les écrans et les algorithmes, il offre une respiration et une autre façon d’installer son média auprès du public.
Internet reste toutefois un allié incontournable. Quand on se le réappropie, le web demeure un espace essentiel de création, de circulation et de lien, mais aussi le socle qui permet au papier d’exister grâce au financement direct des lecteurs et lectrices — abonnements, dons, préventes.
Beaucoup avaient pourtant annoncé la fin de l’imprimé avec l’avènement du numérique : explosion du contenu en ligne, nouvelles habitudes de consommation, hausse des coûts de production, baisse des revenus publicitaires. Or, loin d’avoir disparu, le papier est redevenu un choix assumé pour de nombreux médias. Il peut offrir une expérience de lecture différente, renforcer l’indépendance éditoriale et toucher de nouveaux publics. On l’aime aussi pour sa matérialité : le toucher des pages, l’odeur de l’encre, la promesse d’un objet qui se conserve.
Ce tour d’horizon rassemble des conseils pratiques, des retours d’expérience et des exemples pour imaginer, produire et faire vivre votre média papier, qu’il soit éphémère ou destiné à durer.
Définir la forme
Le papier ne se limite pas au traditionnel magazine ou journal. Il est possible d’imaginer une lettre imprimée, une revue dépliante, une affiche placardée dans les rues, une carte pliante ou même un objet hybride. Il ne s’agit pas que d’un choix esthétique : le choix du format influence l’usage, la diffusion et la perception de la publication. Quand l’affiche interpelle dans la rue, une revue léchée se prête à la collection, une carte se transporte partout. Dans tous les cas, la forme doit toujours correspondre à votre identité éditoriale et être pensée pour vos lecteur·ices. Vous visez les jeunes ? Un petit magazine sur papier recyclé, peu coûteux à produire et abordable à l’achat, fera l’affaire. Vous faites un média hyperlocal de bons plans ? Pourquoi pas une carte pliable du quartier, à glisser dans une poche ?
Quelques idées pour s’inspirer
- La revue au format carré de Pays (que Médianes a cofondée)
- Les lettres imprimées de La Disparition
- La carte des Autres Possibles (format aujourd’hui remplacé par un magazine)
- Le magazine double face de Mosaïque (une artiste féminine en couv au recto, un artiste masculin en couv au verso)
- Le petit carnet d’Invendable
- Le journal-poster du 1
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Avant de poursuivre, sachez que nous avons rassemblé de nombreuses ressources pour aider celles et ceux qui veulent lancer un média ou un produit éditorial : fiches pratiques gratuites, podcasts Chemins avec des fondateur·ices de revues, ou encore notre manuel Créer un média. Notre studio accompagne également de nombreux médias via des missions ou des formations. Retrouvez plus de ressources en fin d'article.
Expérimenter avant de se lancer
Plutôt que de se jeter directement dans un rythme régulier, tester un numéro zéro permet de juger de la faisabilité et de l’intérêt du projet, et d’affiner son ADN. Autre option : un hors-série pensé comme un objet inédit et événementiel, pour marquer une étape clé, célébrer un anniversaire ou accompagner un sujet important. Le papier est aussi un excellent support de financement participatif, qu’il soit au cœur d’une campagne ou proposé comme bonus.
Quelques idées pour s’inspirer
- À l’occasion de ses dix ans, le média culturel en ligne Manifesto XXI a publié une revue anniversaire mêlant archives et travaux d’artistes, auteur·ices et journalistes « qui [les] ont inspiré·es une décennie durant, ou qui marqueront les années à venir ». Une façon de marquer le coup, d’aller à la rencontre du lectorat lors d’événements liés à l’édition et de proposer aux fidèles un objet qui reste. Voir notre vidéo.
- Pour fêter son numéro 99, Pomélo, newsletter du journaliste food Ezéchiel Zerah, réunit dans un petit guide papier la liste des 99 choses à goûter à Paris. Contrairement à la newsletter (payante, sur abonnement), le guide ne s’adresse pas uniquement qu’aux initié·es. Malin pour élargir sa visibilité et toucher un public plus large.
- Pauline Dupin, fondatrice du fanzine (aujourd’hui à l’arrêt) Chassez le naturel parle de « numéro qui porte la vibration de ce qui est créé quand on ne sait pas ce que l’on est en train de créer » : un espace de liberté totale, sans pression commerciale. Son numéro zéro, limité à cent exemplaires, s’est écoulé en quelques jours grâce aux réseaux sociaux et au bouche-à-oreille.
- Ce n’est pas parce que vous lancez une revue papier que celle-ci doit nécessairement durer. Quelques exemples de médias à durée limitée qui ont pensé leur fin, dès le début.
Fabriquer : impression et choix de papier
Épaisseur, texture, blancheur : chaque choix raconte quelque chose de votre média. Le meilleur papier n’est pas forcément le plus cher, mais celui qui traduit le mieux votre identité et qui vieillira bien dans le temps. Anticiper l’impact environnemental — choix du papier, des encres, des couleurs — fait désormais partie intégrante de la réflexion.
La relation avec l’imprimeur compte autant que le prix : ses conseils techniques peuvent vous éviter des erreurs. Et n’oubliez pas que l’imprimé impose un autre rapport au temps : concevoir une maquette, lancer une impression, attendre la livraison… toutes ces étapes exigent un rétroplanning solide.
Quelques idées pour s’inspirer
- Comment choisir son papier ? Notre directrice artistique Christelle Perrin vous aide à y voir plus clair.
- Dans leur guide pour publier un magazine, les fondateur·ices de la revue Départementales expliquent : « Pour ne pas avoir à appeler toutes les imprimeries européennes, nous avons fait un premier tri en achetant les derniers exemplaires de nos magazines favoris et en regardant le nom de leurs imprimeurs. Cela permettait déjà de faire une première liste. Globalement, les variations de tarifs sont autour de 15-30%. »
- Les fondateur·ices du journal Le 1 et de la revue Censored rappellent qu’un bon papier est avant tout celui qui correspond à l’histoire qu’on veut raconter.
- Comment respecter la sobriété dans l’impression ? Choix du papier, des couleurs ou des polices… Découvrez quelques techniques et conseils qui vous permettront de réduire l’impact environnemental de vos produits.
- Sur LinkedIn, l’imprimeur Guillaume de Sousa (Loire Impression) raconte les coulisses de son travail et délivre moult recommandations à l’attention de celles et ceux qui souhaiteraient un jour imprimer des travaux.
- Anticipez le vieillissement de votre papier et renseignez-vous sur la façon dont il évoluera avec le temps. L’un des atouts de l’impression est de pouvoir donner naissance à un objet physique et durable, que l'on peut conserver et archiver. Autant choisir un papier qui traverse les années sans se dégrader, plutôt que de voir vos exemplaires jaunir ou se détériorer prématurément.
Vendre en ligne et miser sur la prévente
La vente directe via une boutique en ligne est devenue un outil central pour les médias indépendants. Elle permet de garder la main sur la relation avec ses lecteur·ices, de conserver une marge plus importante et de bâtir une communauté fidèle.
La prévente est, elle aussi, un levier précieux pour lancer un premier numéro ou financer une nouvelle parution. Elle sécurise une partie des coûts d’impression avant de produire, tout en créant un effet d’attente et d’engagement. Afficher une jauge en temps réel, proposer des contreparties symboliques ou des offres groupées (revue + affiche, revue + abonnement) renforce la mobilisation.
Ces campagnes peuvent passer par des plateformes spécialisées ou par une boutique intégrée au site du média, connectée à des solutions de paiement simples et transparentes.
Quelques idées pour s’inspirer
- Retrouvez nos fiches pratiques gratuites, développées par notre studio, pour préparer et lancer une campagne de financement : elles détaillent pas à pas la stratégie, le calendrier et les outils pour maximiser vos chances de réussite.
- La Déferlante, Pays, Climax : au micro de notre podcast Chemins, découvrez les retours d'expérience de fondatrices de médias papiers qui ont fait de la prévente et de leur boutique en ligne, des axes clés de leur développement.
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Un mot de notre studio : Médianes accompagne les médias établis et émergents dans la conception et la mise en œuvre de leurs campagnes de dons, préventes, abonnements ou adhésions en toute indépendance. Vous pouvez découvrir notre expertise sur ce lien.
Distribuer, diffuser
Beaucoup de jeunes revues commencent par l’auto-distribution : elles reçoivent et stockent chez elles des centaines d’exemplaires imprimés, elles gèrent leur boutique en ligne, font des allers-retours hebdomadaires à La Poste pour les envois, s’occupent du service après-vente… Et par l'auto-diffusion : elles contactent les librairies, points de vente à la main. C’est chronophage, mais cela permet —au début — de garder la main sur ses ventes, ses contacts et ses marges.
Autre option : travailler avec des tiers. À savoir qu’il existe une différence entre les distributeurs, qui travaillent davantage sur l’aspect logistique comme la gestion des stocks, et les diffuseurs, dont le rôle est principalement commercial en s’occupant par exemple des échanges avec les librairies, la facturation, le suivi des ventes, etc. Ces structures peuvent représenter un certain gain de temps mais gare aux conditions et aux commissions qui peuvent s’avérer élevées.
Enfin, si choisir d’être présent dans les Relay — qui, rappelons-le, sont détenus par Vivendi, le groupe de Vincent Bolloré — donne de la visibilité, cela demande des volumes importants (entraînant souvent du gâchis) et des marges réduites. Miser sur des points de vente ciblés, des librairies engagées ou des lieux culturels permet souvent une meilleure rencontre avec le public, même si, à nouveau, ce n’est pas la poule aux œufs d’or et nécessite de l'investissement. Le local, surtout pour un magazine ancré dans un territoire spécifique, peut être un atout.
Quelques idées pour s’inspirer
- Les kiosques et les Relay, oui ou non ? Le média indépendant Climax, qui porte sur les luttes écologiques, a pris le parti d’y aller. « Les kiosques (et notamment les Relay) sont des lieux de passage, de découverte, de visibilité. Et si nous ne sommes pas présents sur ce terrain-là, ce sont d’autres récits – bien souvent dangereux – qui occupent tout l’espace », précise Dan Geiselhart, cofondateur de la revue.
- Si pour vous c’est un grand non, sachez qu’il existe aussi des kiosques indépendants, tenus par des personnes sensibles à vos valeurs. C’est le cas par exemple de Basta, à Bordeaux, qui distribue entre autres Climax, Gaze et Flaash.
- Vous préférez crier votre revue ? Découvrez notre reportage avec Le Bruit qui court, qui remet au goût du jour le métier de crieur·euse de journaux.
- Si vous êtes dans une démarche d’auto-édition très (très) maison ou de numéro zéro et que vous souhaitez économiser vos frais d’impression, il est possible de proposer à votre communauté d’imprimer et diffuser elle-même vos magazines. C’est ce qu’a fait le mensuel américain Wired pour ce petit fanzine.
- Pour les one shots, justement, ce service permet d’imprimer et d’envoyer des newsletters, cartes postales et fanzines par courrier. On ne l’a pas testé, mais si d’aventure vous vous laissez tenter, faites-nous part de vos retours.
- La revue Les Autres Possibles a créé un guide très complet pour diffuser son magazine. Leur organisation ? « Ouvrir des points de vente – et parfois en fermer -, livrer des numéros à chaque parution – à pied, à vélo ou en voiture -, récupérer les invendus, comptabiliser les ventes, facturer les diffuseurs, assurer un suivi humain et comptable de toute cette petite histoire. Et puis, être présent·es sur des événements pour faire de la vente directe, se faire connaître, rencontrer nos lecteur·rices, etc. »
- En plus d'un distributeur ou d'un dif