Les aléas politiques nous ont obligés à suspendre nos rencontres mensuelles après le 2 juillet ; je me réjouis que celles-ci reprennent. Je répondrai à vos questions liminaires et vous dirai quelques mots des initiatives que nous avons prises depuis notre dernière rencontre avant de mettre l’accent sur trois sujets particuliers sur lesquels portera l’action internationale de la France pour contribuer à la résolution des préoccupations de nos compatriotes.
Je me réjouis avec vous de la libération de Cécile Kohler et de Jacques Paris, désormais en sécurité à la résidence de France à Téhéran. Je me suis entretenu avec eux ce matin et les ai trouvés en bonne forme. Je leur ai dit le très important soutien dont ils ont bénéficié de la part des Françaises et des Français, de la représentation nationale en particulier. Ils ont remercié pour leur mobilisation les agents du ministère, qui veilleront sur eux pendant les semaines qui viennent. Leur sortie de prison est une bonne nouvelle mais c’est une étape et l’objectif de leur libération définitive continuera de nous mobiliser. Je salue, au-delà des agents du poste de Téhéran, les agents du centre de crise et de soutien, tous ceux qui se sont mobilisés depuis le début de l’année pour que nous obtenions la libération par l’Iran d’Olivier Grondeau, au mois de mars, puis de Lennart Monterlos, au mois d’octobre, et celle de Théo Clerc, il y a quelques mois par l’Azerbaïdjan.
En Ukraine, Vladimir Poutine est en échec militairement, politiquement et économiquement. Il n’a pas réussi à conquérir plus de 1% du territoire ukrainien au cours des mille derniers jours. C’est sans doute pourquoi il continue de pilonner les villes de l’arrière et pourquoi il tente de nous intimider ou de détourner notre attention par des manœuvres hybrides et des incursions dans l’espace aérien de pays européens. Mais cela produit le résultat inverse et la détermination des Européens continue de croître pour soutenir l’Ukraine, dissuader la Russie de Vladimir Poutine et préparer la paix. Ainsi, le président de la République a annoncé récemment que les livraisons de missiles Aster et de Mirage à l’Ukraine se poursuivraient. Á l’échelle européenne, un prêt de réparation devrait permettre, lorsque les États se seront accordés sur ses termes, de prémunir l’Ukraine contre les difficultés financières pendant deux ou trois ans au moins. Nous espérons que l’Ukraine n’en aura pas besoin mais ce sera évidemment un point d’inflexion. Depuis le début du conflit, on avait le sentiment que, la Russie ayant plus de réserves que l’Ukraine, cette dernière était condamnée par avance à perdre la guerre. Avec le prêt de réparation, la situation sera inversée.
D’autre part, l’Union européenne a accru sa pression sur la Russie en adoptant un nouveau train de sanctions ; le Quai d’Orsay a très largement contribué à sa définition en désignant les principales entreprises russes concernées. Presque simultanément, des sanctions américaines ont été annoncées qui visent de grandes entreprises pétrolières russes : Rosneft, en particulier, mais aussi Lukoil, qui ne fait pas partie du 19ème régime de sanctions européen. Les entreprises pétrolières désormais ciblées par les sanctions couvrent l’immense majorité du pétrole russe mais les sanctions ne s’arrêtent évidemment pas là. Nous avons aussi renforcé la lutte contre la flotte fantôme des navires utilisés par la Russie pour contourner les sanctions et arraisonné dans les eaux françaises l’un des navires pétroliers de cette flotte. Désigner, c’est bien ; arraisonner avec l’appui de moyens militaires, c’est encore mieux si l’on veut dissuader ces comportements et préparer la paix.
À cet égard, la coalition des volontaires rassemblées par la France et le Royaume-Uni pour préparer les garanties de sécurité qui, le moment venu, assureront que l’Ukraine ne sera plus agressée, a trouvé une traduction concrète. Elle est désormais dotée d’un quartier général situé au Mont-Valérien, où siègent des représentants des pays concernés. Lorsque nous parviendrons au cessez-le-feu auquel nous voulons contraindre Vladimir Poutine, la coalition pourra se déployer dans le cadre d’un traité de paix pour assurer une paix durable.
À Gaza, l’initiative prise par la France et l’Arabie saoudite a ouvert la voie au plan de paix du président Trump. Si vous n’en êtes pas convaincus, je vous invite à lire ce document : vous y trouverez des références à l’initiative franco-saoudienne. Les États-Unis ont joint les actes à la parole et, au lendemain de la signature du plan de paix, plusieurs centaines d’officiers américains ont été déployés en Israël dans un bâtiment alloué au Centre militaire et civil de coordination. Trois officiers français s’y trouvent et d’autres les rejoindront prochainement. Chacun ici connaît les convictions de la France pour garantir la réussite de ce plan : nécessaire réforme de l’Autorité palestinienne, non-annexion de la Cisjordanie et de Gaza, désarmement et exclusion du Hamas de toute forme de gouvernance.
L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien expirant le 18 octobre 2025, nous avons consacré beaucoup de temps à l’Iran cet été et proposé à la République islamique de consentir des mesures de confiance qui nous permettraient d’envisager le report de la réapplication des sanctions en vigueur avant 2015. N’étant pas parvenus à trouver un accord avec l’Iran à l’échéance dite, nous avons, avec nos alliés britanniques et allemands, décidé de réappliquer les embargos des Nations unies levés il y a dix ans sur les armes, les banques, les assurances et les équipements nucléaires iraniens.
La guerre qui ravage le Soudan depuis deux ans et demi entraîne des conséquences humanitaires gravissimes, encore empirées par la chute d’El-Fasher : 2 000 personnes auraient été froidement exécutées et 460 tuées au cours d’un assaut mené par les forces de soutien rapide (FSR) contre la maternité de l’hôpital saoudien de cette ville. Les FSR poursuivent leur offensive vers le Nord du Darfour, ce qui fait craindre l’extension de ces atrocités à caractère ethnique. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, nous ne sommes pas restés les bras ballants : le 15 avril 2024, lors du premier triste anniversaire du déclenchement de cette guerre, la France a organisé la première conférence humanitaire à ce sujet, puis co-organisé, à Londres, celle du 16 avril 2025. À cette occasion, la déclaration politique qui aurait dû accompagner la levée de fonds n’a pu être signée, faute d’accord entre les pays de la région qui soutiennent une partie ou l’autre dans le conflit. Toutefois, réunissant cet été les parties tierces au conflit, les États-Unis sont parvenus à faire s’accorder l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite sur une déclaration commune. Il existe donc désormais un point de départ politique au règlement de la guerre. Il faut accélérer ce travail politique pour ne plus laisser aucune justification ni aux belligérants ni aux parties tierces pour poursuivre ces exactions. Nous avons pris des sanctions par trois fois au niveau européen et nous avons soutenu les sanctions prises aux Nations unies contre certains officiers, notamment ceux des FSR qui ont mené l’assaut contre El-Fasher.
Au Sahel, la Russie, qui avait annoncé qu’elle ferait reculer le terrorisme, est en échec complet : le terrorisme n’y a jamais été aussi prospère, malgré l’investissement considérable de Moscou ou des forces de sécurité russes dans la région.
À Madagascar, le président de la refondation de la République a été investi le 17 octobre, un nouveau premier ministre nommé le 20 octobre, un nouveau gouvernement annoncé le 28 octobre. La transition se poursuit et la France en a pris acte en étant représentée par son ambassadeur lors de la prestation de serment du président de la refondation. L’association de civils issus de différentes mouvances politiques dans le gouvernement est un signal encourageant que le dialogue continuera de primer pour que la transition aboutisse à une solution durable et apaisée dans l’intérêt de la population. La sécurité de nos compatriotes, qui sont plusieurs dizaines de milliers à Madagascar, et la stabilité de la région demeurent nos priorités. Je remercie vivement les agents de notre ambassade et de notre consulat général pour leur mobilisation dans les temps récents, particulièrement exigeants pour certains d’entre eux.
J’en viens aux initiatives prises par la France depuis ma dernière audition. Celle-ci avait eu lieu juste après la tenue à Nice de la 3ème Conférence des Nations unies sur l’océan. Nous avions obtenu plus de cinquante ratifications de l’accord pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine ; d’autres ratifications sont intervenues depuis lors et la soixantième, celle du Maroc, ayant été officialisée lors de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, l’accord entrera en vigueur le 17 janvier 2026.
Le 22 septembre dernier, lors de la même Assemblée générale, nous avons coprésidé avec l’Arabie saoudite une conférence sur la solution à deux États au Proche-Orient, qui a permis d’engager une dynamique inédite – la reconnaissance de l’État de Palestine, d’une part ; la dénonciation et la condamnation du Hamas par les pays arabes, d’autre part –, cet ensemble étant assorti de l’expression claire de l’aspiration des pays de la région à établir des relations normalisées avec l’État d’Israël et à s’insérer aux côtés d’Israël et du futur État de Palestine dans une organisation régionale commune, comme il en existe en Europe et en Asie. La déclaration de New York est le fruit d’un travail d’un an mené avec l’Arabie saoudite. Le noyau initial de pays intéressés s’est élargi, si bien que le texte, adopté à l’écrasante majorité – cent-quarante-deux voix – des pays membres des Nations unies, a pesé dans la conception du plan de paix américain, qui reprend certains des principes énoncés. Nous sommes très satisfaits que le président Trump ait extrait de cette déclaration matière à consolider le plan qui doit nous permettre d’œuvrer collectivement au retour de la paix et de la stabilité dans la région.
Au Nigéria, où j’étais avec le président de la République, nous avons organisé à Lagos le deuxième forum Création Africa, dont la première édition s’était déroulée à Paris il y a deux ans. Pour ce qui est le plus grand forum consacré aux industries culturelles et créatives d’Afrique, nous avons, avec le soutien de nos postes diplomatiques, permis à des talents de la bande dessinée numérique, des mini-séries, du design numérique et d’autres industries culturelles et créatives émergentes issues de quarante-deux pays africains de se retrouver dans la ville qui est sans doute la capitale des industries culturelles et créatives en Afrique pour rencontrer entreprises et créateurs français et collègues africains. Ce moment a incarné la transformation des relations entre la France et les pays africains, qui reposent sur la coopération et les intérêts mutuels des entreprises françaises et des créateurs africains. D’autre part, nous avons inauguré à Paris la maison des mondes africains, incubateur et accélérateur de talents, dans un partenariat d’égal à égal.
Je remercie à nouveau les parlementaires de leur participation à chacune de ces initiatives, auxquelles s’ajoute, les 22 et 23 octobre derniers, la 4ème Conférence sur les diplomaties féministes, à laquelle on a constaté la participation record de 500 invités de cinquante-cinq délégations dont vingt-sept représentants des pays en développement. La diplomatie féministe n’est pas une marotte des pays du Nord : autant de pays du Sud que de pays du Nord y travaillent ensemble et, pour la première fois, trente-et-un États participants ont endossé une déclaration commune assez ambitieuse, de nature à irriguer des textes de référence en matière de droits des femmes à un moment où la question du genre est l’objet d’offensives très fortes.
La 8ème édition du Forum de Paris sur la paix a eu lieu les 29 et 30 octobre ; ce forum qui attire des figures des pays du Sud s’intéresse aux crises « oubliées ». On y a notamment vu la présidence tripartite de Bosnie-Herzégovine siéger à Paris autour du président de la République. On y a vu aussi des leaders africains de la région des Grands Lacs, la Conférence de soutien à la paix et la prospérité dans la région, que nous avons coprésidée avec le Togo, se tenant en parallèle. Les soixante-dix pays représentés avaient trois objectifs : le premier était de faire entendre la voix des agences des Nations unies, des organisations non gouvernementales et des travailleurs humanitaires pour qu’ils décrivent leur perception de la situation ; le deuxième était de mobiliser des financements et plus de 1 milliard d’euros d’aide ont été réunis à cette occasion ; le troisième objectif était d’ouvrir les corridors humanitaires, en particulier de rouvrir à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) l’aéroport de Goma, dont la fermeture empêche la distribution de l’aide humanitaire. Des progrès ont été accomplis dans tous ces domaines. J’ai été sidéré, voire choqué par les critiques dont cette conférence a fait l’objet, comme si, face à l’une des crises majeures de l’époque, la France devait avoir honte de mobiliser la communauté internationale pour réunir des financements. Non seulement des gens meurent à l’Est de la RDC mais la situation sanitaire y est si fortement dégradée que resurgit le risque de dissémination des virus Ébola et de l’immunodéficience humaine (VIH). Vous pouvez considérer que ce n’est pas à la France d’agir mais, alors, il ne faudra pas vous étonner d’assister au déferlement d’immenses vagues migratoires parce que des populations entières fuiront les exactions et les persécutions et, surtout, parce que les virus n’ont pas besoin de visas et que les pandémies ne connaissent pas les frontières.
Si la France devait renoncer à exercer la responsabilité que lui a confiée la communauté internationale lors de la fondation des Nations unies vis-à-vis de la paix et de la sécurité du monde, non seulement trahirait-elle son engagement mais aussi ses propres intérêts, l’insécurité en Afrique finissant par se répercuter dans notre pays d’une manière ou d’une autre.
Au cours des semaines et des mois à venir, je mettrai l’accent sur trois sujets qui montrent l’impact de notre action internationale sur la vie quotidienne de nos compatriotes. Pour lutter contre le narcotrafic et la criminalité organisée, je présenterai dans les prochaines heures un plan d’action très ambitieux devant permettre au Quai d’Orsay, en première ligne en raison de la coopération que nous entretenons avec les pays de production et de transit, de contribuer à traiter ce fléau à la racine. Nous nous mobiliserons aussi dans la lutte contre l’immigration irrégulière en renforçant notre coordination avec le ministère de l’intérieur sur certains sujets perfectibles, dont la question des visas, objet d’une tutelle partagée entre nous. Enfin, je m’emploierai à renforcer notre sécurité économique, faisant ainsi écho à vos propos, monsieur le président, qui évoquiez les récentes décisions de la Chine relatives aux licences d’exportation de terres rares dont elle maîtrise non seulement une grande partie des réserves mais aussi 90% des capacités de raffinage. Un réveil européen est nécessaire pour nous permettre de préserver nos intérêts, d’éviter ou de dissuader les tentatives de coercition et d’accompagner nos entreprises, comme nous le faisons depuis dix ans par la diplomatie économique, dans la conquête de nouveaux marchés mais aussi désormais d’approvisionnements plus sûrs. Pour la lutte contre le narcotrafic, pour la régulation de l’immigration en liaison avec le ministère de l’intérieur et pour la sécurité économique, nous serons force de propositions et d’action, parce que c’est en partie à l’international que se trouve la réponse à ces grands défis.
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R - La réadmission des ressortissants afghans qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire français est rendue difficile par l’absence de relations avec les talibans. Vous l’avez indiqué, entrer dans une coopération ouverte avec l’Afghanistan à ce sujet reviendrait à reconnaître le régime des talibans, ce qui n’est pas sans conséquences, d’autant que la situation faite aux femmes et aux filles dans ce pays nous indigne et mobilise des parlementaires et que nous la condamnons comme une politique de ségrégation fondée sur le genre, tout en poursuivant notre appui aux organisations non gouvernementales qui les soutiennent. C’est l’une des questions dont nous traiterons avec le ministère de l’intérieur au cours du comité stratégique des migrations, dont j’espère la tenue prochaine. Il portera sur l’Afghanistan et sur les autres pays avec lesquels nous gagnerions à renforcer notre coopération. Au cours des douze derniers mois, nous avons signé trois accords de réadmission avec le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Vietnam. Rapporté à des temps plus anciens, c’est un record de vitesse.
Au début de l’année dernière, ayant demandé au ministère de l’intérieur la liste des pays avec lesquels les difficultés de réadmission sont les plus grandes, nous avons retenu les vingt principaux et invité nos postes diplomatiques à cerner les moyens et les leviers de coopération que nous pourrions activer et nous allons faire le point. Dans certains cas, des accords de réadmission seront nécessaires ; dans d’autres cas, nous activerons d’autres moyens. Nous allons avancer en ce sens puis, à mesure que la coordination entre nos deux ministères se resserrera, j’espère que nous obtiendrons des résultats et que la liste des pays considérés évoluera.
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R - Cette question de première importance figurera au nombre des priorités de la présidence française du G7, l’année prochaine. Le président de la République veut placer les grands déséquilibres au cœur des discussions, en y incluant les partenariats internationaux et la solidarité internationale, notamment en matière de santé. Après des décisions très brutales qui ont eu un fort impact sur le personnel de certaines agences, notamment à Genève et à Lyon, nous sentons de la part des États-Unis une ouverture ou, en tout cas, la compréhension que la santé mondiale ne peut être traitée que sous l’angle multilatéral. Nous avons donc bon espoir.
S’agissant de la désinformation, nous continuerons d’agir mais, en ce moment de raréfaction des moyens, la priorité du Quai d’Orsay sera, plus généralement, de développer une force de frappe dans le champ des perceptions informationnelles. Les choses commencent à se transformer au sein du ministère, après que nous nous sommes dotés de capacités de veille et d’analyse en temps réel des réseaux sociaux. En 2026, si nous disposons des crédits néce