Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, avec « France Info » (Paris, 11.01.25)

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Q - Bonsoir, Christophe Lemoine.

R - Bonsoir.

Q - Vous êtes le porte-parole du Quai d’Orsay. Vous prenez ça comment ? Tentative de calmer le jeu, avec ces mots : « il n’y a pas de volonté d’humiliation » ? C’était « humiliation », le mot de Bruno Retailleau hier. Ou au contraire, cette accusation de désinformation, ça envenime encore la situation ?

R - Non, il n’y a pas de désinformation dans l’ensemble de cette séquence. Nous avons, avec les Algériens, une relation qui est très longue, historique, très dense. Nous avons beaucoup de sujets de partenariats sur lesquels nous travaillons et nous voulons fonder la relation que nous avons avec l’Algérie dans une perspective d’avenir. Il y a une déclaration d’août 2022 qui a été signée par les deux Présidents de la République, qui fixe un cadre pour le dialogue bilatéral. Donc c’est un peu ainsi que nous concevons notre relation avec Alger, dans un esprit d’ouverture et de dialogue.

Q - Est-ce que vous avez le sentiment qu’Alger a aussi cette ambition-là aujourd’hui ?

R - Nous avons atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant et, depuis quelque temps, les autorités algériennes ont adopté vis-à-vis de la France une attitude assez hostile. Il y a eu évidemment l’épisode du renvoi de l’influenceur algérien cette semaine, qui est un élément qui aggrave en fait la situation, les autorités algériennes ayant décidé de ne pas l’accueillir. Donc cette posture de dialogue, elle existe encore à Paris, mais il est vrai que l’Algérie a atteint un seuil extrêmement inquiétant en termes d’hostilité à l’encontre de Paris.

Q - Si je complète ce qui est dit par Alger ce soir - Alger qui parle de campagne de désinformation, vous dites non -, Alger dit aussi que c’est une campagne orchestrée par l’extrême droite française et, dit le communiqué, « ses héros patentés au sein du gouvernement français ». Ça vous inspire quoi ?

R - Ce sont des mots qui ne m’inspirent en fait pas grand-chose. Encore une fois, je pense que c’est un point avec lequel il faut être sérieux. C’est une relation entre deux États qui est historique, profonde, dense, avec énormément d’échanges, donc c’est une relation qui mérite du sérieux dans les termes. Encore une fois, le gouvernement français a fait preuve de sérieux tout au long de la séquence. Nous avons souhaité le retour d’un influenceur algérien vers l’Algérie, qu’Alger n’a pas souhaité accueillir sur son territoire. C’est une décision assez stupéfiante. C’est une décision d’Alger. Mais encore une fois, il n’est pas question de désinformation, ou il n’est pas question de tout ce qui a été mentionné. C’est une relation d’État à État. Et à ce titre, elle doit être sérieuse, ouverte et franche.

Q - Du point de vue du Quai d’Orsay, est-ce que vous avez le sentiment que c’est une crise passagère ou que c’est une crise qui va durer ?

R - C’est difficile à dire. Il y a plusieurs éléments, effectivement, ces dernières semaines qui montrent qu’il y a un certain raidissement de la part d’Alger. Du côté de Paris, il y a toujours une volonté de dialogue. Encore une fois, nous avons un cadre pour cette relation bilatérale, qui est la déclaration d’août 2022. C’est une relation qui doit normalement pouvoir fonctionner sur la base d’un dialogue, d’échanges et de solutions trouvés en commun. On constate effectivement depuis ces dernières semaines qu’il y a des éléments du côté d’Alger qui ne s’inscrivent pas complètement dans cette perspective.

Q - Mais justement, quand le ministre Jean-Noël Barrot parlait hier de riposte, peut-être de représailles contre Alger - sur les visas, sur la coopération -, est-ce que là, la France participe à l’escalade, finalement ?

R - Il y a la volonté assez forte du Gouvernement - et c’est ce qu’exprimait Jean-Noël Barrot hier - de répondre quand même à cet épisode, sur le refus d’Alger d’accueillir l’un de ses ressortissants sur son territoire. C’est quand même un événement qui est, encore une fois, assez stupéfiant. Donc c’est le sens des propos du Ministre, en indiquant que le Gouvernement va regarder comment il peut réagir à cette décision assez peu compréhensible des autorités algériennes.

Q - Vous citez le cas de cette expulsion qui n’a pas abouti. Alger donne quelques données : que cet homme était sur notre territoire depuis plus de trois décennies, avec une carte de séjour, avec deux enfants, avec un emploi stable, avec un mariage avec une Française. Ce sont des données non négligeables dans le cadre de l’étude de ce type de dossier ?

R - Il y a une procédure qui a été enclenchée à l’encontre de cet influenceur, qui effectivement a une situation en France, mais qui est un citoyen algérien. La décision a été prise, sur la base de considérations juridiques assez fiables et assez établies, de le renvoyer vers Alger. Encore une fois, il est assez stupéfiant qu’Alger ne souhaite pas accueillir sur son territoire ses propres ressortissants.

Q - Quel levier d’action la France entend réellement employer, quand on entend Bruno Retailleau puis Jean-Noël Barrot parler, effectivement, de cette question des visas, d’autres possibilités ? Qu’est-ce qui est dans les tuyaux actuellement ?

R - C’est une réflexion qui est en cours entre évidemment le ministère de l’Europe et des affaires étrangères - et tout particulièrement son ministre, Jean-Noël Barrot - et le ministère de l’intérieur. Il y a différentes options qui sont possibles, c’est ce qu’a indiqué le Ministre dans ses propos hier. C’est une réflexion qui est en cours à l’heure actuelle et nous verrons comment réagir.

Q - Des nouvelles de Boualem Sansal, par ailleurs - autre affaire médiatique qui envenime les relations entre ces deux pays -, cet écrivain franco-algérien qui a été arrêté depuis deux mois maintenant en Algérie ?

R - Absolument, et nous continuons d’être très préoccupés par la détention de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Nous sommes particulièrement préoccupés de son état de santé. C’est une situation qui est suivie par les autorités de manière très proche et avec beaucoup de vigilance. Et encore une fois, il y a eu des appels à libérer Boualem Sansal qui ont été donnés et redonnés par les plus hautes autorités françaises.

Q - Mais qui pour l’instant n’ont pas été entendues ? On imagine qu’une libération éventuelle, ça ferait partie des leviers pour une désescalade des tensions ? Est-ce qu’il y a d’autres leviers possibles ?

R - Pour le moment, encore une fois, c’est ce que je vous indiquais : il y a quand même une ouverture au dialogue qui a toujours été maintenue de la part de Paris. Nous avons, avec l’Algérie, un dialogue ancien et historique. C’est un dialogue qui se poursuit. On constate, ces dernières semaines, qu’effectivement, c’est une volonté de dialogue que les Algériens ne souhaitent pas prendre, mais il y a toujours une ouverture au dialogue de la part de Paris.

Q - Christophe Lemoine, vous avez fait allusion à la relation entre le président Tebboune et le président Macron, qui avaient signé une sorte de feuille de route stratégique en 2022. Est-ce que le président français a l’intention de parler directement au président Tebboune pour régler cette crise, j’allais dire « au sommet » ?

R - Spécifiquement sur votre question, je ne peux pas vous répondre. Mais ce qui est vrai en tout cas, c’est que cette déclaration d’Alger d’août 2022 constitue un partenariat assez général de notre relation avec l’Algérie, qui doit normalement constituer un cadre pour notre coopération dans différents domaines, que ce soit de la coopération économique, de la coopération culturelle, que ce soit tout ce qui a été mis en oeuvre au niveau mémoriel. Je vous rappelle la Commission Stora qui avait été mise en place, et différentes choses. Donc cette feuille de route, normalement, est le cadre de la relation que nous devons avoir avec Alger et doit guider l’action de nos deux pays vers une coopération plus étroite.

Q - L’ambassadeur de France, Stéphane Romatet, était ces jours-ci à Paris pour la Conférence des ambassadeurs. Est-ce qu’il est retourné à Alger ? Et si oui, avec quelle feuille de route, avec quelle instruction pour son retour à Alger ?

R - Je ne sais pas s’il est rentré à Alger encore. Il était effectivement à Paris cette semaine pour la Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs…

Q - Vous ne savez pas où il est ?

R - Je vous dis juste que je ne sais pas s’il est rentré à Alger ou s’il est encore à Paris. Je n’ai pas son agenda clairement en tête.

Q - Dans une telle semaine, c’est quand même gênant.

R - Sa feuille de route sera de toute façon selon les termes que je vous ai donnés, c’est-à-dire qu’encore une fois, il y a un cadre général qui a été fixé en août 2022 et qui reste pour nous le cadre primordial des relations que nous avons avec l’Algérie. Il y a eu ces derniers éléments qui, vu de Paris, sont assez surprenants et dénotent une certaine hostilité - ou du moins une attitude hostile - de la part des autorités d’Alger. La feuille de route de l’ambassadeur, effectivement, s’inscrira dans ce cadre, puisque, comme vous le savez, les ambassadeurs sont prioritairement chargés du dialogue avec les autorités de leur pays de résidence.

Q - Pourvu qu’on le retrouve vite, alors !

R - Il n’est pas perdu, ne vous inquiétez pas.

Q - Merci Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d’Orsay.

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Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères