Proche-Orient - Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, avec « BFM TV » (Paris, 26 octobre 2024)

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Q - Il y a un peu moins d’un mois, juste après l’attaque de missiles de l’Iran sur son sol, Israël avait prévenu : il y aurait une riposte. C’est chose faite ; en tout cas, la première étape. La nuit dernière, des frappes ont été menées contre la République islamique.

(…)

Bonsoir, Christophe Lemoine.

R - Bonsoir.

Q - Merci de nous accorder une interview ce soir. Vous êtes le porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. À mes côtés pour vous interroger, Ulysse Gosset. Bonsoir Ulysse.

Q - Bonsoir.

Q - Quelle est la position de la France au sujet de cette riposte israélienne contre l’Iran ?

R - La position de la France est claire et elle a toujours été claire dans le cadre du conflit au Proche-Orient. La France a toujours appelé à la désescalade et à la retenue. Le point pour la France, c’est surtout de trouver et de dégager une solution diplomatique au conflit, ce qui commence par une première étape qui est le cessez-le-feu, l’arrêt des opérations, pour pouvoir ensuite développer une solution diplomatique. Donc c’est la position qui a été redite ce matin suite aux tirs de l’armée israélienne sur l’Iran qui ont eu lieu tôt ce matin. Encore une fois, appel à la désescalade, appel à la retenue et faire en sorte que les opérations cessent.

Q - Avez-vous vraiment l’impression que tous ces appels en toute direction sont entendus ?

R - Nous l’espérons.

Q - Les faits semblent prouver le contraire, de semaines en semaines.

R - De semaines en semaines, il y a effectivement une situation avec des tensions qui s’accroissent, notamment au Liban, et maintenant avec l’Iran. C’est donc une situation extrêmement préoccupante. Mais il faut, dans ces circonstances-là, continuer à rappeler - et c’est ce que fait la France par la voix de son Ministre - rappeler que ce qui est important, c’est de trouver in fine une solution diplomatique à cette crise. Et cette solution diplomatique commence par un cessez-le-feu et un arrêt des opérations. C’est un message que l’on porte depuis le début. Effectivement, ça fait plusieurs mois que la France porte ce message, mais elle est constante dans le message qui est porté. Encore une fois, il faut un arrêt des opérations et arriver à une discussion qui amène à une solution diplomatique au conflit.

Q - Vous parlez d’appel à la désescalade, mais est-ce que l’on s’adresse de la même manière à Israël et à l’Iran ?

R - La France parle à tous les protagonistes de la situation. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, ainsi que le Président de la République, échangent avec l’ensemble des autorités des États qui sont impliqués dans le conflit. C’est le cas, bien évidemment, avec Israël. Il y a un dialogue qui est régulier et soutenu entre le Président de la République et le Premier ministre Benyamin Netanyahou. Il y a aussi des échanges avec le président de la République Pezechkian, le président de la République iranienne.

Q - Dans cette désescalade, pour revenir à ma question, est-ce que vous mettez sur le même plan Israël et l’Iran ?

R - Non, on ne leur dit pas la même chose à l’un et à l’autre.

Q - Que dites-vous à l’Iran ?

R - Encore une fois, c’est un appel à la retenue, un appel à la non-riposte dans ce cas. Pour le coup, encore une fois, appeler à la désescalade, c’est appeler à la retenue de l’ensemble des parties.

Q - Est-ce que la France a été prévenue de cette attaque israélienne contre l’Iran ?

R - Nous en avons pris note ce matin. Nous avons effectivement vu qu’il y avait eu une attaque sur l’Iran ce matin. Et c’est ce qui a suscité notre réaction ce matin, d’appel à la désescalade.

Q - Est-ce que la France considère qu’Israël a fait preuve de retenue, justement, en attaquant, je dirais, « seulement », des sites de radar, et non pas, ni les installations nucléaires iraniennes, ni les sites pétroliers iraniens ? Est-ce qu’on peut considérer qu’Israël a fait preuve de mesure et s’est engagé dans une frappe, je dirais, limitée, pour ne pas provoquer à nouveau une escalade ?

R - Encore une fois, la France prône l’arrêt des opérations. C’est-à-dire qu’on arrivera à une solution qui sera pérenne, à une solution qui permettra de garantir et la sécurité d’Israël et la sécurité de l’ensemble de la région si on arrive à obtenir une solution diplomatique qui soit négociée entre tout le monde. Donc, pour le moment, la première des étapes consiste à appeler à la retenue, appeler à la désescalade et obtenir un cessez-le-feu afin de réunir les conditions de la mise en oeuvre d’une situation plus diplomatique.

Q - Est-ce qu’on peut dire que l’Iran et Israël sont en guerre aujourd’hui ?

R - Je ne sais pas si le terme est vraiment celui-là, mais en tout cas, il y a des échanges de tirs et des échanges de roquettes entre Israël et l’Iran, puisqu’évidemment, les tirs de ce matin étaient, selon l’armée israélienne, une réponse aux tirs iraniens. Évidemment, il y a une situation conflictuelle entre les deux qui est patente.

Q - Pour les États-Unis, les frappes d’Israël en Iran représentent de l’autodéfense, ce que dit la Maison-Blanche. Est-ce que vous reprendriez ce terme-là ?

R - Oui, ce sont effectivement les mots qu’a employés la Maison-Blanche ce matin. Encore une fois, la France préfère voir ce qu’il y a devant et le processus qui doit être mis en place pour obtenir une désescalade. C’est pour nous l’essentiel. Quelle que soit la nature de la frappe qui a été réalisée ce matin, c’est une frappe qui ne s’intègre pas bien dans cette logique qui devrait prévaloir, qui est une logique de discussion, une logique de négociation pour atterrir et pour arriver à une solution diplomatique au conflit.
Q - Un signe, un seul signe de désescalade que vous auriez identifié ces dernières semaines, j’oserais même dire ces derniers mois ?

R - C’est difficile à dire. Encore une fois, la situation sur le terrain est complexe. Il y a différents fronts qui sont ouverts. Et c’est une situation qui est un peu protéiforme. Donc il est peut-être difficile aujourd’hui de voir des signes de désescalade. Encore une fois, nous avons espoir que nous arrivons à cela.

Q - Les Américains ont demandé, il y a une semaine, à Netanyahou de ne pas lancer une attaque - c’était il y a une semaine - et de mesurer vraiment l’ampleur de l’attaque, ce qui semble-t-il, pour la première fois, a été fait. C’est-à-dire qu’il y a une forme, je ne dirais pas de modération, parce qu’on est dans une situation de guerre, même si c’est une guerre limitée et que l’on redoute une guerre totale. Mais est-ce que, comme signe de désescalade, en tout cas de volonté de désescalade, il n’y a pas le fait justement que cette attaque israélienne ait été de portée limitée ?

R - Ce serait faire une interprétation de l’attaque israélienne de ce matin, et je ne suis pas sûr qu’il m’appartienne de la faire. Mais simplement, encore une fois, il y a eu une frappe.

Q - Auriez-vous préféré qu’Israël ne riposte pas du tout, en d’autres termes ?

R - Ça aurait été un vrai signe de désescalade et de cessation d’opérations.

Q - Autre question, autre sous-question : il y a moins d’un mois, l’Iran menait une attaque contre Israël. Que devait faire Israël en guise de réponse alors ?

R - C’est justement l’engrenage que l’on cherche à stopper. C’est-à-dire qu’évidemment, on peut très bien entrer dans un engrenage d’attaques et de ripostes et de riposte à la riposte. L’idée - et c’est l’idée que porte la France depuis le début - c’est d’obtenir un cessez-le-feu, une cessation des opérations et une issue qui soit négociée de manière diplomatique. C’est vraiment tout le sens du message que porte la France depuis le début pour éviter justement de se retrouver dans une logique de ripostes et de contre-ripostes qui est de toute façon dommageable à la sécurité de la région, et surtout qui porte en elle toujours le risque d’une escalade dans les opérations.

Q - Est-ce qu’on peut passer de l’Iran au Liban, si j’ose dire ? Il y a eu une conférence importante en France cette semaine. Un milliard de promesses de dons et d’argent pour reconstruire le Liban. D’abord, très concrètement, les gens se disent, c’est un chiffre assez spectaculaire, un milliard, mais quand et comment cet argent va arriver au Liban ? Quelle est la suite, si j’ose dire ?

R - Effectivement, cette conférence, qui a été organisée jeudi dernier à Paris et qui a réuni 70 États et organisations internationales à l’initiative de la France, a permis de réunir un ensemble d’un milliard de dollars de dons qui se répartiront sur différents chapitres. Il y a 800 millions de dollars qui vont être consacrés directement à l’aide humanitaire aux populations libanaises. Ces dernières payent un lourd tribut dans ces opérations. Il y a près d’un Libanais sur cinq qui est déplacé, ce qui est quand même énorme. C’est une population qui manque de toute une série de besoins, même les plus élémentaires. Ces 800 millions de dollars ont vocation à apporter le soutien nécessaire à la population civile pour amortir les effets des frappes. Et la deuxième partie, qui constitue 200 millions de dollars qui ont été levés jeudi dernier, ce sont des fonds qui sont destinés au renforcement et au soutien des forces de sécurité libanaises, tout particulièrement les forces armé es libanaises. Effectivement, c’est un point aussi clé du règlement de ce conflit. Il faut avoir des forces de sécurité libanaises en mesure d’assurer leur mandat de manière effective pour être pleinement capables d’assurer un contrôle sur l’ensemble du territoire du Liban. C’est un préalable qui permettra par la suite la mise en place d’une situation politique.

Q - Nouvelle réaction à l’instant, cette fois d’un ministre israélien d’extrême-droite : « Israël a une obligation historique de faire cesser la menace iranienne. » Dans les faits comme dans les déclarations, on ne va pas, encore une fois, vers une désescalade.

R - Dans la déclaration d’un ministre israélien, peut-être. Encore une fois, l’objectif, redit jeudi lors de la conférence de Paris, et je pense que les 70 États qui étaient présents se sont accordés sur ce point-là, est de faire cesser les opérations et d’obtenir un cessez-le-feu. C’est ce qui avait déjà été demandé pour Gaza, c’est ce qui est demandé pour le Liban maintenant. Encore une fois, ce sont des cycles de violence qui ne peuvent pas amener à une situation d’apaisement et de calme et, à terme, à un règlement pacifique du conflit avec la mise en place de garanties de sécurité pour tout le monde, tant Israël que le Liban.

Q - Vous parliez de la conférence de Paris qui s’est tenue jeudi, la conférence internationale sur le Liban, durant laquelle Emmanuel Macron a eu des mots qui ont, j’oserais dire, encore fait polémique à propos d’Israël : « On ne défend pas une civilisation en semant la barbarie », façon de répondre à Benyamin Netanyahou qui, la veille, avait évoqué, je cite, « une guerre de civilisation contre la barbarie ». Les nouvelles déclarations d’Emmanuel Macron, qui font polémique, qui choquent une partie de la communauté juive, comme d’autres déclarations en espace de peu de temps… Est-ce que ces propos sont opportuns ?

R - Le Président de la République a été à l’initiative de cette conférence de Paris. C’est lui qui en a eu l’idée. Donc évidemment, il a prononcé la session inaugurale, dans laquelle il a rappelé tout le soutien que la France apportait à la population libanaise dans un premier temps, mais aussi ce que je vous disais, c’est-à-dire la position de la France qui consiste à avoir une posture de désescalade.

Q - Le CRIF dit que le Président met « symboliquement dos à dos les vrais barbares du Hamas et du Hezbollah (…) et la riposte d’une démocratie attaquée », je le cite.
R - Je pense qu’il ne me revient pas de commenter ces propos-là. Mais encore une fois, l’exercice de la conférence du Liban jeudi était un exercice positif de soutien à la population libanaise. L’objectif a été pleinement rempli. Et pour ça, je pense que nous pouvons nous en féliciter.

Q - Mais vous n’avez pas répondu. À quand ce milliard, je dirais, sur le sol libanais ? Comment on aide concrètement les 1,5 millions de réfugiés ? Et puis surtout, comment on arrête la guerre ? Est-ce que, pour l’instant, Israël n’arrête pas du tout les bombardements et n’arrête pas non plus de cibler la FINUL, les casques bleus, alors que le Président de la République a dit qu’il faudrait envoyer 6.000 casques bleus de plus ? Donc on est dans une impasse. Comment vous voyez d’abord le concret, l’aide, et puis comment arrêter la guerre ?

R - Concrètement, l’aide qui a été collectée jeudi dernier à Paris et qui est une aide en numéraire va se transformer effectivement en choses extrêmement concrètes. Et cela va être fait et coordonné notamment par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ici à Paris, au travers de partenaires locaux dans lesquels nous avons pleine confiance. L’ensemble des fonds récoltés vont se transformer plus ou moins rapidement dans des projets concrets, dans de l’aide humanitaire très immédiate au début, et puis ensuite, dans des projets qui seront peut-être des projets plus de l’ordre de la reconstruction. C’est le premier volet et c’est le volet le plus immédiat, parce qu’il y a une situation qui, en termes humanitaires, est très inquiétante au Liban. Encore une fois, un Libanais sur cinq qui a dû quitter son domicile et qui est déplacé, ce n’est jamais vu et c’est énorme, et ça nécessite de mettre en place différents moyens.

Le deuxième point, davantage de moyen terme cette fois, me permet de répondre à votre question sur la FINUL. Encore une fois, lors de la conférence de Paris, il a été rappelé que le cadre dans lequel devait se faire ce cessez-le-feu et la mise en place d’une solution diplomatique, c’est la résolution 1701 du Conseil des Nations unies. C’est une résolution qui date du mois d’août 2006 mais qui fixe un cadre extrêmement complet pour une solution politique sur le terrain, puisque ce cadre fixe d’une part, les conditions de sécurité d’Israël et d’autre part, le retour de la souveraineté des institutions libanaises sur l’ensemble du territoire libanais. Dans ce cadre, la FINUL est un élément extrêmement important, puisqu’elle joue ce rôle depuis sa création. Elle agit comme un élément d’intermédiation dans le conflit. Elle assume une présence qui contribue au maintien du calme dans la région. C’est un point qui est extrêmement important dans l’ensemble du dispositif.

Q - Merci Christophe Lemoine d’avoir accepté notre invitation ce soir.

R - Merci beaucoup.

Q - Merci Ulysse. À tout à l’heure.

Recapiti
Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères