Mis à jour le 11/09/2025
À la frontière entre la physique et l’informatique, la nouvelle équipe PhIQuS du centre Inria de Saclay, commune avec l’Institut Polytechnique de Paris, défriche un territoire encore largement inexploré : les avantages quantiques dans les systèmes distribués. Un défi scientifique ambitieux que nous explique Marc-Olivier Renou, titulaire d’une chaire professeur junior Inria et responsable de PhIQuS.
Titre
La physique quantique, une nouvelle conception du monde
Image
Verbatim
Le monde est intrinsèquement quantique. Pourtant, nous continuons à utiliser intuitivement la logique classique pour le décrire.
Auteur
Marc-Olivier Renou
Poste
Responsable de l'équipe-projet PhIQuS
Cette théorie de l’information classique repose sur le principe du "ou" logique. Une affirmation est vraie ou fausse. Une pièce de monnaie tombe sur pile ou face. Lorsqu’on joue aux cartes, le roi de cœur est dans les mains de l’adversaire 1 ou dans celles de l’adversaire 2 ou encore dans celles de l’adversaire 3, si on ne l’a pas soi-même. Le "ou" logique permet ainsi d’explorer tous les cas possibles.
Mais la physique quantique ébranle cette conception du monde. « L’une des difficultés tient ici au fait que l’on ne peut pas raisonner avec le "ou" logique lorsqu’une information est inconnue. » L’expérience des fentes de Thomas Young représente l’illustration parfaite de cette notion. Elle consiste à émettre une particule d’une source lumineuse, en la faisant passer par deux trous percés dans une plaque. Selon la physique classique, la particule doit passer par le trou 1 ou le trou 2, quelle que soit la façon dont elle est émise initialement. Mais selon la physique quantique, il est possible d’émettre la particule de manière à ce que l’affirmation « la particule passe par le trou 1 ou le trou 2 » soit fausse. Et pourtant, la particule utilise bien les deux trous pour passer ! On dit qu’elle passe en état de superposition quantique par le trou 1 et le trou 2. C’est justement cette remise en cause du "ou" logique qui est au fondement de l'avantage quantique, quand l’information quantique permet de faire mieux que l’information classique. Ce concept désigne ainsi les situations où utiliser la superposition quantique permet à un ordinateur quantique de réaliser un calcul plus rapidement que les superordinateurs classiques. Une question au cœur des recherches de Marc-Olivier Renou.
Aux origines historiques de l’avantage quantique
Ce concept d’avantage quantique ne date pas d’hier. Il trouve ses origines dans l’expérience de pensée d’Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen, connue sous le nom de paradoxe EPR, et a mené Erwin Schrödinger à imaginer son célèbre chat, en superposition entre les états mort et vivant. Dès 1935, les quatre physiciens ont identifié le problème du "ou" logique en physique quantique, tout en le considérant comme un défaut de la théorie. Albert Einstein l’aurait jugé comme étant une « action fantomatique à distance » et Erwin Schrodinger aurait décrété possible « d’imaginer des cas tout à fait absurdes ». Ils estimaient alors que la physique quantique était incomplète.
Or, John Stewart Bell a démontré en 1964 qu’aucune théorie capable d’expliquer la physique quantique ne peut s'accorder avec le principe du "ou" logique en utilisant l’intrication quantique, un phénomène où deux systèmes distants partagent un état de superposition quantique. Plus précisément, il a montré que les corrélations observées entre les mesures effectuées sur ces particules sont incompatibles avec le "ou" logique. John Bell a posé ainsi les bases théoriques des avantages quantiques.
Ces relations entre systèmes, appelées inégalités de Bell, ont ensuite été mises en pratique en 1976 par John Clauser, puis en 1982 par Alain Aspect qui a apporté de manière très convaincante la preuve expérimentale que le phénomène d’intrication de la physique quantique était nécessaire pour expliquer la réalité du monde physique. Ils ont tous deux été récompensés par le prix Nobel en 2022 pour cette démonstration. Et en 2015, une expérience menée par Ronald Hanson, de l’université de Delft aux Pays-Bas, a confirmé définitivement cette réalité de l’intrication quantique, éliminant les derniers doutes des expériences précédentes, liés aux limites technologiques du début des années 1980.
Ouvrir le champ des possibles grâce au quantique dans des systèmes distribués
L’équipe PhIQuS conduit ses recherches sur cette voie afin de mieux comprendre l’information quantique. « La libération de la contrainte forte du "ou" logique ouvre des possibilités extraordinaires, s’enthousiasme Marc-Olivier Renou. Parce que les unités d’information quantique – ou qubits – peuvent coexister dans plusieurs états, il est possible de résoudre efficacement des problèmes complexes, difficiles, voire impossibles, à dénouer avec l’informatique classique. » L’exemple le plus célèbre d’un avantage apporté par le quantique est l’algorithme de Peter Shor. En théorie, l’ordinateur quantique est capable de factoriser des nombres en produits de facteurs premiers bien plus rapidement qu’aucune machine classique.
L’originalité de PhIQuS tient dans sa volonté d’étudier les avantages quantiques dans des systèmes distribués, lorsque l’information est partagée entre plusieurs ordinateurs, dans plusieurs pièces, dans plusieurs villes… Pourquoi pas à Saclay, Tokyo ou ailleurs dans le monde en même temps, où chacun reçoit des parties du problème ?
Verbatim
Quand on travaille sur les avantages quantiques dans un réseau, le concept d’intrication quantique, c’est-à-dire le refus du "ou" logique sur des informations réparties en plusieurs points, est aussi important que la superposition des états des qubits.
Auteur
Marc-Olivier Renou
Poste
Responsable de l'équipe-projet PhIQuS
En d’autres termes, la superposition permet l’exploration simultanée de nombreux états de chaque qubit, tandis que l’intrication crée des corrélations uniques entre plusieurs qubits. C’est même ce qui permet de surpasser l’information classique.
Équipe-projet PhIQuS : l’exploration de l’information quantique
Lancée officiellement en 2025, l’équipe PhIQuS (physique, théorie de l’information et simulation quantique) s’intègre dans un écosystème autour du quantique sur le plateau de Saclay. C’est ainsi la troisième équipe du centre Inria de Saclay à travailler sur ce thème, après Quriosity et Quacs. PhIQuS a débuté ses activités dès 2023, lors du recrutement de son responsable Marc-Olivier Renou. Elle allie les expertises de l’École polytechnique, du CNRS et d’Inria, avec Marc-Olivier Renou, Filippo Vicentini, physicien au CPHT, et Titouan Carette, informaticien au LIX de l’École Polytechnique, afin d’explorer les fondements théoriques de l’information quantique. De plus, elle accueille un professeur invité, le mathématicien Igor Klep (voir encadré ci-dessous), et une quinzaine de jeunes chercheurs doctorant et postdocs.
L’équipe PhIQuS se structure autour de trois axes :
- La théorie de l’information, qui se concentre sur les différences fondamentales entre l’information classique et l’information quantique, notamment en informatique distribuée.
- La physique de la matière condensée, afin de comprendre les phénomènes collectifs obtenus par un très grand nombre de particules en interaction, à l’aide de méthodes basées sur le machine learning, comme les neural quantum states. L’objectif ? Comprendre pourquoi un matériau est supraconducteur, ou comment obtenir une batterie capable de stocker plus d’énergie…
- La formalisation et représentation pour l’informatique quantique, pour développer des représentations abstraites pour conceptualiser et raisonner sur les calculs et les objets quantiques, en s’appuyant sur la théorie mathématique des catégories.
À peine créée, l’équipe est déjà reconnue sur le plan national et international, bénéficiant de financements, par exemple deux bourses de programme "Jeunes Chercheuses Jeunes Chercheurs" (JCJC) de l’ANR, la bourse Marie Curie attribuée à son postdoctorant Lucas Tendick et un soutien financier obtenu à l’issue de l’appel à projets européen QuantERA. PhIQuS partage par ailleurs un partenariat privilégié avec les Nokia Bell Labs, qui financent actuellement deux thèses Cifre de l’équipe.
Déjà des résultats à l’actif de PhIQuS
Dans ce cadre distribué, la question des avantages quantiques se pose alors. Il s’agit de créer une cohérence d’ensemble pour résoudre le problème de manière rapide et robuste, tout en utilisant le moins de ressources possibles. « La notion d’avantages quantiques distribués est assez peu explorée aujourd’hui. Ce travail est surtout effectué par des physiciens qui maîtrisent le quantique, mais dont la compréhension des réseaux n’est pas parfaite, ou par des informaticiens qui connaissent bien les réseaux mais peu la physique quantique, relève Marc-Olivier Renou. Or, PhIQuS réunit les deux expertises. »
Bien que l’équipe soit récente, elle a déjà publié trois articles à l’occasion de la conférence d’informatique théorique STOC, en 2024 et 2025.
Verbatim
Nous avons ainsi identifié une situation abstraite pour laquelle il existe un avantage quantique significatif, en termes de rapidité, afin de résoudre un problème dans un réseau quantique, résume le chercheur. Inversement, nous avons trouvé d’autres cas où il n’y a pas d’avantage quand on connecte des ordinateurs distants dans un internet quantique. C’est un résultat tout aussi intéressant, qui pourrait s’appliquer à la vie courante.
Auteur
Marc-Olivier Renou
Poste
Responsable de l'équipe-projet PhIQuS
Gérer un réseau (par exemple régler la question de l’attribution de fréquences à un grand nombre de téléphones portables pour qu’ils communiquent avec des antennes) est directement lié à ces questions. Bien comprendre quels sont les problèmes susceptibles d’être résolus plus rapidement grâce au quantique permettra donc de guider le dévelopement des futurs réseaux quantiques. »
Et au-delà de cette recherche très fondamentale, PhIQuS envisage des implémentations expérimentales de ses avancées théoriques, en collaborant avec d’autres équipes scientifiques plus appliquées. À suivre…
Igor Klep : un mathématicien de renom en visite chez PhIQus
Le mathématicien slovène Igor Klep, chercheur travaillant au sein des universités de Ljubljana et Primorska, est venu apporter son expertise à l’équipe-projet PhIQus. Il y est reçu en tant que professeur invité du programme Gaspard Monge de l’École polytechnique. Celui-ci accueille des chercheurs reconnus à l’international pour des collaborations de haut niveau en enseignement et en recherche.
Objectif de la coopération entre le mathématicien et l’équipe : appliquer l’algèbre non commutative, domaine d’expertise d’Igor Klep, à des problématiques de la théorie de l’information quantique. « Maîtriser ces deux spécialités est pratiquement impossible pour une seule personne, assure Marc-Olivier Renou. Pour avancer, notre collaboration est indispensable. » Igor Klep confirme : « Travailler au contact direct d’experts de la théorie de l’information quantique offre des perspectives uniques. La qualité de nos échanges entre chercheurs et étudiants enrichit considérablement ma propre vision sur mon domaine. »
Des cours et une série de séminaires autour de l’optimisation polynomiale non commutative et sa transposition à la physique quantique accompagnent ce partenariat. Celui-ci s’inscrit dans le cadre du programme européen COMPUTE, financé par l’appel à projets QuantERA.
En savoir plus
- Une collaboration internationale au croisement des mathématiques et de la physique quantique, Institut polytechnique de Paris, 23/6/2025.
- Quantum-Saclay : rassembler autour du quantique, Institut polytechnique de Paris, 30/4/2025.
- Où se cache l’avantage quantique ? Pour la Science, 15/4/2024.
- Où en est la révolution quantique ? CNRS, 25/1/2024.
- La non-localité quantique à l’ère des réseaux, Pour la Science, 20/9/2021.
Pour les experts
- Distributed quantum advantage for local problems, Proceedings of the 57th Annual ACM Symposium on Theory of Computing (STOC), 15/6/2025.
- Online locality meets distributed quantum computing, Proceedings of the 57th Annual ACM Symposium on Theory of Computing (STOC), 15/6/2025.
- No distributed quantum advantage for approximate graph coloring, Proceedings of the 56th Annual ACM Symposium on Theory of Computing (STOC), 11/6/2024.