Proposition de loi "volets roulants" : comment dénaturer nos sites patrimoniaux en paralysant les ABF

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Une proposition de loi se voulant transpartisane, déposée le 11 juillet 2025 par 148 députés, prévoit de supprimer le pouvoir d’autorisation des Architectes des bâtiments de France concernant les changements de fenêtres et de volets dans les abords des Monuments historiques (500 m) et dans les Sites patrimoniaux remarquables (Secteurs sauvegardés). Elle permettrait également aux maires de déroger, dans ces zones, aux prévisions de leurs Plan locaux d’urbanisme en la matière. Son adoption provoquerait, dans ces secteurs sensibles, la disparition accélérée des croisées à petits bois et des volets traditionnels au profit de fenêtres en PVC dotées de volets roulants, pourtant moins efficaces et durables que les volets en bois. Elle paupériserait notre pays sous couvert de lutte contre les "bouilloires thermiques".
JL

Châteauroux (Indre), hôtel particulier dénaturé par le renouvellement intégral de son second œuvre (fenêtres, volets roulants en PVC et bloc porte préfabriqué). Photo Sites & Monuments.

Surfant sur un été caniculaire, une proposition de loi "transpartisane", "visant à adapter les logements aux fortes chaleurs et à protéger leurs occupants", a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.

Celle-ci, inspirée par trois rapports successifs de la fondation Abbé-Pierre de 2023, 2024 et 2025, pourrait être renommé à bon droit "proposition de loi fenêtres en plastique" et "volets roulants". Elle fait peser une menace extrêmement grave sur la beauté de nos plus beaux sites patrimoniaux, aujourd’hui moteurs de l’économie française, comme sur le confort d’été des logements anciens...

L’ABF bientôt hors jeu pour "les fermetures extérieures" et leurs "protections solaires" ?

La loi ELAN de 2018 avait scandaleusement introduit dans le code du patrimoine un article L. 632‑2‑1 paralysant le pouvoir d’autorisation des architectes des bâtiments de France (ABF) en matière de bâtiments en péril ou insalubres et d’implantation d’antennes relais. Celui-ci serait complété par un 4° visant, cette fois, les « travaux d’installation de fermetures et protections solaires extérieures des fenêtres, portes‑fenêtres et fenêtres de toit ». L’avis de l’ABF, de "conforme" (contraignant) dans ces domaines, deviendrait "simple", c’est-à-dire incantatoire.

Ile d’Yeu (Vendée), photo Sites & Monuments.

L’ABF deviendrait ainsi doublement impuissant, pour "l’installation des fermetures" (croisées vitrées et portes‑fenêtres), mais aussi de leur "protections solaires extérieures" (volets roulants ou autre), ceci dans des zones particulièrement sensibles : les abords des monuments historiques (fameux "périmètres des 500 m", premier facteur de qualité urbaine en France) et les sites patrimoniaux remarquables (ancien "secteurs sauvegardés" de Malraux, cadres urbains exceptionnels). Dans ce dernier cas, l’article L. 632-1 du code du patrimoine prévoit pourtant expressément que "sont soumis à une autorisation préalable les travaux susceptibles de modifier l’état des parties extérieures des immeubles bâtis, y compris du second œuvre", catégorie incluant les croisées et volets. La proposition de loi va dont à rebours de l’esprit du code du patrimoine.

Fin des fenêtres à petits bois et des volets traditionnels

S’agissant des "fermetures" elles-mêmes, l’ABF ne pourrait plus imposer la conservation des croisées de menuiseries (certaines sont superbes et intrinsèquement patrimoniales). Il lui serait même impossible d’imposer des croisées neuves à "petits bois" (et évidemment de déterminer leur matériau ou de prescrire le réemploi des espagnolettes d’origine). La présence ou l’absence de petits bois, qui modifie le rythme des façades, est pourtant une question très sensible esthétiquement. Les "fermetures" des baies sont visées par le texte, puisque souvent solidaires des "protections extérieures" (fenêtre avec volet roulant intégré). Seules les portes échapperaient pour le moment au dispositif.

Neuvy-Bouin (Deux-Sèvres). Photo Sites & Monuments.

Les volets traditionnels participent également, par leur ancienneté, leur particularités régionales (pentures et serrurerie notamment) et leur diversité de modèles (volets pleins, articulés, en persiennes...) et de teinte (le PVC étant généralement blanc) à la beauté des façades.

L’application de ce régime aux abords des monuments historiques et à nos sites patrimoniaux remarquables (SPR) serait évidemment catastrophique pour l’image de notre pays et particulièrement irresponsable.

Un texte nuisible au confort d’été des maisons anciennes

Même du point de vue du "confort d’été" des logements, la proposition de loi serait désastreuse. En effet, l’ABF ne serait plus en mesure de s’opposer au remplacement de volets en bois par des volets roulants en PVC ou en aluminium, pourtant beaucoup moins efficaces thermiquement, moins écologiques (le PVC est un dérivé du pétrole) et nettement moins durables (un volet en bois peut durer plusieurs siècles, avec un entretien périodique peu onéreux, alors d’un volet roulant, notamment à cellule photovoltaïque, devra être remplacé et recyclé au bout de 10 à 20 ans). Du point de vue du coût, un volet en bois, qui peut être facilement réparé, est très largement compétitif, son surcoût éventuel étant compensé par sa longévité.

Or, les PLU ne peuvent que réglementer la forme et l’aspect des volets, mais en aucune façon leurs matériaux. L’ABF et donc le seul à avoir cette capacité dans les abords des monuments historiques ou les sites patrimoniaux remarquables.

Bref, la proposition de loi visant à adapter les logements aux fortes chaleurs est une machine à remplacer le bois par du plastique et à discréditer les pratiques vertueuses. Quel écologiste normalement constitué pourrait vouloir cela ?

Recapiti
Julien Lacaze