Santé mentale des journalistes : Libérer la parole #1 - Le témoignage de Marie-Paule sur la dépression - CFDT journalistes - rejoignez-nous !

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« Vivre une dépression seul, c’est l’échec assuré ! »

Marie-Paule* a traversé une dépression provoquée par le harcèlement subi dans le cadre du travail. Elle a réussi à surmonter cette épreuve grâce à ses proches, et au syndicat, où elle se sent reconnue.

« Cela a commencé il y a dix ans. Cela faisait dix années que j’étais journaliste mais ne semblais plus avoir de perspectives d’évolution professionnelle. Le groupe développait alors un site internet et le journaliste qui s’en occupait et avec qui je m’entendais bien m’a proposé de rejoindre son équipe. Le Net m’intéressait, c’était l’occasion de mieux mesurer la concurrence locale : à 50 ans, c’était une bonne occasion de donner un coup de boost, d’oublier les contraintes de bouclage et les prises de tête avec la pub. Le Net représentait pour moi une liberté totale. L’instantanéité me séduisait et ce nouvel élan au sein d’un « pure-player » correspondant bien à mes horaires.

Sur le papier, ça avait l’air génial. Les premiers jours ont d’ailleurs été formidables. En réalité, je suis tombé sur un manager dont on dirait aujourd’hui qu’il est un pervers narcissique, un vrai malade mental – cela s’est d’ailleurs avéré dans le domaine professionnel et dans son domaine familial -, qui m’a persécutée pendant trois mois. Concrètement, lorsque j’avais fait plus que mes heures et que je m’en allais, il me demandait si je partais « déjà » par exemple. Il ne m’a jamais fait le moindre reproche sur mon travail. Je n’étais simplement pas assez rapide à son goût dans un contexte où les tâches apparaissaient non-stop. Il m’est arrivé de mettre un fait divers en ligne à la maison, avec l’ordinateur à table alors que nous recevions du monde, alors que je ne travaillais pas ce soir là.

Il a voulu rapidement que je travaille aussi le week-end, sur une grande zone à couvrir, avec deux ordinateurs dont l’un pour la veille, etc.

Insurmontable

C’est devenu insurmontable, une montagne que je ne pouvais pas gravir. J’ai vécu des mails qui tombaient dès 6 h le matin, de la veille en permanence, etc. Il y avait des réflexions permanentes, des remarques désobligeantes : il se plaçait derrière moi pendant que j’écrivais pour me mettre la pression, et soudainement je faisais des fautes de frappe, je ne connaissais pas les noms des communes ou des personnes… Il me le reprochait.

En trois mois, je n’ai déjeuné qu’une seule fois à l’extérieur. Sinon, c’était sandwich sur l’ordinateur et c’était du non-stop. Les horaires n’étaient pas respectés. La vie privée n’était pas respectée. Il appelait à n’importe quelle heure. J’avais le téléphone à la main constamment. Il me prenait à partie en pleine réunion parce que je lui préparais une note qu’il nous avait réclamée. C’était une forme de harcèlement que je n’avais pas vraiment identifiée. Selon moi, j’étais mauvaise, pas à la hauteur, etc. Il avait un certain charisme et je ne me suis pas rendue compte qu’il allait me faire souffrir et que j’allais souffrir terriblement. Il me faisait porter le chapeau sur certaines erreurs qu’il faisait lui et je ne réagissais pas. J’étais devenue une espèce de loque et cela faisait peur à tout le monde à la maison : j’étais en train de me fissurer.

J’ai eu très peur

Puis un jour, j’ai été prise d’un mal de tête comme jamais. J’ignorais qu’une telle douleur pouvait exister. J’étais effondrée sur mon bureau. Je suis rentrée chez moi et là, il est arrivé une chose absolument incroyable : je ne crois pas du tout aux forces de l’esprit – même si je suis croyante -, mais de façon quasi inconsciente, je me suis rendue sur la tombe de mes parents et j’ai vraiment repris connaissance quand je me suis vue écroulée sur la tombe, comme si je regardais moi-même cette scène. Je pleurais sur la tombe de mes parents et je regardais cette scène. Je suis rentrée chez moi et là, j’ai eu très très peur.

Je me suis dit, il va falloir que j’en finisse d’une façon ou d’une autre. Heureusement, grâce à une famille extraordinaire et de nombreux soutiens, je me suis retrouvée chez un médecin psychiatre qui m’a arrêtée immédiatement. J’ai pris des médicaments, j’ai dépéri. Aujourd’hui encore, je me demande vraiment comment je suis arrivée au cimetière : j’ai été guidée, je n’y vais jamais si ce n’est pour fleurir la tombe à la Toussaint, ce n’était même pas ma route. Tout le monde sentait que je craquais et malgré cela, le grand patron m’avait déconseillée de prendre un arrêt de travail. Je n’ai pas eu le choix et le surlendemain de cet arrêt de travail, j’ai reçu un appel sur un ton peu amène de ce supérieur, me rappelant que je n’aurais jamais dû m’arrêter. 

ll traumatisait les gens

Je suis restée quatre mois en arrêt. Puis une clause de mon contrat me permettait de revenir à mon ancienne activité, sur le print. Un poste de localière dans un journal régional. Pendant longtemps, j’ai vu le back-office comme une espèce de monstre. Aujourd’hui encore, au moment de pusher un papier, j’ai du mal.

Aujourd’hui, je ne pense plus à cet épisode. Au début, lorsque je croisais ce manager, je fuyais. Puis je l’ai rencontré au supermarché avec une enfant, j’étais moi-même avec mon petit-fils : ce moment improbable, huit ans plus tard, a inscrit le mot fin sur cette histoire. J’avais vécu une auto-destruction par humiliations et accusations diverses tandis que je n’étais pas responsable et personne n’osait le contredire. Il traumatisait les gens. Ils avaient peur. Il y a eu des démissions. Certaines personnes voulaient le corriger. Une autre a fini par porter l’affaire devant les tribunaux. Je ne suis pas la seule à avoir été victime de cela et cela continue. Une jeune trentenaire qui forçait mon admiration a également fini par craquer. Il a fait de gros dégâts.

Il a été soutenu par la direction. Moi, j’étais devenue une sous-moins-que-rien, le paillasson sur lequel il s’essuyait en permanence. J’étais devenue sa victime et le pire c’est que c’est lui qui était venu me chercher. Je m’en suis sortie d’une manière assez cocasse : grâce au golf. C’était l’occasion de faire quelque chose à fond avec l’appui de mon entourage, avoir de nouvelles relations et ne plus penser au journal. On s’en sort grâce à son environnement familial et proche qui sait très bien que le problème n’est pas soi-même. J’ai énormément maigri, je ne fonctionnais qu’avec somnifères et antidépresseurs. Il m’est arrivé, au cours de cet épisode dépressif, d’inverser le sens de prise de ces médicaments ou de me tromper sur les doses prescrites… 

Un équilibre grâce au syndicat

Ce sont les gens qui sont toxiques ; pas le métier. Je connais d’autres personnes, dans d’autres professions qui vivent la même chose. Avec des méthodes similaires. J’ai tiré des sonnettes d’alarme mais la direction a couvert ce type qui a ses têtes de turc et a besoin de cela pour avancer. Le nombre d’alertes fut important et la direction n’a jamais rien fait,  a fermé les yeux sur bien des situations dont certaines assez troubles. Aujourd’hui, je suis guérie. J’en garde une cicatrice. Mais une belle cicatrice. Je peux la regarder sans problème sans oublier ce que j’ai vécu. J’ai avancé depuis et j’ai trouvé l’équilibre parfait entre vie professionnelle, famille et syndicat. Au sein de ce syndicat d’ailleurs, quand vous êtes sollicité et que vous répondez présent, vous êtes toujours remercié, encouragé, on compte sur vous. Il n’y a pas de jugement, pas de hiérarchie : on s’entraide et on prend du plaisir à le faire et cela me manquait. Si j’ai été cabossée et que j’ai encore parfois la crainte d’être mal considérée ou de mal faire, aujourd’hui, j’ai atteint un équilibre que je qualifierais de presque parfait : je sais et je sens que j’existe. 

Si cette expérience doit servir à quelque chose, même si l’on en ressort cabossé, c’est libérer la parole. Ne pas se cacher et en parler, au contraire. Ne surtout pas le garder sur soi. Personnellement, je savais que j’allais travailler à nouveau. Si je ne me supprimais pas, je savais que je retravaillerais. La fin n’était pas celle du métier. Vivre cela tout seul, c’est l’échec assuré. J’ai eu la chance d’être très bien entourée. »

*son prénom a été modifié

La maison de Noirmoutier où le soleil a fini par revenir grâce aux escapades familiales.

Désignée Grande Cause nationale en 2025, la santé mentale se trouve aujourd’hui au cœur des enjeux de santé publique alors qu’un Français sur quatre sera confronté à un trouble mental au cours de sa vie. Dans le cadre de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées dédiée cette année à la santé mentale, CFDT-Journalistes prend l’initiative d’ouvrir ses colonnes à plusieurs témoins avec pour objectif premier de libérer la parole. Mais pas seulement. Des ressources sont également proposées pour mieux connaître la santé mentale, sa prise en charge et la manière dont on peut s’en sortir.

Recapiti
Elise