Figure du jazz brésilien, Hermeto Pascoal s’est éteint le 13 septembre 2025, laissant derrière lui une œuvre inclassable. Multi-instrumentiste, compositeur génial et improvisateur insatiable, il aura marqué plus d’un demi-siècle de musique en transformant son univers en laboratoire sonore : percussions, guitares, voix, flûtes, synthés, rien ne lui échappait. Ainsi, son approche visionnaire a inspiré plusieurs générations de musiciens, de Miles Davis à Egberto Gismonti. L’occasion de rendre hommage à ce « sorcier » de la musique ; aux frontières du jazz, du folklore et de l’avant-garde. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs albums de Hermeto Pascoal à écouter absolument, en vinyle de préférence !
Hermeto (Brazilian Adventure) (1970)
Brazilian Adventure (album originellement paru sous le titre Hermeto, 1970) demeure une carte d’intention fulgurante : laboratoire sonore, jazz tropical et invention permanente. Enregistré au A&R Studios à New York, ce disque voit le jeune Pascoal déployer ses trouvailles mélodiques et rythmiques au contact de musiciens de premier plan — Ron Carter, Hubert Laws, Airto Moreira et d’autres — et révèle déjà son goût pour les timbres insolites et la rupture de forme.
La production, orchestrée autour d’une esthétique à la fois sophistiquée et populaire, offre des plages où le folklore brésilien se frotte au free jazz, alternant plages lyriques et explosions de fantaisie orchestrale : une signature qui fera déjà de Pascoal une figure tutélaire.
Slaves Mass (1977)
Paru en 1977 sous le label Warner Bros., Slaves Mass est l’un des jalons les plus audacieux de la discographie foisonnante d’Hermeto Pascoal. Produit en collaboration avec ses complices de toujours, Airto Moreira et Flora Purim, l’album propose une alchimie rare entre jazz, musique brésilienne et avant-garde expérimentale.
Dès le morceau d’ouverture, « Mixing Pot (Tacho) », Pascoal expose une créativité sans frein : polyrythmies complexes, usage inventif de timbres et passage fluide entre les instruments acoustiques et électriques. Le titre éponyme, « Slaves Mass (Missa dos Escravos) », interroge la condition humaine tandis que « Just Listen » offre une évasion plus intime au piano.
Ce disque séduit autant par son ambition que par sa cohérence : la virtuosité des musiciens invités (Ron Carter, Raul de Souza…) sert une vision artistique totale où les frontières entre composition et improvisation se dissolvent.
Zabumbê-bum-á (1979)
Paru en 1979 chez Warner Bros (enregistrement initial de 1978), Zabumbê-bum-á s’inscrit dans le sillage de Slaves Mass, mais pousse encore plus loin l’exploration audacieuse du musicien. Hermeto Pascoal y mêle jazz fusion, avant-garde et rythmes issus des traditions nordestines — baião, maracatu — dans un mélange déroutant.
L’album se distingue par ses contrastes : des compositions structurées (« Suite Paulistana ») alternant avec des morceaux plus libres et évocateurs comme « São Jorge » ou « Santo Antônio », où parfois la voix, le spoken word ou les fragments de poésie s’entrelacent aux flûtes, claviers, guitares et percussions. Sur « Rede » ou « Pimenteira », Hermeto manipule les textures sonores avec un sens de l’espace remarquable : l’auditeur est tour à tour berce, puis secoué par des éclats de dissonance ou d’improvisation.
Une cartographie sonore du Brésil que Pascoal reconstruit à sa manière, où la tradition populaire se fait laboratoire d’idées.
Só não toca quem não quer (1987)
Sorti en 1987 sous le label Som da Gente, Só Não Toca Quem Não Quer s’impose comme l’un des disques les plus généreux et variés du Hermeto Pascoal de la seconde moitié de sa carrière. L’album rassemble une vingtaine de titres (la version remasterisée de 2022 prolonge l’expérience), mêlant pièces instrumentales, interventions vocales, poésie parlée, et collaborations remarquables.
Hermeto y joue de la bandola, de l’accordéon, du piano, des claviers et d’instruments plus insolites, entouré d’un groupe soudé : Jovino Santos Neto, Itiberê Zwarg (basse et tuba), Carlos Malta (flûtes, saxophones), Marcio Bahia (batterie, percussions), entre autres. Le morceau d’ouverture, De Sábado Pra Dominguinhos, invite immédiatement la chaleur du Nordeste via l’accordéon de Dominguinhos — contraste avec des pièces plus libres comme Zurich ou Garrote, où l’improvisation et les textures sonores surprennent.
Un disque fédérateur : danse, lyrisme, humour, invention rythmique, tout y est, sans compromis.
Mundo Verde Esperança (2003)
Publié en 2003 mais enregistré en décembre 2002 au studio Radio MEC de Rio de Janeiro, Mundo Verde Esperança s’inscrit comme l’un des jalons tardifs du Hermeto Pascoal & Grupo. L’album, d’une durée d’environ 65 minutes, déploie quatorze titres qui mêlent les styles : jazz brésilien, choro, samba, et touches plus expérimentales, dans une palette sonore aussi riche que variée. Hermeto joue des claviers DX7, Ensoniq, mélodica, flûte-basse, viola brésilienne, cavaquinho, percussions, flugelhorn, voix — multipliant les timbres, passant sans friction d’une texture contemplative à des éclats rythmés.
Le groupe, avec Marcio Bahia (batterie/percussions), Vinicius Dorin (saxes et flûtes), André Marques (piano), Itiberê Zwarg (basse), et Fabio Pascoal à la percussion, enrichit l’ensemble d’apports collectifs où les solos s’enchaînent sans jamais casser la cohésion.
Mundo Verde Esperança est un disque de maturité : moins radical qu’à ses débuts, Hermeto retrouve ici une forme de sérénité inventive.
No Mundo Dos Sons (2017)
Sorti en 2017 sur le label brésilien Selo Sesc, No Mundo Dos Sons marque le retour d’Hermeto Pascoal & Grupo après une pause discographique de quinze ans. Ce double album rassemble 18 titres où chaque morceau est une aventure à part entière et un hommage à des géants comme Tom Jobim, Miles Davis, Chick Corea, Thad Jones ou Sivuca.
Musicalement, No Mundo Dos Sons déploie tout le spectre de Hermeto Hermeto : flûtes, saxophones, piano, percussions, mais aussi des objets sonores non conventionnels — jouets, marmites, cuillères, sons d’enfants — signatures d’une créativité sans compromis. L’osmose du groupe est remarquable : Itiberê Zwarg à la basse, Ajurinã Zwarg à la batterie, André Marques aux claviers, Jota P. aux bois, tous contribuent à un dialogue foisonnant où tradition brésilienne, jazz contemporain et expérimentation se conjuguent.
Le vinyle, une culture
Si vous n’avez pas encore succombé au retour du vinyle, qui n’a par ailleurs jamais disparu, il est temps de vous y mettre.
Bien plus qu’un simple objet, il séduit de plus en plus, néophytes et passionnées, par la qualité de ses pochettes, sa fidélité sonore et la richesse du son.
De plus, il permet de se réapproprier l’instant et de prendre le temps.
Tout commence par ce petit rituel, où l’on choisit son disque, puis on extrait la galette de sa pochette et de son étui en plastique. Il faut ensuite la poser sur la platine, positionner soigneusement l’aiguille, savoir apprécier son crépitement si caractéristique, s’assoir et écouter, en parcourant la jaquette.
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Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne écoute.
Hakim Aoudia.