Pour les municipales, StreetPress change d’échelle et prépare 2027

Compatibilità
Salva(0)
Condividi

StreetPress s’engage dans la « bataille des municipales », à quelques mois des scrutins prévus en mars 2026. Au cœur de cette nouvelle offre éditoriale, une carte interactive de la France qui attribue à chaque commune une note de risque, de A à E, sur le modèle du Nutri-score, indiquant la probabilité de bascule vers l’extrême droite. L’outil offre ainsi une lecture immédiate des tensions locales, département par département, et suggère des moyens d’agir.

Un projet ambitieux et coûteux, accompagné d'une facture de 300 000 euros, qui a mobilisé une grande partie de la rédaction pendant près de neuf mois. Mais pour StreetPress, il s’agit d’un chantier essentiel, à la fois éditorial et politique, pour « riposter » face à une extrême droite dont le projet menace la presse indépendante et les valeurs portées par le média depuis sa fondation. Cette carte marque aussi une nouvelle étape : en renforçant son maillage territorial, le média s’adresse directement aux habitant·es bien au-delà de l’Île-de-France où il est né.

Renforcer le maillage territorial

Positionné sur Paris et sa banlieue à ses débuts, StreetPress parle désormais à un lectorat réparti dans toute la France. « Longtemps, on a couvert l’Île-de-France en se disant que c’était déjà un pays en soi, avec ses millions d’habitant·es et sa diversité. Aujourd’hui, on couvre la France entière », raconte Johan Weisz-Myara, fondateur du média en ligne lancé en 2009, qui précise que la carte prolonge une expertise d’enquête déjà éprouvée lors de précédents scrutins : « 65 enquêtes sur des candidat·es ou des suppléant·es de la droite radicale et de l’extrême droite lors des législatives » confirme-t-il.

Pour toucher ce public dispersé aux quatre coins du pays et diffuser plus largement ses enquêtes, StreetPress a trouvé dans la carte un support efficace. L’expérience n’est pas nouvelle : en 2022, le média avait publié une cartographie des hooligans en France, puis en 2024, CartoFaf, qui a totalisé 1,7 million de vues depuis son lancement. La nouvelle carte consacrée aux municipales, accessible sur inscription par email, enregistre 24 000 inscrit·es deux jours après le lancement, puis 31 000 la veille de la publication de cet article, selon Johan Weisz-Myara.

Au-delà de la consultation, les inscrit·es peuvent recevoir des newsletters dédiées à leur département. Pour y parvenir, la rédaction — modeste au regard des grands médias nationaux — combine curation d’articles de presse et automatisation. « On est sur plus de 35 000 communes avec  leurs listes de candidat·es. On n'a pas la capacité, même en multipliant par quatre le nombre de journalistes dans la rédaction, de travailler sur tous ces sujets » explique le fondateur de StreetPress. Un journaliste assure une veille nationale et les contenus rassemblés seront publiés sur la page « bataille des municipales ». Grâce à un système automatisé, chaque inscrit·e reçoit une sélection d’articles en fonction de son territoire.

Organisation et coûts : miser sur les partenaires

Bien conscient qu'une présence sur le terrain ne s'invente pas du jour au lendemain, le média d’enquête mise sur deux volets complémentaires pour assurer son implantation locale : la formation et la mise en relation avec des associations et ONG.

Côté formation, un programme destiné aux journalistes, devant démarrer « sous peu », sera consacré à « l’OSINT et à (leurs) méthodes d’enquête sur l’extrême droite ». Une formation gratuite, ouverte à toutes et tous, sans contrepartie. Un·e journaliste salarié·e d’une autre rédaction peut y participer « même si on n’utilise aucun de ses articles par la suite » assure Johan Weisz-Myara.

Le média s’adresse aussi aux citoyen·nes, avec des formations consacrées à « mieux connaître l’extrême droite, pour mieux la combattre » ainsi qu'aux créateur·ices de contenus sur Internet. « Notre but, c'est de leur donner les clés et les outils pour qu'ils·elles se sentent légitimes à prendre la parole sur ces sujets quand des médias professionnels ont publié des enquêtes » explique le directeur du média, qui voit dans ces acteur·ices du web des relais clés. Ces formations, différentes de celles destinées aux journalistes, sont actuellement ouvertes aux candidatures et s’adressent aux créateur·ices de contenus évoluant sur de multiples plateformes (YouTube, Instagram, TikTok…).

Depuis le lancement du projet, StreetPress a pu également compter sur le soutien de médias partenaires, comme Basta!, Vert ou Splaan ! pour partager la carte auprès de leur lectorat, voire collaborer sur des enquêtes ponctuelles dans le cadre des municipales, mais sans « cadres très bureaucratiques » relativise Johan Weisz-Myara.

Informer… et proposer des voies d’action

Mais avec ce projet, StreetPress ne cherche pas seulement à informer. Face à des citoyen·nes parfois « paralysé·es », comme le décrit Johan Weisz-Myara, le média veut proposer des gestes concrets. Sur la page du projet, des structures comme Greenpeace, Terres de Luttes ou Victoires Populaires sont listées pour aiguiller celles et ceux qui souhaitent s’impliquer. Lorsqu'un·e utilisateur·ice clique sur une commune, il·elle se voit proposer plusieurs options, parmi lesquelles : « Vous souhaitez vous engager ? ». Cette dernière propose alors à l'utilisateur·ice de recevoir un email « pour rejoindre l’une des campagnes de mobilisation de nos partenaires ». La page permet également de s'abonner à une revue de presse locale ou de communiquer des informations à StreetPress via une page dédiée, donnant au projet une dimension d'enquête collaborative.

Capture d'écran des options proposées au lectorat dans le cadre du projet de la bataille des municipales.

Pour le fondateur du média, l’enjeu est d’être « un catalyseur » des forces, entre ONG, médias et citoyen·nes, et de faciliter la mise en relation de ces acteurs engagés autour d’une mission commune et de valeurs partagées. « Il n'y a pas d'apport financier des ONG » précise Johan Weisz-Myara. « L’idée, c’est qu’on avance ensemble sur le projet, et les ONG peuvent évidemment partager la carte à leurs bénévoles et à leurs membres si elles le souhaitent. »

Financement et transparence

Alors, qui règle la note des 300 000 euros annoncés ? Le site indique que le projet est « financé en partie sur les fonds de StreetPress, ensuite par plusieurs fondations qui nous soutiennent et enfin grâce aux dons des lecteurs et citoyens » permettant de couvrir les frais de développement de la carte, le travail de l'enseignant-chercheur Alessio Motta, les déplacements sur le terrain, etc. Qui sont ces « fondations partenaires » ? StreetPress ne communique pas sur les noms pour l'instant : « Il y en a qui ne le souhaitent pas et on n'a pas forcément la confirmation de celles qui le souhaitent. Pour l'instant, on ne peut pas communiquer dessus. J'espère pouvoir le faire bientôt. » confie Johan Weisz-Myara.

L'accès à la carte nécessite une inscription

Si l'accès à la carte est gratuit, il reste conditionné à une inscription par email et à l’acceptation de recevoir des nouvelles de StreetPress et de ses partenaires, sous la promesse « Pas de spam, que de l’info ». Un moyen d’informer, de fidéliser et de tisser un lien direct avec le lectorat — dans l’espoir aussi de convertir certains contacts en soutiens financiers, pour consolider l’indépendance du média.

Mesurer le succès et préparer 2027

L’ambition est claire : prolonger l’expérience si elle est concluante. « C'est un échauffement à taille réelle avant 2027 », résume Johan Weisz-Myara. « On aura tout intérêt à garder la recette, à l'adapter et à l'augmenter encore pour le scrutin d'après ». Le succès ne se mesure ni au nombre de visites, ni au taux d’inscription et de clic ; pour une rédaction qui n’a pas « vocation à être rentable » l’enjeu est ailleurs assure-t-il : il s’agit avant tout « d'instituer une dynamique d'écosystème » entre médias, associations, ONG et citoyen·nes, et de construire un lien durable avec les parties prenantes, au-delà du projet éditorial.

Mais se positionner comme « catalyseur » de la société civile face à la menace de l'extrême droite n’a rien d’anodin et s'avère d’autant plus exigeant pour un média indépendant aux marges, financières comme humaines, limitées. Est-ce à StreetPress de s'y coller ? Pour la rédaction, ce travail de fédération et la mise à disposition d’outils concrets est une évidence, s'inscrivant pleinement et logiquement dans sa mission journalistique et de la promesse faite à ses lecteur·ices. « Tout ce pourquoi un média comme StreetPress se bat, sur l’inclusion ou la justice sociale, peut être remis en cause si l'extrême droite prend le pouvoir », prévient Johan Weisz-Myara.

StratégieStreetPressCarteFormatMarketingPartenariat

Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté et de la newsletter des 10 liens.

La newsletter de Médianes

La newsletter de Médianes est dédiée au partage de notre veille, et à l’analyse des dernières tendances dans les médias. Elle est envoyée un jeudi sur deux à 7h00.


Recapiti
Owen Huchon