La sclérose en plaques (SEP) est souvent perçue comme une maladie principalement physique, caractérisée par des troubles de la marche, de la vision ou de la sensibilité. Pourtant, pour de nombreuses personnes atteintes, ce sont les troubles cognitifs, comportementaux et émotionnels qui impactent le plus leur qualité de vie quotidienne. Parmi ces manifestations invisibles, l’impulsivité et les troubles de la régulation émotionnelle occupent une place centrale mais restent largement méconnus et sous-diagnostiqués.
En France, plus de 110 000 personnes vivent avec la sclérose en plaques. On estime que 40 à 65% d’entre elles présenteront des troubles cognitifs ou comportementaux au cours de l’évolution de leur maladie. L’impulsivité, les sautes d’humeur, l’irritabilité excessive, la labilité émotionnelle ou encore l’anxiété peuvent survenir à tout moment de la maladie, même en l’absence de handicap physique important.
Ces troubles ont des conséquences profondes : difficultés relationnelles avec l’entourage, problèmes professionnels, isolement social, altération de l’estime de soi. Ils sont d’autant plus déroutants qu’ils peuvent apparaître soudainement, transformant la personnalité de la personne, et qu’ils sont souvent minimisés ou attribués à tort à une simple « réaction psychologique » face à la maladie.
Dans cet article approfondi, nous explorerons les mécanismes neurologiques à l’origine de l’impulsivité et des troubles émotionnels dans la SEP, leurs manifestations variées, et surtout les stratégies concrètes pour les gérer au quotidien et préserver une bonne qualité de vie.
La sclérose en plaques est une maladie auto-immune chronique du système nerveux central. Le système immunitaire attaque par erreur la myéline, la gaine protectrice des fibres nerveuses dans le cerveau et la moelle épinière. Cette démyélinisation perturbe ou bloque la transmission des messages nerveux, provoquant une grande variété de symptômes selon les zones cérébrales touchées.
La forme rémittente-récurrente (85% des cas au diagnostic) se caractérise par des poussées suivies de périodes de rémission. Les symptômes peuvent apparaître brutalement, durer quelques jours à quelques semaines, puis disparaître totalement ou partiellement.
La forme secondairement progressive se développe chez 50% des personnes ayant initialement une forme rémittente-récurrente, généralement après 10 à 20 ans d’évolution. Les symptômes s’aggravent progressivement, avec ou sans poussées surajoutées.
La forme primaire progressive (10-15% des cas) se manifeste dès le début par une aggravation progressive sans poussées clairement identifiées.
La forme progressive avec poussées combine progression continue et poussées occasionnelles.
Les lésions démyélinisantes peuvent toucher n’importe quelle région de la substance blanche cérébrale. Lorsqu’elles affectent les zones impliquées dans la régulation émotionnelle et le contrôle comportemental, des troubles de l’impulsivité et de l’humeur surviennent.
Le cortex préfrontal, centre du contrôle exécutif et de la régulation des impulsions, est fréquemment touché. Les lésions dans cette région entraînent des difficultés à :
Le système limbique (amygdale, hippocampe, cortex cingulaire) régule les émotions, la mémoire émotionnelle et les réponses au stress. Les lésions démyélinisantes dans ces structures ou leurs connexions peuvent provoquer :
Les voies de connexion entre différentes régions cérébrales sont particulièrement vulnérables dans la SEP. La démyélinisation interrompt la communication entre structures cérébrales distantes, perturbant les réseaux complexes nécessaires à la régulation émotionnelle et comportementale.
L’atrophie cérébrale, présente même aux stades précoces de la maladie, contribue également aux troubles cognitifs et comportementaux. La perte de volume cérébral affecte particulièrement le cortex et certaines structures sous-corticales impliquées dans les fonctions exécutives et émotionnelles.
Le Rôle de l’Inflammation et de la Fatigue
L’inflammation joue un rôle crucial dans la SEP, non seulement dans les lésions visibles à l’IRM mais aussi à un niveau plus diffus. Les cytokines pro-inflammatoires libérées lors des poussées ou de l’inflammation chronique peuvent directement affecter l’humeur, la cognition et le comportement, indépendamment des lésions structurales.
La fatigue, symptôme quasi-universel dans la SEP (touchant 75-90% des patients), aggrave considérablement tous les troubles cognitifs et comportementaux. Lorsqu’une personne est épuisée, ses capacités de contrôle inhibiteur s’effondrent, rendant l’impulsivité plus marquée et la régulation émotionnelle plus difficile. La fatigue dans la SEP n’est pas une simple « fatigue normale » mais un épuisement pathologique, disproportionné par rapport à l’activité effectuée.
L’Impulsivité dans la Sclérose en Plaques
Manifestations de l’Impulsivité
L’impulsivité dans la SEP se manifeste par une incapacité à réfréner des réponses immédiates, à réfléchir avant d’agir, et à considérer les conséquences de ses actions.
Sur le plan verbal :
Sur le plan décisionnel :
Sur le plan émotionnel et comportemental :
Sur le plan alimentaire et habitudes de vie :
Les Mécanismes Neuropsychologiques
L’impulsivité dans la SEP résulte principalement d’une altération des fonctions exécutives, notamment :
Le contrôle inhibiteur : capacité à supprimer les réponses automatiques ou dominantes lorsqu’elles sont inappropriées. Les tests neuropsychologiques comme le Stroop ou le Go/No-Go révèlent souvent des déficits chez les personnes avec SEP présentant de l’impulsivité.
La flexibilité mentale : capacité à s’adapter aux changements, à considérer différentes perspectives. Son altération conduit à une rigidité et une persévération qui peuvent se manifester par de l’impulsivité paradoxale (agir impulsivement parce qu’on ne parvient pas à changer de stratégie).
La planification et l’anticipation : capacité à envisager les conséquences futures de ses actes. Lorsque cette fonction est altérée, la personne vit dans l’instant présent sans projection, conduisant à des comportements impulsifs.
La mémoire de travail : capacité à maintenir et manipuler l’information à court terme. Son déficit empêche de « garder en tête » les objectifs et les règles, favorisant les réponses impulsives.
Impact sur la Vie Quotidienne
L’impulsivité peut avoir des conséquences considérables :
Sur les relations :
Sur le plan professionnel :
Sur le plan financier :
Sur la santé :
Sur l’estime de soi :
Les Troubles Émotionnels dans la SEP
La Labilité Émotionnelle et l’Affect Pseudobulbaire
La labilité émotionnelle se caractérise par des changements d’humeur rapides et imprévisibles, sans nécessairement de lien avec les circonstances extérieures. La personne peut passer du rire aux larmes en quelques minutes, se sentir joyeuse puis soudainement triste ou irritable.
L’affect pseudobulbaire (APB) est un trouble spécifique plus marqué, touchant environ 10% des personnes avec SEP. Il se manifeste par des crises de pleurs ou de rires incontrôlables, disproportionnées par rapport à la situation et souvent inappropriées. Ces épisodes :
Il est crucial de comprendre que l’APB n’est pas une réaction émotionnelle psychologique mais un symptôme neurologique pur, résultant de la déconnexion entre les centres corticaux de contrôle et les structures du tronc cérébral régulant l’expression émotionnelle.
La Dépression et l’Anxiété
La dépression affecte 40 à 60% des personnes avec SEP à un moment de leur vie, soit deux à cinq fois plus que dans la population générale. Elle peut être :
Signes de dépression dans la SEP :
L’anxiété est également très fréquente (36% des personnes avec SEP) et peut prendre différentes formes :
L’anxiété est souvent exacerbée par :
L’Irritabilité et l’Agressivité
L’irritabilité chronique touche environ 30-40% des personnes avec SEP. Elle se manifeste par :
Cette irritabilité peut être :
L’agressivité verbale ou parfois physique, bien que moins fréquente, peut survenir particulièrement en période de fatigue intense ou lors des poussées. Elle est souvent suivie de culpabilité intense et de détresse face à la perte de contrôle.
L’Euphorie Pathologique
Moins fréquente mais notable, l’euphorie pathologique (ou euphoria sclerotica) touche environ 10% des personnes avec SEP, généralement dans les formes avancées avec atteinte cognitive importante. Elle se caractérise par :
Ce symptôme, bien que pouvant sembler « positif », est en réalité problématique car il empêche la personne de prendre au sérieux les risques et de suivre les recommandations thérapeutiques.
Évaluation et Diagnostic des Troubles Comportementaux dans la SEP
Outils d’Évaluation Standardisés
Pour l’évaluation cognitive et exécutive :
Pour l’évaluation des troubles émotionnels :
Pour l’évaluation de la qualité de vie et du retentissement :
Distinguer les Différentes Origines
Il est crucial de déterminer si les troubles comportementaux et émotionnels sont :
D’origine neurologique directe : liés aux lésions démyélinisantes
Une réaction psychologique à la maladie et ses contraintes
Secondaires à d’autres facteurs :
Souvent, c’est une combinaison de plusieurs facteurs qui explique les troubles, nécessitant une approche globale de prise en charge.
La formation DYNSEO pour les professionnels permet aux soignants d’acquérir les compétences nécessaires pour évaluer et gérer les troubles du comportement dans les maladies neurologiques comme la SEP, en privilégiant une approche pluridisciplinaire coordonnée.
Stratégies de Gestion de l’Impulsivité au Quotidien
Techniques de Contrôle Comportemental
La règle STOP :
Avant d’agir impulsivement, apprendre à s’arrêter (Stop), prendre du recul (Take a step back), observer la situation objectivement (Observe), et procéder réfléchiment (Proceed mindfully). Cette technique simple mais efficace demande de l’entraînement mais peut devenir automatique.
La technique des « 24 heures » :
Pour les décisions importantes (achats significatifs, changements professionnels, conflits), instaurer une règle personnelle de toujours attendre 24 heures avant de prendre la décision. Ce délai permet au contrôle exécutif de reprendre le dessus.
La liste des conséquences :
Avant une action impulsive, noter par écrit :