Située au milieu de la plaine d’Estrées-Saint-Denis, paysage caractéristique du Nord de la France, la sucrerie de Francières est la seule sucrerie de betteraves inscrite au titre des Monuments historiques dans son intégralité. L’arrêté précise que « La sucrerie de Francières présente, au point de vue de l’histoire et de l’art, un intérêt public en raison de son caractère unique, de son ancienneté et de la préservation de l’usine, témoin de l’industrie sucrière à ses débuts. »
Représentative des centaines d’usines ayant vu le jour dans notre pays pour fabriquer le sucre de betterave, la sucrerie de Francières a été protégée en 1999 pour témoigner de cette industrie ; fondée en 1829, elle a fonctionné jusqu’en 1969.
Épargnée par les guerres, elle conserve l’intégralité de ses bâtiments, ce qui permet de comprendre immédiatement le processus de fabrication ainsi que l’organisation sociale qui y régnait ; on peut ainsi mentionner la cheminée de briques de 30 m qui domine la plaine environnante, les deux distilleries (1880 et 1930) où l’on fabriquait de l’alcool, le four à chaux Seconde République (unique en son genre en Europe de l’Ouest), les bureaux Art déco avec leur frise en mosaïque bleue et or, les grandes halles de fabrication (dont la halle d’origine datée de 1829), la maison patronale, l’école destinée aux enfants du hameau, la chapelle Notre-Dame installée au cœur de l’usine après la Grande Guerre, la cour à betteraves avec ses caniveaux hydrauliques, les maisons ouvrières…
Le projet éolien de Cressonsacq – La Neuville-Roy (12 éoliennes de 200 m de haut en bout de pale) est implanté exactement en face du site industriel historique, au centre de son rayon d’approvisionnement et altérera donc irrémédiablement la vue depuis et sur la sucrerie.
Or, ce qui fait la singularité du monument est son isolement au milieu de la plaine d’Estrées-Saint-Denis, avec sa cheminée en briques de 30 mètres, qui est l’unique signal reconnaissable à plusieurs kilomètres à la ronde.
Cette vue, inchangée depuis 1829, fut celle de son fondateur César Thirial, cultivateur à Francières, et de Crespel-Dellisse, grand industriel sucrier du XIXᵉ siècle. L’écrasement de la cheminée de Francières par des structures géantes en mouvement, situées à 5 km, qui attireront immanquablement le regard n’est pas souhaitable. C’est toute la lisibilité et l’esthétique du monument, compréhensibles par tous aujourd’hui, qui en seraient irrémédiablement gâchées.
L’Association pour la Sauvegarde de la Sucrerie de Francières, association loi 1901 créée en février 1996, réunit plus de 500 membres, défenseurs de ce témoin de l’histoire locale ou passionnés du patrimoine industriel. Elle est totalement opposée à ce projet d’implantation de 12 éoliennes, d’une hauteur en bout de pale de 200 mètres, sur les communes de Cressonsacq et La Neuville-Roy, qui viendra non seulement enlaidir mais compromettre un paysage d’exploitation agricole caractéristique d’openfield.
La région Hauts-de-France a dénombré près de 3 000 mâts en service ou autorisés sur son territoire. Le paysage complètement saturé d’éoliennes des bords de l’autoroute A1 au niveau de Roye, qui réussit à choquer les défenseurs des énergies durables, menace aujourd’hui l’ancienne route royale des Flandres, ancienne nationale 17 Paris–Douai–Cambrai, et la plaine d’Estrées-Saint-Denis, paysage caractéristique qui a donné son nom à la communauté de communes locale.
Cette plaine, cultivée en grandes cultures variées, est une vitrine immédiatement compréhensible d’une activité agricole de pointe et dynamique qui a vu naître à Francières l’une des premières fabriques à sucre en 1829.
La communauté de communes de la Plaine d’Estrées, attachée à valoriser sa spécificité rurale et agricole au sein du pays compiégnois, a d’ailleurs pris position pour une limitation d’implantation d’éoliennes au niveau actuel (parc de 8 éoliennes de Bailleul-le-Soc) et s’est prononcée en faveur de l’énergie photovoltaïque.
Au nord et à l’ouest, la plaine d’Estrées est entourée d’éoliennes, parfaitement dénombrables la nuit ou par temps clair, qui lui ont été imposées par les collectivités voisines.
La sucrerie de Francières a ouvert au public en 2013 un centre d’interprétation de l’industrie sucrière et des agro-ressources, et reçoit chaque année des centaines de visiteurs, dont des scolaires. Elle remplit clairement un objectif d’utilité publique, d’éducation et de formation des jeunes, sur les sciences mais aussi d’initiation aux questions économiques et sociales, la sucrerie apparaissant au sein de son hameau comme un lieu de vie et de travail étroitement imbriqués et significatifs par eux-mêmes.
Enfin, la beauté du bâti architectural du XIXᵉ siècle en briques, avec les arcades en plein cintre rythmant l’ensemble des façades des halles de fabrication, ne laisse aucun visiteur indifférent et emporte l’adhésion : chacun peut ainsi redécouvrir à Francières et comprendre, en visitant cet ensemble architectural, l’histoire de l’usine et les histoires des gens qui y ont habité ou travaillé, mais aussi la formidable aventure qu’a représentée l’industrie du sucre de betterave dans le Nord de la France.
Esthétiquement, avec une cheminée dépassant nettement les trente mètres, implantée au milieu d’une plaine au faible relief, la sucrerie de Francières est visible à plusieurs kilomètres à la ronde. Cette cheminée, véritable signal, est inhabituelle et immédiatement lisible. Elle constitue l’un des monuments emblématiques du département de l’Oise et un très bel exemple de patrimoine industriel du Nord de la France.
Aussi, de même qu’il l’a été souligné pour l’église de l’abbaye de Saint-Martin-aux-Bois, seul autre monument remarquable à l’ouest de la plaine d’Estrées, l’intérêt patrimonial de la sucrerie de Francières est indissociable de son environnement paysager ouvert et dégagé. Cet édifice remarquable du patrimoine industriel, visible sur plusieurs kilomètres, émerge dans le grand paysage. À ce titre, il doit rester le point de repère culminant dans le paysage environnant.
Compte tenu de ces éléments, Sites & Monuments estime que l’implantation du parc éolien de Moulin Bois porterait une atteinte majeure et irréversible à la lisibilité et à la valeur patrimoniale de la sucrerie de Francières, unique en France par son intégrité et son inscription dans le paysage ouvert de la plaine d’Estrées. Autoriser ce projet, alors que des dossiers similaires avaient été précédemment refusés, reviendrait à sous-estimer la valeur du patrimoine industriel des XIXᵉ et XXᵉ siècles, au même titre que les grands monuments religieux ou civils, comme l’église Saint-Martin-aux-Bois.
Sites & Monuments demande en conséquence le rejet de ce projet, afin de préserver à la fois l’histoire industrielle et le paysage rural caractéristique du Nord de la France.