Jean-Claude Guillebaud, disparu ce samedi 8 novembre 2025 à l’âge de 81 ans, laisse derrière lui une œuvre littéraire aussi exigeante qu’indispensable. Journaliste et écrivain, lauréat du prix Albert Londres, fondateur de Reporters sans frontières, directeur littéraire au Seuil puis à Arléa, il a marqué plusieurs générations par sa plume acérée et son regard sans concession sur les mutations de notre époque. Ses essais interrogent avec une rare profondeur les crises de sens, les dérives du progrès et les recompositions spirituelles d’un monde en pleine accélération. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs livres de Jean-Claude Guillebaud à lire absolument !
La Traversée du monde
Jean‑Claude Guillebaud nous offre, avec La Traversée du monde, un panorama exceptionnel de ses vingt années de reportages et d’errances : de l’Asie à l’Océanie, de l’Est sibérien à la route des Croisades, il assemble dans ce volume les récits fondateurs de son œuvre.
Plus qu’un simple carnet de route, ce livre interroge le monde en mutation : ses conflits géopolitiques, ses métissages civilisationnels, ses écarts entre modernité et altérité. Guillebaud y conjugue la précision du journaliste à la sensibilité de l’écrivain. Une invitation à voir le monde autrement, à travers le prisme d’un humaniste qui a fait de l’altérité sa boussole.
Entrer dans la douceur
À rebours des prophètes de malheur et des chantres d’un monde en décomposition, Jean-Claude Guillebaud ose un manifeste aussi audacieux qu’indispensable : Entrer dans la douceur. Témoin des fractures du siècle, l’essayiste transforme ici la fragilité apparente en force subversive. Face à la brutalité des temps, à la montée des nationalismes et aux illusions d’une société obsédée par la performance, Guillebaud rappelle que la douceur n’est ni faiblesse ni résignation, mais une arme de combat, une résistance lucide et généreuse.
S’appuyant sur une culture littéraire et spirituelle profonde, il convoque poètes, penseurs et figures évangéliques pour dessiner une autre voie : celle d’une humanité capable d’entraide, de tendresse, et de refuser la loi du plus fort. Son essai, lumineux et engagé, est un appel à retrouver ce qui, en chacun de nous, peut encore sauver le monde de sa propre barbarie. Un livre salutaire, qui redonne foi en l’avenir sans jamais tomber dans l’angélisme.
Le Commencement d’un monde
Dans son essai Le Commencement d’un monde – Vers une modernité métisse, publié aux éditions Éditions du Seuil en 2008, Jean‑Claude Guillebaud interroge la mort annoncée de l’hégémonie occidentale et l’avènement d’un monde « métis », à la croisée des civilisations. Il récuse l’argument d’un « choc des civilisations », soulignant au contraire l’émergence d’une réalité planétaire fondée sur l’échange, le métissage, la rencontre.
Fidèle à son style d’enquêteur moral, il déroule une analyse dense et documentée — de l’Afrique contemporaine à la Chine numérique — pour montrer que la modernité ne sera plus seulement celle de l’Occident mais celle d’un « ailleurs » désormais à ciel ouvert. Avec une écriture sobre, incisive et réfléchie, il propose au lecteur de regarder le monde non comme un théâtre de confrontation, mais comme un chantier de transformation.
La Tyrannie du plaisir
La Tyrannie du plaisir de Jean‑Claude Guillebaud interroge avec acuité les nouveaux étalons moraux de nos sociétés. L’essayiste s’y affaire à « poser clairement la question de la morale sexuelle », et notamment « de la place de l’interdit », dans une époque où l’on croyait l’interrogation dépassée.
Refusant l’alternative binaire entre « permissivité claironnante ou moralisme nostalgique », il renouvelle le débat en revisitant les savoirs — historiques, sociologiques, psychologiques — qui entourent la sexualité et le désir. Au fil de près de 490 pages, il déploie une réflexion aussi rigoureuse que provocatrice : la jouissance, loin d’être un droit sans conditions, peut devenir instrument de domination, quand l’éthique s’efface devant la performance et le culte de l’immédiat.
Une autre vie est possible
Dans Une autre vie est possible, Jean‑Claude Guillebaud adresse un véritable manifeste contre la résignation ambiante. Il ne s’agit pas de naïveté : l’auteur, ancien grand reporter, connaît les ravages de la désespérance et affirme que « la réalité n’est jamais aussi sombre ». À rebours de l’individualisme, il invite à redécouvrir l’espérance comme « lucide mais têtue » — non pas comme un vœu pieux, mais comme un levier de transformation.
Dans dix courts chapitres, il dissèque les racines d’un mal-être social diffus — repli, scepticisme, perte de vision collective — et propose un réveil de l’action et de la solidarité. Ainsi, cet essai s’impose comme un antidote à la capitulation : « L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre ».
La Force de conviction
Dans La Force de conviction, Jean‑Claude Guillebaud s’attaque à l’un des grands paradoxes de notre temps : « croire sans se fourvoyer, douter sans céder à l’indifférence ». Il oppose la croyance aveugle au scepticisme total — et affirme que « nul homme ne peut vivre sans croyance ».
Guillebaud explore avec son habituelle érudition les terrains de la conviction : science, religion, idéologie, économie. Il observe que notre société, purgeant les utopies du XXᵉ siècle, reste pourtant affamée de sens. Un vide s’est creusé entre la nostalgie des grandes croyances et l’irrésolution autocentrée du présent. Il invite également le lecteur à revisiter sa propre « force de conviction » — à distinguer ce qui tient du dogme et ce qui relève d’un assentiment réfléchi. Un essai de lucidité exigeante, destiné à ceux qui refusent la tentation du cynisme mais aussi la séduisante facilité de la foi sans examen.
Je n’ai plus peur
Dans Je n’ai plus peur, Jean‑Claude Guillebaud livre son récit le plus intime à ce jour : celui d’un homme qui, après avoir traversé ses propres peurs — solitudes, doutes, blessures —, choisit de se tenir debout dans une espérance lucide.
L’écriture est sobre et vraie : « Pourquoi le nierais-je ? L’optimisme têtu qui éclaire ma vie … est le fruit d’une histoire, avec ses détours, ses larmes et ses impasses. »
Ce livre se fait tout autant confession que propos philosophique : en partageant ses peurs, Guillebaud propose d’en retirer ce que toute existence peut convoquer — la joie de vivre, l’envie d’être, l’ouverture à l’autre. Sa voix est celle d’un témoin aguerri, non pas du triomphe, mais de la résilience.
La Refondation du monde
Dans La Refondation du monde, Jean‑Claude Guillebaud déploie une vaste méditation sur l’état de notre modernité, persuadé que notre « air du temps » porte un malaise plus profond que celui que les médias relaient habituellement. Selon lui, c’est la fin du geste universaliste, l’hégémonie du marché, la « démocratie d’opinion » et la désaffection pour les grands récits qui ont fragilisé notre conscience collective.
Guillebaud revisite ainsi six valeurs fondatrices — progrès, égalité, raison, liberté, universel, individu — et les interroge à l’aune de leur héritage gréco-judéo-chrétien. Il montre comment, abandonnées ou déracinées, elles ouvrent la voie à une « nouvelle barbarie ».
Plus qu’un simple essai critique, cette œuvre se présente comme un appel à la « refondation » : redonner sens à « ce à quoi nous croyons et vers quel futur nous marchons ».
L’Esprit du lieu
Avec L’Esprit du lieu, Jean-Claude Guillebaud nous offre bien plus qu’un recueil de voyages : une quête poétique et philosophique, où chaque escale – de Katmandou à l’Islande, de la Haute-Égypte à San Francisco – devient le théâtre d’une révélation. L’auteur y interroge cette « immatérielle pépite » qui, soudain, nous saisit et nous marque à jamais. Qu’est-ce qui, dans ces lointains énigmatiques, nous parle avec tant de force ? Comment un lieu, une lumière, une rencontre, peuvent-ils s’inscrire en nous comme un trésor indéfinissable ?
Guillebaud nous rappelle que voyager, c’est aussi chercher l’écho de soi dans l’étrangeté du monde. Ses textes, courts mais percutants, sont autant d’invitations à reconnaître, derrière le paysage, l’âme secrète des lieux. Un livre qui parle à tous ceux qui, comme Aragon, savent qu’on « arrive où l’on est étranger » – et que c’est là, justement, que tout commence.
