La simulation numérique au service de la prévention de catastrophes naturelles

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Mis à jour le 10/10/2025

Dans un monde de plus en plus marqué par les catastrophes naturelles, il est important de pouvoir anticiper l’impact d’un tsunami, l’évolution d’une nappe phréatique ou encore le mouvement d’une banquise. Au Centre Inria de l’université de Bordeaux, l’équipe-projet Cardamom travaille en coulisse à la simulation numérique des phénomènes naturels extrêmes pour mieux les comprendre et améliorer la prévention des risques majeurs.

© Cardamom

Des outils mathématiques pour simuler des catastrophes naturelles

Avant de pouvoir prendre une décision face à un avis de tempête ou de raz-de-marée, il faut comprendre comment ces phénomènes se forment, se propagent et interagissent avec l’environnement. Pour cela, les spécialistes du risque s’appuient sur des outils numériques de simulation. Ces outils reposent, en amont, sur un travail discret mais essentiel : celui des chercheurs en mathématiques appliquées. L’équipe-projet Cardamom développe des méthodes et des outils qui permettent de transformer la physique des fluides en simulations exploitables

« Nous ne sommes ni physiciens, ni informaticiens au sens opérationnel. Notre rôle est de développer les outils mathématiques et numériques qui rendent les simulations possibles, pertinentes et efficaces. » précise Nicolas Barral, maître de conférences en Calcul Scientifique et chercheur au sein de Cardamom.

Imaginons une énorme vague dans la Méditerranée, provoquée par un glissement de terrain sous-marin. Avant que cette vague n’atteigne les côtes, plusieurs phénomènes physiques complexes s’enchaînent : marées importantes, dépression atmosphérique, tempête provoquant de grosses vagues… Pour anticiper les conséquences d’une telle succession d’événements, il faut des logiciels capables de simuler ce processus dans son ensemble, de son origine à son impact. Toutefois, les outils permettant la simulation ont leurs limites : temps de calcul trop longs, faible précision, coûts trop élevés ou incapacité à intégrer certains paramètres physiques complexes.

Trois étapes pour transformer la physique en prévisions

C’est là que Cardamom intervient. L’équipe écrit les équations qui décrivent la physique du phénomène, puis les transforme en algorithmes et codes informatiques. Leur travail repose sur trois étapes : 

  1. La modélisation : les lois physiques qui régissent le phénomène, par exemple : la dynamique d’une houle en prenant en compte les paramètres du vent, des marées... On la traduit en équations mathématiques, mais ces modèles sont souvent complexes ou trop coûteux à résoudre. Cardamom simplifie alors le problème en changeant d’échelle ou de niveau de détail, pour obtenir un modèle plus léger qui conserve les informations essentielles comme la hauteur de la vague, tout en étant adapté aux capacités de calcul.
  2. L’analyse numérique. Un ordinateur ne comprend pas les équations de la même manière qu’un humain. Il faut donc transformer ces équations en une forme numérique qu’il peut traiter. C’est ce qu’on appelle les méthodes numériques. Cardamom travaille à s’assurer que ces méthodes soient robustes (c’est d’ailleurs le "R" de Cardamom) : elles doivent être fiables et exactes, même dans des situations extrêmes.
  3. L’implémentation : une fois la méthode définie, il faut l’intégrer dans un code performant. Cette étape consiste à traduire les algorithmes en langage informatique, à optimiser les calculs et à s’assurer que les résultats seront aussi précis et rapides que possible. C’est ce qui permet, par exemple, de simuler rapidement l’impact d’une tempête ou d’un raz-de-marée, et de décider à temps s’il faut évacuer une zone.

Des calculs au terrain : de Mayotte à l'Arctique, des applications concrètes

Les travaux de Cardamom trouvent des applications concrètes dans de multiples domaines, généralement en lien avec des acteurs publics, ou industriels.

L’équipe-projet collabore notamment avec le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) sur des phénomènes complexes tels que les tsunamis ou les submersions marines. Un cas récent portant sur l’Archipel de Mayotte montre qu’un glissement sous-terrain peut générer une onde destructrice. La simulation de ce phénomène, dans son ensemble, (du fond de l’océan jusqu’à l’impact sur les côtes), permet d’anticiper les dégâts et de mieux dimensionner les dispositifs de protection. 
« Ce qu’on cherche à savoir, c’est si la vague sera plus haute que la digue. Si oui, quelles zones faut-il évacuer ? À quel moment ? »  résume Martin Parisot, chargé de recherche chez Cardamom.

Autre exemple : la modélisation de la banquise arctique, menée en collaboration avec des géophysiciens de Grenoble et de Norvège. Ces chercheurs ont développé un code de simulation servant un objectif scientifique, pour explorer les phénomènes physiques liés à la glace, et opérationnel pour prévoir à long terme de la banquise dans un contexte de changement climatique, mais aussi pour gérer les risques à très court terme, comme l’arrivée d’un bateau dans des eaux gelées. Dans ce projet, les physiciens disposaient déjà d’un code fonctionnel basé sur leur propre modélisation physique. Mais ils ont fait appel à l’expertise de Cardamom pour employer une de leur méthode numérique : celle du maillage, autrement dit une façon de représenter la banquise sous forme de petits triangles qui permettent de découper le domaine en unités simples que l’ordinateur peut traiter plus facilement. 

Verbatim

L’idée est de pouvoir prédire les mouvements de la glace au jour le jour, pour tracer des routes maritimes qui évitent les zones les plus dangereuses. C’est à la fois un risque climatique à long terme et un risque logistique à court terme : éviter qu’un bateau se retrouve prisonnier de la glace. 

Auteur

Nicolas Barral

Poste

Maître de conférences à l'Enseirb-Matmeca et chercheur au sein de Cardamom

Défis et ambitions

Le plus grand défi à ce jour, selon l’équipe de Cardamom, est le passage à l’échelle : faire en sorte que les méthodes développées soient capables de fonctionner sur des domaines plus vastes, avec une meilleure précision, dans des délais plus courts.

Ce défi est d’autant plus complexe qu’il ne s’agit pas seulement d’optimiser les calculs. Il faut aussi choisir le bon niveau de détail, selon la situation, et parfois mixer différentes approches. Un peu comme si on devait choisir entre une loupe et un satellite selon ce qu’on veut observer, tout en gardant la même fiabilité dans les résultats. Maria Kazolea, chargée de recherche chez Inria, explique : « Une loi physique très précise n’est pas toujours la meilleure à utiliser si elle rend le problème insoluble. Il faut constamment trouver un équilibre entre complexité et efficacité»

Au-delà des équations et des algorithmes, les chercheurs de Cardamom sont motivés par un engagement scientifique et humain : ils souhaitent que leurs méthodes soient employées par d’autres, qu’elles soient utiles à la société en répondant à des besoins concrets. « On ne cherche pas de prix Nobel » sourit Mario Ricchuito, le responsable de l’équipe-projet Cardamom. « On apprend chaque jour de nouvelles informations qui nous permettent de dépasser les connaissances et les compétences déjà acquises sur ce sujet complexe. Nous participons à des nouvelles découvertes extrêmement riches sur les phénomènes côtiers et c’est ce qui fait sens tant d’un point de vue théorique qu’applicatif. »

Prévenir les risques au-delà de les prévoir

Au-delà de la Journée annuelle de prévention des risques naturels, les travaux de l’équipe-projet Cardamom rappellent que prévenir les risques, ce n’est pas seulement prévoir ce qui va arriver. C’est aussi développer, en amont, les outils qui permettront à d’autres (des physiciens ou des géologues par exemple) de comprendre, d’anticiper et d’agir à temps. Ces outils, qui prennent leur source dans les mathématiques se concrétisent dans des logiciels qui peuvent, à terme, protéger des vies.

© Freepok / Photo Fimufilms
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