Comment organiser sa veille ?

Souvent associé au journalisme, le fait de collecter et d'organiser l'information de manière régulière et méthodique est en réalité une pratique clé pour chacun·e. Elle facilite la compréhension de son environnement, permet de dénicher de l’inspiration, anticiper les risques, identifier les tendances et prendre des décisions éclairées. Pourtant, elle manque parfois de structure et de méthode. Habitué·es à laisser les algorithmes décider pour nous, nous avons fini par accepter une forme de perte de contrôle sur notre information, sans toujours savoir pourquoi tel contenu nous parvient plutôt qu'un autre. 

Cette dépendance aux flux automatisés présente des risques : bulles informationnelles, angles morts, absence de diversité des sources... Au point d’abandonner Internet comme outil ? Loin de là. Le web reste un terrain d’étude précieux si l’on sait s’en servir et accepter de s’émanciper quelque peu des grandes plateformes. Comment faire ? Nous vous proposons quelques conseils pratiques et des outils pour une veille à la fois exhaustive et personnalisée qui sert véritablement vos objectifs.

Les flux RSS ne sont pas une nouveauté. Popularisés par le navigateur Netscape à partir de 1999, ils permettent de consulter les publications de plusieurs sites via des « agrégateurs » qui se chargent de présenter les contenus dans un fil unique, souvent chronologique, et mis à jour automatiquement. Selon le site, il est même possible de ne récupérer que les articles sur un sujet spécifique. Par exemple, si vous vous intéressez à l'écologie, vous pouvez créer un flux RSS qui rassemble uniquement les articles provenant des rubriques « Environnement » de plusieurs médias. Contrairement aux réseaux sociaux, les contenus sont présentés dans un fil personnalisable, complet, sans tri automatique et sans tracking.

S’ils ont progressivement été éclipsés par l'essor des réseaux sociaux et de leurs recommandations algorithmiques, ils connaissent toutefois un regain d'intérêt dans un contexte où lecteur·ices et médias veulent reprendre le contrôle sur la distribution et le partage de l’information sur Internet. Prenez par exemple 404 Media qui a mis en place un système permettant à ses abonné·es payant·es de recevoir l’intégralité d’un article directement dans leur fil RSS.

Il existe de nombreux lecteurs de flux. Voici quelques exemples de services gratuits et/ou open source : 

• Feeder : lecteur open source.
• NetNewsWire : outil open source mais réservé à Mac OS et iOS.
• Kill the Newsletter : transforme vos newsletters en flux Atom.

Reprenez le contrôle sur les plateformes

Malgré leurs défauts, les réseaux sociaux restent pour beaucoup des outils de veille précieux. Avec du recul et un usage raisonné, ils peuvent offrir un accès efficace à des sources, des témoignages et points de vue variés qui restent difficiles à trouver ailleurs.

Quelques conseils : 

• L’usage de signets pour enregistrer des vidéos que vous voulez récupérer plus tard. Sur TikTok et sur Instagram, vous pouvez créer des catégories pour ranger vos contenus et les retrouver plus facilement par la suite.

• Si vous utilisez Bluesky, saviez-vous qu'il était possible de créer ses propres feeds ? Cela demande un peu de travail mais le réseau social propose toute une documentation à ce sujet. Sinon, vous pouvez trouver d’autres feeds créés par des utilisateur·ices directement sur l’application.
• Abonnez-vous ! (Re)prenez l’habitude de suivre activement les personnes dont vous appréciez les contenus et de consulter régulièrement votre fil d’abonnement, plutôt que de vous en remettre uniquement aux suggestions automatiques qui ont largement pris le dessus sur la majorité des réseaux sociaux.

Organiser ses captures d’écrans

C'est la méthode la plus simple mais la plus propice aux prises de tête : la capture d'écran. D'une simple pression sur les boutons latéraux de votre smartphone, vous pouvez enregistrer ce que vous voyez à l'écran... pour ne jamais y revenir, votre cliché se perdant dans les limbes de votre appareil. Même si vous revenez dessus un jour par hasard, il se peut que vous ayez totalement oublié pour quelle raison vous avez décidé de l’enregistrer.

Prenez le temps de vous organiser et faites-en une étape importante de votre flux de travail. Inscrivez par exemple dans votre agenda un temps de tri à la fin de la journée en regardant dans vos captures du jour pour supprimer celles qui ne servent à rien et ranger dans des dossiers celles que vous voulez conserver. Obligez-vous à prendre cette habitude en l’inscrivant dans votre agenda par exemple (ça marche aussi pour trier les 40 onglets que vous avez ouverts sur votre ordinateur au cours de la journée). Ça peut paraître long mais il suffit de quelques minutes par jour pour vous éviter de grosses prises de tête par la suite.

Consulter des agrégateurs d’infos

Nous avons évoqué plus tôt les flux RSS pour agréger l’information, mais si vous ne souhaitez pas vous prendre la tête (même si, promis, c’est simple), il existe des solutions prêtes à l’emploi. Elles peuvent être alimentées manuellement par une personne, automatiquement via des flux RSS ou enrichies par les suggestions d’autres internautes.

Voici certaines que j'utilise pour ma veille personnelle :

• Hacker News : site très populaire dans les milieux axés tech et science, alimenté par des internautes qui votent pour les meilleurs sujets afin de les faire remonter dans la liste.
• Clones : des thématiques variées et une sélection réduite de liens souvent intéressants et régulièrement actualisés.
• Skimfeed : une sélection très large mais très pratique pour voir d'un coup d'œil les articles publiés sur une grande quantité de sites.

Organiser ses liens et les stocker

Rien de plus frustrant que de perdre une page intéressante après l’avoir fermée par mégarde au milieu de dizaines d’onglets ouverts, ou simplement après avoir oublié la source ou le titre, initiant une douloureuse quête à travers son historique pour tenter de retrouver le maudit lien. Sachez que, si vous ne voulez pas ajouter un énième outil à votre catalogue, la plupart des navigateurs permettent de créer des favoris classés en dossiers. Mais si vous stockez beaucoup d’éléments, il existe des solutions dédiées qui pourraient vous être utiles : ajout de tags, de description, une interface plus intuitive, etc. 

Quelques exemples :

• Raindrop : version gratuite déjà très complète, avec un nombre illimité de liens à enregistrer en plus d’utiliser moins d’IA que sa version payante. 
• Bookmark It : présente vos liens sous la forme d’un flux très similaire à celui d’un réseau social pour les parcourir de manière chronologique.
• Are.na : une plateforme en ligne qui vous permet de créer des collections que vous pourrez ensuite facilement partager. Similaire à Pinterest, mais en plus moderne.
• Obsidian : une alternative à l’outil de note Notion qui vous accorde plus de contrôle sur la gestion de vos données et contenus. Vous pouvez utiliser leur extension pour enregistrer des liens facilement dans vos pages.

Attention toutefois à la pérennité de ces outils ! Ils ont la fâcheuse tendance à fermer leurs portes. Le très populaire Pocket a cessé ses activités début juillet 2025 et Omnivore, une solution open source, a disparu en novembre dernier. Vérifiez donc que vos outils permettent d'exporter facilement vos liens si vous souhaitez un jour changer de plateforme. 

Fouiller

Vous tombez sur un article intéressant sur un site que vous ne connaissez pas trop ? Fouillez. Allez chercher qui est l’auteur·ice, trouvez ses autres articles et où ils sont publiés. On a tendance à perdre ce réflexe, qui permet pourtant de découvrir de nombreux médias et auteur·ices. À force de se reposer sur les algorithmes pour nous servir de l’information et de l’inspiration sur un plateau, nous passons à côté de beaucoup de contenus de qualité qui ne sont pourtant qu'à quelques clics.

Élargir ses horizons

Abonnez-vous à n'importe quoi. Ce conseil peut sembler contradictoire avec la promesse initiale d’une veille plus apaisée et efficace, pourtant, c'est dans les endroits les plus inattendus que vous allez dénicher la perle rare. On a tendance à se convaincre qu'il faut tout lire sur un sujet spécifique au point où l'on tourne en rond, car tout finit par se répéter. Il peut être parfois judicieux de mettre de côté une source d'info (une newsletter par exemple) sur son sujet de prédilection et tenter des sources nouvelles.

Par exemple : je ne suis pas particulièrement passionné par le monde de la finance et de l'investissement. Pourtant, dans une récente newsletter Money Stuff de Bloomberg, j’y ai par exemple appris que ChatGPT peut créer des bulles spéculatives en amplifiant des conseils d’investissement très niches trouvés sur Reddit. Ces conseils sont ensuite partagés par des utilisateur·ices de Reddit, que l’IA relira et redistribuera, alimentant ainsi un cycle sans fin. Un exemple qui illustre bien le rôle de ces outils dans la circulation de l’information en ligne et les conséquences de ce processus qui s’auto-alimente. Intéressant, non ?

Avec un peu d'expérience, on arrive à déceler les sources avec un certain potentiel. Donc tentez, lisez et si vous n'y trouvez rien, désabonnez-vous. Si vous utilisez des systèmes de tri des marque-pages, mentionnés précédemment vous pourrez rapidement identifier d’où viennent les articles qui vous intéressent.

Partager sa veille

Maintenant, c’est à vous de jouer : partagez votre veille. Que ce soit à travers une newsletter, des vidéos sur TikTok, des posts sur Reddit, un blog… Toutes les recommandations et les conseils qui précèdent n’ont de sens que si des internautes, comme vous et moi, contribuent, en diffusant leurs idées, découvertes et inspirations. Face aux dérives des plateformes, aux pouvoirs des grandes firmes de la tech, à l’omniprésence des IA, l’envie de fuir le web est plus que jamais palpable. Mais c’est justement le moment ou jamais de s’y investir intelligemment et durablement, pour éviter qu’elles ne soient laissées aux mains d’une poignée d’acteurs, afin de faire du web un espace libre d’inspiration et de connaissance collective.