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Troubles bipolaires : « C’est un combat permanent »

Guillaume Bouvy, 36 ans, a appris à exercer comme journaliste en composant avec son trouble bipolaire. Non sans difficultés, et avec le constat amer d’un monde du travail, dans notre secteur, encore très loin de s’adapter aux maladies psychiatriques.

« J’ai été diagnostiqué bipolaire en 2008. J’en ai marre de devoir me cacher, faire semblant, même quand ça ne va pas du tout. » Sur les réseaux sociaux, Guillaume ne se cache plus. « Les maladies psychiatriques demeurent encore un tabou », affirme-t-il. « Elles existent, personne ne les ignore. Mais leur traitement médiatique, artistique, littéraire ou cinématographique entretient de nombreux clichés : violence, instabilité, prétextes derrière lesquels les malades se cacheraient. » C’est pourquoi il a décidé d’expliquer sa réalité.

Dans le cas de Guillaume, il s’agit d’un trouble bipolaire de type I. Une maladie chronique qui passe par plusieurs stades : des états hypo-maniaques à maniaques (lors desquels on ne se sent pas malade), des phases de dépressions, légères à sévères, et des périodes d’euthymie (humeur équilibrée), celle que l’on connaît toutes et tous. Guillaume est la plupart du temps dans un état stable, proche de de ce qu’on appelle l’euthymie. Mais il se sait dans un potentiel mouvement de balancier constant. 

La perte deux CDI

« La plupart du temps, les troubles se déclenchent sans explication, rendant d’autant plus difficile la gestion des crises. Et ce, malgré les médicaments que je prends, des régulateurs de l’humeur (thymorégulateurs). Les phases se succèdent ainsi les unes aux autres. Plus fort est le premier état maniaque, plus fort sera l’état dépressif : c’est un combat permanent. Et cela finit toujours par se résorber. L’entourage accepte plus facilement un état maniaque ou hypomaniaque. L’état dépressif est malheureusement beaucoup moins acceptable par la société.  Les risques de passage à l’acte sont majeurs, mais je n’ai jamais fait de tentatives de suicide », confie Guillaume.

Au moment du diagnostic, il y a 17 ans, Guillaume a dû arrêter ses études : « Les conditions n’étaient plus réunies pour les poursuivre sereinement. » Il a ensuite appris à s’adapter à sa maladie, et est devenu journaliste. Non sans certaines difficultés : « Au-delà de coups de mou que tout le monde peut ressentir, les périodes de dépression ont des effets délétères sur la concentration, les efforts à fournir, les relations. » Sa maladie lui a ainsi « coûté » deux CDI, et l’a fait passer à côté d’un certain nombre d’opportunités, victime de certains préjugés : instabilité, manque de fiabilité ou de professionnalisme, ce qu’il conteste. « Au contraire, connaissant cette faille, je redouble d’efforts et me mets énormément de pression. »

Convoqué « en mode tribunal »

Guillaume a longtemps tu sa maladie au travail. Sa première évocation, alors qu’il se trouvait en CDI au sein d’une rédaction, visait à demander un aménagement du temps de travail, pour assister à des rendez-vous médicaux deux heures par semaine. Un expérience douloureuse. « Je me suis retrouvé convoqué par la direction en mode tribunal qui souhaitait en connaître les raisons médicales. J’ai refusé et la confiance a été interrompue. J’étais en période d’essai et je suis parti. » 

Pour Guillaume, « on est une profession où le management et les RH en général sont de piètre qualité. Il manque de l’écoute de la part des employeurs. Peut-être un peu d’empathie aussi. La formation est quasiment inexistante dans les rédactions en chef. Le handicap physique semble beaucoup mieux pris en compte aujourd’hui et admis en milieu professionnel. Mais en dépit des flyers collés çà et là par les RH qui évoquent les handicaps invisibles donc mentaux, l’entreprise fait peu en faveur de la santé mentale. »

Malgré cela, il regrette aujourd’hui d’avoir tardé à l’évoquer : « le fait d’avoir toujours surcompensé ne m’a pas aidé, et n’a pas aidé à libérer la parole en entreprise. » 

Un manque d’accompagnement

En 2024, Guillaume a obtenu le statut de travailleur handicapé (RQTH), au terme d’une année d’instruction du dossier. Un choix « très difficile », selon lui. « Ce n’est pas pour en « profiter », mais pour officiellement faire reconnaître ce handicap au travail et aménager en conséquence mon travail », livre-t-il. 

Cette reconnaissance officielle a sans doute été l’élément déclencheur d’une forte décompensation : la même année, il a connu un long arrêt de travail de dix mois : « J’avais surcompensé pendant des années, repoussant mes limites et tentant de dissimuler ce handicap. »

Un coup dur peut-être aussi lié à sa déception post-RQTH. « J’en attendais sans doute beaucoup trop de la part de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Je pensais avoir un accompagnement, des solutions, des choses à mettre en place de manière pragmatique. Au lieu de cela, je n’ai eu qu’un courrier notifiant mon handicap. Pas de proposition de suivi. J’ai dû faire mes propres recherches. Et dans ce cadre, l’on ne propose que du travail en ESAT (Établissement et service d’accompagnement par le travail) où je ne serais pas épanoui. Pour travailler en milieu ordinaire, c’est un peu à géométrie variable… Les psychologues du travail ne semblent pas au fait de troubles psychiques. On m’a juste renvoyé auprès d’associations. Honnêtement, c’est un parcours du combattant. »

Le choix de la pige

Guillaume exerce depuis 2015 à la pige.  Cela lui permet de mieux vivre avec sa maladie. « Lors de passages dépressifs, je subis quelques défauts de motivation, au moment de rédiger une interview par exemple, mais l’avantage est que je peux travailler quand je peux, quand j’en ai envie (et quand je le peux) et je n’ai pas à m’expliquer auprès de ressources humaines ou quelque direction que ce soit. » 

Un combat qui s’ajouterait à celui de la vie quotidienne. Car même en assumant sa maladie, les choses restent difficiles.« Après tant d’années, j’ai encore peur du regard des autres et de leur réaction face à ce handicap invisible. Parfois, arborer un masque social est presque plus fatigant et usant que la maladie en elle-même. Comment se montrer vulnérable dans un monde qui demande d’être toujours au meilleur de sa forme et productif, alors que même les proches et l’entourage ne comprennent pas toujours ces fragilités ? Plus que des fragilités, il s’agit d’un handicap réel, qui a des répercussions dans tous les aspects de ma vie, avec des retentissements plus ou moins importants selon les périodes. Je ne compte plus le nombre de personnes m’ayant tourné le dos par incompréhension, raccourcis, préjugés, ignorance ou par bêtise. Beaucoup pensent que je me réfugie derrière la maladie. Je ne leur en veux pas, car moi non plus je ne supporte pas tout le temps ma maladie. Si l’on a un trouble, cela fait partie de nous mais ce n’est pas nous. »

Mais même avec les personnes bienveillantes, les relations – professionnelles, amicales, sociales ou amoureuses – peuvent être « grandement impactées ». En effet, « il est parfois difficile pour les autres d’être présents, la maladie pouvant constituer une muraille infranchissable. » 

« C’est à la société de s’adapter »

Alors, comment améliorer les choses ? Dans le monde du travail, comme ailleurs, sa réponse tient en quelques mots : écouter, accueillir sans jugement et sans conseils préfabriqués. « Cela peut être très efficaces », argue-t-il.  

« Il serait peut-être temps que la société apprenne à vivre avec des personnes malades, et non que ces dernières soient obligées de s’adapter, se cacher, voire disparaître. Dans le cadre de mes soins au fil de toutes ces années, j’ai rencontré des centaines de soignants en souffrance par manque de moyens humains et financiers, des malades déconsidéré·es, maltraité·es ou qui se laissaient aller, à bout de forces, à bout tout court. Certes, il y a de plus en plus d’initiatives qui tendent vers plus d’inclusion, mais le chemin est encore long. » 

Guillaume ne souhaite pas se plaindre ou se victimiser. En sortant ainsi du silence et ce qu’il appelle « le placard médical », il souhaite délivrer ce message positif : « On peut être atteint d’une maladie psychiatrique et s’en sortir. On peut mener une vie sociale et professionnelle (quasi) normale. J’ai appris à vivre avec et à transformer ce que d’aucuns pourraient considérer comme faiblesse en force. Puisse ce message donner le courage et la force à celles et ceux qui sont concernés par la bipolarité, par une autre maladie psychiatrique ou par un handicap invisible. N’ayez plus honte, soyez vous-mêmes et acceptez (aussi) vos faiblesses ! » 

Il conclut : « Ne jamais faire passer le travail avant la santé. » Parce que la compassion, l’écoute, la bienveillance ou l’empathie ne sont pas toujours de ce monde… professionnel.


La bipolarité c’est quoi ?

Il est normal de changer d’humeur. Certaines personnes sont plus enclines à ces variations plus ou moins régulières de l’humeur, appelées cyclothymie. Bien que pouvant être perturbant et si cela reste supportable, ce phénomène ne les empêche pas de vivre normalement. 

Alors qu’est-ce que la bipolarité ? Autrefois appelée maniaco-dépression, il s’agit d’une maladie psychiatrique chronique qui entraîne des variations d’humeur, entre états d’excitation et dépression pouvant durer plusieurs jours, plusieurs semaines voire plusieurs mois. Elle est classée et décrite dans le DSM 5 (https://www.depression-bipolarite-pratique.com/criteres-dsm-5-de-bipolarite/). Par « chronique », il faut comprendre que les malades la porteront toute leur vie. Pour autant, des traitements existent, visant à équilibrer les variations extrêmes de l’humeur.

La bipolarité est une maladie qui touche de 1 à 2,5% de la population française, soit entre 650.000 et 1,6 millions de personnes. En outre, la part de personnes atteintes d’un trouble bipolaire est très largement sous-estimée : il peut s’écouler jusqu’à 10 ans avant qu’un diagnostic soit posé. Ainsi, 7 malades sur 10 sont mal diagnostiqués. La conséquence peut être fatale, quand on sait que les personnes bipolaires sont 6 fois plus susceptibles de mourir précocement à cause de facteurs externes, comme les accidents, la mise en danger ou le suicide (sur cette dernière cause, le risque est de 10 à 20 fois plus élevé que dans la population générale).

En partie génétique, la maladie s’explique surtout par des facteurs biologiques. Aujourd’hui, et à l’instar de la plupart des maladies psychiatriques, le sujet reste tabou. En grande majorité, les malades souffrent en silence, par peur du regard des autres et plus particulièrement dans la sphère professionnelle. Comme la schizophrénie, cernée de préjugés et de culpabilisation des personnes qui en sont atteintes, la bipolarité ne génère pas d’empathie à l’égard des malades.  


Désignée Grande Cause nationale en 2025, la santé mentale se trouve aujourd’hui au cœur des enjeux de santé publique alors qu’un Français sur quatre sera confronté à un trouble mental au cours de sa vie. Dans le cadre de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées dédiée cette année à la santé mentale, CFDT-Journalistes prend l’initiative d’ouvrir ses colonnes à plusieurs témoins avec pour objectif premier de libérer la parole. Mais pas seulement. Des ressources sont également proposées pour mieux connaître la santé mentale, sa prise en charge et la manière dont on peut s’en sortir.

Recapiti
Elise