La contribution des usagers au financement des transports collectifs urbains

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L’organisation des transports collectifs urbains (TCU) est sous la responsabilité des collectivités locales qui en fixent le prix. Comme les recettes tarifaires ne suffisent pas à couvrir tous les coûts – celles-ci ne représentent que 41 % des dépenses de fonctionnement, hors investissement -elles en complètent le financement par d’autres moyens. Pour ce faire, les communes – regroupées au sein d’intercommunalités, comme les métropoles, les communautés d’agglomération ou les communautés urbaines – peuvent percevoir une taxe sur la masse salariale des employeurs locaux, appelée versement mobilité et/ou utiliser leur budget général, financé par les contribuables locaux. Depuis plusieurs années, les collectivités locales ont privilégié une politique de modération tarifaire, ce qui a entraîné une déconnection progressive des tarifs de l’usage réel des services de transport et donc des coûts induits, et favorisé le financement des TCU par l’impôt. Cette baisse de la contribution des usagers au financement des TCU compromet la réalisation des investissements à venir, pourtant nécessaires pour répondre aux besoins de mobilité et atteindre les objectifs environnementaux. Le rapport de la Cour des comptes, qui répond à une demande formulée sur sa plateforme citoyenne, aborde ainsi les enjeux du développement des TCU et les modalités de leur financement. L’enquête, qui porte sur les principales autorités organisatrices des mobilités (AOM), décrit l’évolution des contributions au financement des TCU, notamment celle des usagers, et examine l’impact opérationnel et financier des politiques de modération tarifaire ou de gratuité. A cet effet, elle synthétise de nombreux travaux des juridictions financières et deux sondages réalisés auprès des usagers des réseaux de transport urbain de Montpellier et de Lyon.

Des tarifications décentralisées, peu encadrées et peu préparées

Le cadre légal laisse une grande liberté aux AOM pour établir la tarification des transports collectifs urbains. En pratique, les hausses tarifaires ne sont pas automatiques, et sont peu fréquentes. Elles s’inscrivent dans une politique de modération qui a conduit, au cours des vingt dernières années, à multiplier les tarifs spécifiques, sociaux ou commerciaux, réservés à certaines catégories d’usagers, sans forcément les lier à des conditions de ressources. Ainsi, ces réductions se fondent souvent sur une logique de statut (tarification dite sociale) plus que sur une logique de niveau de ressources (tarification dite solidaire), et certaines personnes modestes n’y sont pas éligibles. De ce fait, l’obligation légale qui consiste à proposer un tarif réduit d’au moins 50 % pour les 10 % de la population les moins favorisés n’est pas systématiquement respectée par les AOM ou, quand elle l’est, ne fait pas l’objet d’une information adéquate. En outre, la transparence concernant les coûts et les contributions au financement des TCU est rarement respectée et les instances de concertation (comités des partenaires) doivent encore renforcer leur rôle. Enfin, la politique tarifaire est souvent élaborée indépendamment des travaux de diagnostic et de la planification de la mobilité, garants de la cohérence de l’action locale avec les objectifs nationaux en matière d’environnement. Le niveau de préparation et d’évaluation des évolutions tarifaires varie et est parfois insuffisant, surtout dans des cas de changements aussi radicaux que le passage à la gratuité. 

Une contribution des usagers en baisse qui met sous tension le financement des transports collectifs urbains

Le financement des transports collectifs urbains repose sur les tarifs, mais également sur les employeurs avec le versement mobilité, et il est complété par des subventions des collectivités locales. En 2019, les recettes tarifaires ne couvraient que 41 % des seules dépenses de fonctionnement des réseaux de transport. Ce ratio décroît avec la taille du réseau : il atteint 45 % en Île-de-France (IDF), mais tombe à 33 % hors IDF et à 18 % pour les autorités organisatrices des mobilités (AOM) de moins de 100 000 habitants. 
L’effet de la gratuité sur l’équilibre financier des TCU est à apprécier de façon différenciée selon la taille des collectivités et de leur réseau de transport. Pour les petits réseaux peu fréquentés, la gratuité totale peut relever d’une logique d’efficience de la dépense publique, dans un contexte où les bus circulent quasiment à vide et où les recettes tarifaires sont faibles :  elle entraîne une hausse de fréquentation plus importante que la hausse des ressources publiques mobilisées. Ce n’est pas le cas pour les réseaux importants déjà bien fréquentés, pour lesquels la gratuité entraîne des pertes de recettes significatives et nécessite de développer l’offre de service pour accueillir l’afflux de voyageurs supplémentaires. Les tensions financières qui en résultent menacent par ailleurs les projets d’investissement nécessaires pour le verdissement des bus et le développement du réseau.

Donner la priorité à l’amélioration de l’offre et mobiliser l’outil tarifaire

Le niveau déjà élevé du versement transport et les contraintes financières des AOM plaident pour accroître les tarifs afin d’améliorer l’offre. Les sondages révèlent que le prix ne constitue pas un frein à l’usage des TCU, excepté pour les usagers les plus défavorisés. Concernant l’argument environnemental, bien que la gratuité augmente la fréquentation, elle n’entraîne pas toujours un report modal suffisant depuis la voiture. A Montpellier, par exemple, la gratuité a surtout permis d’attirer des personnes qui se déplaçaient à pied ou à vélo, entraînant un bilan santé-environnement incertain : la hausse de fréquentation a par ailleurs conduit à saturer davantage un réseau déjà très fréquenté. Dans les réseaux étendus ou de taille significative, seul le développement de l’offre peut attirer de nouveaux usagers, notamment des automobilistes : l’exemple de Lyon montre ainsi qu’une augmentation des tarifs, accompagnée d’améliorations de l’offre et de la qualité de service, peut satisfaire les usagers, provoquer le report modal, et améliorer le financement. Certes, pour des AOM de taille intermédiaire la gratuité peut apparaître comme une alternative attrayante car elle peut permettre, à court terme, d’augmenter la fréquentation à un coût inférieur à celui du développement de l’offre. Néanmoins, à long terme, cette stratégie peut nuire financièrement au développement du réseau. Ainsi, plutôt que de développer la gratuité, il est préférable de mettre en place des dispositifs en faveur des personnes les plus vulnérables et ne pas exclure une tarification à l’usage, différenciée dans l’espace et éventuellement dans le temps (heures creuses/pleines, pics de pollution). Il convient aussi d’accroître la lutte contre la fraude, en fixant des objectifs contraignants de moyens et de résultats aux opérateurs, assortis d’incitations financières pour y parvenir. Dans cette évolution de la politique tarifaire applicable aux TCU qui est décentralisée, l’État doit veiller à la production et au partage des données technico-économiques sur les TCU, inciter à la réalisation d’une évaluation socioéconomique des changements tarifaires significatifs dans les AOM de grande taille, et prévoir de moduler ses aides en fonction de la contribution des usagers. 

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