Jean-Michel Muller, le père de la communauté française d’arithmétique des ordinateurs

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Mis à jour le 25/11/2025

Chercheur visionnaire, Jean-Michel Muller est connu pour ses travaux sur la représentation des nombres sur les ordinateurs, les algorithmes arithmétiques, l’étude des erreurs d’arrondi et de la fiabilité des méthodes de calcul numérique. Des recherches particulièrement novatrices pour la conception des circuits et logiciels informatiques. Aujourd’hui, sa carrière scientifique remarquable est récompensée par le Grand Prix Inria – Académie des Sciences 2025.

À la tête d’une véritable descendance scientifique

Pionnier du calcul numériqueJean-Michel Muller l’est assurément ! Directeur de recherche au CNRS au laboratoire LIP (Laboratoire de l'informatique du parallélisme),  il a été l’un des premiers à travailler sur l’arithmétique des ordinateurs dans notre pays. C’est grâce à lui que l’expertise française s’est autant développée et qu’elle est aussi reconnue à l’international. 

« Je pense que si on me qualifie parfois de père de cette communauté, confie-t-il, c’est surtout parce je suis à la tête d’une véritable descendance scientifique. Celles et ceux qui, en France, travaillent sur le sujet et ont contribué à son essor sont presque tous d’anciens doctorantes et doctorants, et leurs propres étudiantes et étudiants… … »  

La passion de la recherche, entre mathématiques et informatique

Son moteur ?  « C’est la connaissance, l’envie de savoir, de comprendre ! » Dès son diplôme de l’Ensimag en poche en 1983, Jean-Michel Muller comprend vite qu’il est fait pour la recherche et se rapproche des professeurs les plus inspirants pour lui, en particulier François Robert, pionnier, entre autres, des réseaux de neurones à Grenoble. « J’ai fait ma thèse en mathématiques appliquées dans son équipe, à l’Institut national polytechnique de Grenoble, sous la direction de Michel Cosnard, qui sera plus tard président d’Inria. » 

Michel Cosnard rejoint alors l’ENS de Lyon et Jean-Michel Muller le suit en 1989, avec une perspective enthousiasmante : participer à la création du laboratoire d’informatique de l’ENS. Ici, le CNRS lui ouvre ses portes en tant que chargé de recherche. Il en profite pour monter à Lyon une équipe d’arithmétique des ordinateurs.

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« Je me suis trouvé comme un poisson dans l’eau, avec la liberté nécessaire pour mener mes recherches. Une liberté féconde qui m’a permis d’explorer de nombreuses voies, dont les silico-algorithmes  ces algorithmes spécifiquement conçus pour être exécutés sur des circuits  ou l’arithmétique virgule flottante. »

Relever les défis de la représentation des nombres

Concrètement, en quoi consiste l’arithmétique des ordinateurs ? Ce sont toutes les méthodes, les circuits et les algorithmes qui permettent d’effectuer des calculs sur les machines, avec pour souci majeur la  fiabilité. « Tous les calculs sont construits au dessus de l’arithmétique de nos machines. Si l’on transige sur sa fiabilité, c’est comme si on batissait sur des sables mouvants, illustre Jean-Michel Muller. La difficulté, c’est que les ordinateurs ne peuvent représenter qu’un nombre limité de valeurs. Et à chaque calcul, une petite erreur d’arrondi peut s’immiscer. Multipliées par des milliards d’opérations, les microerreurs peuvent s’accumuler et fausser les résultats. » 

La solution privilégiée par le chercheur et son équipe : garantir que chaque opération et chaque fonction donnent le résultat le plus proche possible du résultat exact théorique. Recommandée ensuite à travers un standard international, cette propriété appelée "arrondi correct" permet de concevoir des algorithmes plus précis, donc à terme des logiciels et des circuits informatiques plus efficaces. Dans ce contexte, Jean-Michel Muller et ses collègues ont aussi contribué à résoudre un problème arithmétique épineux dénommé le "dilemme du fabricant de tables". La solution consiste à déterminer, parmi les nombres représentables par une machine, lequel a une fonction mathématique (à l’instar des exponentielles et des sinus) la plus proche du milieu entre deux nombres consécutifs.

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Le Grand Prix Inria – Académies des Sciences me fait très plaisir. Je ne le reçois pas pour moi seul, mais pour l’ensemble de la communauté française d’arithmétique des ordinateurs.

Des collaborations internationales d’ampleur

Aujourd’hui, l’équipe à laquelle Jean-Michel Muller a contribué depuis plus de 30 ans, commune à Inria, au CNRS, à l'ENS de Lyon et à l'Université Claude Bernard Lyon 1, est devenue une référence mondiale. D’abord baptisée Arénaire, en référence au traité d’Archimède sur les grands nombres, puis AriC, elle se nomme dorénavant Pascaline, du nom de la machine à calculer inventée par Blaise Pascal. Ses travaux ont pris leur essor dans le cadre de collaborations internationales d’ampleur, notamment avec l’Américain Milos Ercegovac et le Danois Peter Kornerup. Avec eux, Jean-Michel Muller a organisé des conférences phares du domaine, comme l’ARITH (International Symposium on Computer Arithmetic).

« Nos travaux se sont basés sur des interactions avec des scientifiques de disciplines variées : des experts de la théorie des nombres, des circuits, des programmes de traduction du code source en langage machine, de la preuve assistée par ordinateur... Cette interdisciplinarité est particulièrement enrichissante ! » Désormais, Jean-Michel Muller se concentre sur la transmission de savoirs auprès des jeunes chercheurs et chercheuses et à travers les ouvrages qu’il a écrits, régulièrement réédités. Un héritage scientifique précieux.

Bio express

  • 1985 : doctorat en mathématiques appliquées à l’Institut national polytechnique de Grenoble
  • 1986 : chargé de recherche CNRS
  • 1989 : habilitation à diriger des recherches à l’INPG et mutation à l’ENS de Lyon
  • 1990 : médaille de bronze du CNRS
  • 1998 : directeur de recherche CNRS, fondateur de l’équipe-projet Inria Arénaire et membre de la commssion d’évaluation Inria
  • 2001 : directeur du LIP à l’ENS de Lyon
  • 2006 : chargé de mission du département ST2I du CNRS
  • 2010 : membre du conseil scientifique de l’ENS de Lyon
  • 2013 : codirecteur du GDR Informatique Mathématiques, fédérant 2 000 chercheurs, jusqu’à 2023, directeur de recherches classe exceptionnelle et médaille d’argent du CNRS
  • 2025 : lauréat du Grand Prix Inria – Académies des Sciences

Et si vous n’étiez pas chercheur ?

« Durant mes études, je menais une double vie de scientifique et musicien. Donc sans hésiter, si je n’avais pas été chercheur, j’aurais été musicien ! Une passion qui me suit depuis toujours : parallèlement à ma carrière, j’ai été chef de chœurs amateurs durant 30 ans. Mon meilleur souvenir ? La direction du Requiem de Fauré. »

Votre scientifique préféré ? 

« Le prix Nobel de physique Richard Feynman est le scientifique que j’admire le plus. D’abord pour l’étendue de ses recherches, l’impact de ses travaux. Ensuite parce qu’il ne se prenait pas au sérieux et adorait rire. Enfin parce qu’il était un vulgarisateur exceptionnel. »

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