Figure majeure du XXᵉ siècle, Robert Badinter rejoint le Panthéon, consacrant une vie vouée à la justice, à la liberté et à la dignité humaine. À cette occasion, il est plus que jamais temps de redécouvrir ses ouvrages, où la rigueur de l’avocat se mêle à la plume du moraliste et de l’homme d’État. De L’Abolition, témoignage bouleversant sur son combat contre la peine de mort, à Idiss, hommage intime à sa grand-mère immigrée, en passant par ses réflexions sur la République et les droits fondamentaux, chaque livre éclaire une facette d’un esprit profondément humaniste. Ses écrits, à la fois lucides et empreints d’une haute exigence morale, offrent un regard rare sur la France, ses valeurs et ses contradictions. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs livres de Robert Badinter à lire absolument !
L’Exécution
Paru en 1973, L’Exécution de Robert Badinter est bien plus qu’un témoignage : c’est un acte de foi, un cri contre l’irréparable. L’ouvrage relate le procès de Claude Buffet et Roger Bontems, deux hommes condamnés à mort, dont l’un — Bontems — n’avait jamais pris une vie. Badinter, avocat passionné, y dissèque les rouages d’une justice qui tue, interroge son propre rôle d’avocat, et expose la tension entre les formes rigoureuses du droit — procédures, expertises, vices de forme — et ce qu’elles peuvent coûter en vies humaines.
Le style est à la fois âpre et sensible : chaque page porte le poids du drame, mais aussi celui de la réflexion morale. Le combat de Badinter, déjà, se dévoile dans ce récit déchiré entre haine, sang, mort… et une forme d’amour — celui du défenseur pour la vie, pour la dignité.
Idiss
En 2018, Robert Badinter signe Idiss, un livre aussi intime qu’universel, une ode à sa grand-mère maternelle — Idiss — immigrée juive de l’Empire russe, qui quitte la Bessarabie en 1912 pour rejoindre Paris. Sa voix, dans cet ouvrage, n’est pas celle d’un biographe froid : c’est celle d’un petit-fils se souvenant des brioches à la pâtisserie, des après-midi à l’ombre d’une présence bienveillante, et du mélange de français et de yiddish à la maison. Mais ce récit personnel s’inscrit dans l’Histoire — celle des pogroms, de l’antisémitisme tsariste, puis de l’Occupation, qui rattrape cette famille qui croyait en la République.
Badinter ne prétend pas à une biographie exhaustive, ni à un essai sociologique : il offre plutôt un portrait vibrant, empreint de pudeur et de tendresse, où le devoir de mémoire se conjugue avec la gratitude filiale.
L’Abolition
L’Abolition, paru en 2000, est l’ouvrage-phare dans lequel Robert Badinter retrace son long combat pour faire tomber le rideau sanglant de la peine de mort en France. Dès les premières pages, le récit nous ramène à la nuit du 24 novembre 1972, date de l’exécution de Claude Buffet et Roger Bontems — symbole de l’injustice frappante que Badinter refuse de taire. L’auteur, avocat devenu Garde des Sceaux, évoque minutieusement les arcanes politiques, juridiques et moraux de cette bataille qui s’achève le 30 septembre 1981, avec le vote de l’abolition.
Ce livre n’est pas seulement un document historique : c’est un témoignage vibrant, fait de colère, de doute, mais aussi de conviction profonde — celle que l’humanité a le pouvoir de transcender ses peurs.
Les Épines et les Roses
Dans Les Épines et les Roses, Robert Badinter livre un récit puissant et nuancé de son passage au ministère de la Justice, de l’abolition de la peine de mort en octobre 1981 jusqu’à son départ de la Chancellerie en février 1986. Ce livre est le témoignage d’un homme au plein pouvoir, mais aussi d’un homme confronté aux limites de ce pouvoir. Peu à peu, les projets se concrétisent – suppression des juridictions d’exception, dépénalisation de l’homosexualité, renforcement des droits des victimes, ouverture aux citoyens de la Cour européenne des droits de l’homme – mais les obstacles restent nombreux.
Badinter raconte ces années comme on médite une bataille ; il y mêle l’événement, les débats politiques, mais aussi ses convictions, ses tensions internes et les résistances de l’opinion. Les roses de l’action publique – les lois, les réformes, l’espoir – souvent fleurissent entre les épines de la critique, de la complexité administrative, des compromis. Le style se veut sobre, clair, précis : une langue de témoignage, mais aussi un message de fidélité à ce que devrait être la justice dans la République.
Vivre
Avec Vivre, Robert Badinter offre un livre à la fois ultime et profond, qui se déploie entre mémoire personnelle et engagement pour l’humanité. L’auteur ne se contente pas de raconter sa vie ; il revisite ses souvenirs d’enfant marqué par l’arrestation et la déportation de son père, évoque le poids de l’histoire, mais revendique : “Honorer les morts, s’en souvenir et vivre.”
Par ces entretiens menés en 2006 et 2023 pour l’INA et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, ce récit s’impose comme un dernier acte de vérité, porté par l’écrin de la sincérité. La plume, sobre et vibrante, évite l’apitoiement ; elle convoque l’épreuve humaine pour rappeler ce que signifie résister à l’oubli. Vivre ne se limite pas à un devoir de mémoire agaçant : il est une leçon de dignité, un chant modeste mais indispensable pour comprendre ce qu’il y a d’humain dans la fidélité à ceux qui ne sont plus.
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Hakim Aoudia.
