De Paris à Yale, une collaboration scientifique au cœur du quantique

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Mis à jour le 15/10/2025

Lauréat du prix Nobel de physique 2025, Michel Devoret a longtemps collaboré avec Mazyar Mirrahimi, responsable de l'équipe QUANTIC du centre Inria de Paris. De cette alliance est née une approche novatrice pour stabiliser et protéger l’information quantique, connue sous le nom de “qubits de chat”. Retour avec Mazyar Mirrahimi sur plus de quinze années de collaboration.

Vous collaborez avec Michel Devoret depuis plus de quinze ans. Qu’est-ce qui a rendu cette collaboration si féconde ?

En effet, après deux années sabbatiques dans l’équipe de Michel Devoret en 2011 et 2012, j’ai partagé mon temps entre Inria et l’université de Yale jusqu’à la fin de l’année 2019. Durant cette période, nous avons collaboré sur un large éventail de sujets liés à la mesure, au contrôle et à la stabilisation de systèmes quantiques, la correction d’erreur et la tolérance aux pannes dans les qubits supraconducteurs, ce qui a donné lieu à une trentaine d’articles théoriques et expérimentaux

Avec quelques-uns de mes étudiants, nous avons assuré le support théorique des expériences menées par l’équipe de Michel Devoret, ainsi que par celle de Robert Schoelkopf, son collaborateur proche à Yale. Ce séjour au sein d'un laboratoire expérimental, marqué par des échanges quotidiens avec Michel et les membres de son équipe,  m’a permis de mieux appréhender les limitations techniques, et ainsi de développer des approches théoriques robustes face à ces contraintes. Ainsi, une grande partie des protocoles que nous avons conçu ont pu être rapidement testés grâce aux expériences menées par les équipes de Michel Devoret et de Robert Schoelkopf, donnant lieu à des résultats majeurs publiés dans des revues telles que Science et Nature

Vos travaux communs ont contribué à faire émerger de nouvelles façons de “protéger” l’information quantique. En quoi ces idées ont ouvert de nouvelles perspectives pour les ordinateurs quantiques ?

Parmi les projets menés au cours de cette collaboration, le développement d’une nouvelle méthode d’encodage d’information quantique dans des états dits de chat de Schrödinger du champ électromagnétique micro-onde constitue sans doute le résultat le plus marquant. Dans une série d’articles théoriques et expérimentaux à partir de 2013, nous avons proposé d'exploiter l’espace de Hilbert, de dimension infinie, d’un système quantique simple, un oscillateur harmonique quantique, pour encoder l’information d’un bit quantique (qubit) tout en gardant la possibilité de corriger certains types d’erreurs. En outre, en dotant ce système d’un mécanisme dissipatif non linéaire soigneusement conçu, nous avons proposé de corriger ces erreurs de manière autonome. 

Ces propositions ont conduit à la notion des qubits de chat, aujourd’hui étudiée par plusieurs groupes académiques, et adoptée comme voie privilégiée vers un processeur quantique tolérant aux pannes par des entreprises telles qu'Alice&Bob en France ou Amazon Web Services aux Etats-Unis.

Quelles sont, selon vous, les prochaines grandes questions ou verrous scientifiques à lever pour faire avancer encore la recherche en informatique quantique ?

La correction d’erreurs quantiques reste au coeur des préoccupations de la majorité des acteurs du domaine, dans la perspective de construire un processeur tolérant aux pannes. Le surcoût matériel important qu’elle implique constitue un obstacle majeur pour le développement rapide des machines fiables et réellement utiles. Les théoriciens poursuivent leurs recherches afin de concevoir de nouvelles méthodes d’encodage, de protection et de manipulation de l’information quantique, dans le but de réduire ce surcoût. De leur côté, les expérimentateurs parviennent, d'année en année, à mettre en oeuvre des systèmes de plus en plus complexes. J’espère donc que, dans un avenir pas trop lointain, ces avancées convergeront et rendront possible la réalisation d’un processeur quantique fiable, permettant de tester les premiers algorithmes concrets.  

Recapiti
Inria