Médias et plateformes : la lente percée des femmes

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Malgré une présence féminine en progression à l’écran comme en ligne, la valorisation des femmes reste insuffisante. Si elles sont davantage visibles dans les médias, elles peinent encore à accéder aux rôles d’expertise, que ce soit à la télévision ou sur les plateformes numériques.

Présence des femmes à l’écran : une visibilité accrue, mais des rôles moins valorisés

Dix ans d’observation pour un constat toujours contrasté. Dans son baromètre rétrospectif 2013-2023, l’Arcom a dressé un tableau assez sévère de la représentation de la société française dans les médias audiovisuels.
Malgré une mobilisation croissante des chaînes, les progrès restent limités. Le régulateur a passé en revue plus de 32.000 émissions et près d’un demi-million d’intervenants à l’écran et il en ressort des avancées, mais aussi de nombreuses zones d’ombre.

Sur la décennie 2013-2023, la présence des femmes à l’écran progresse de trois points, passant de 37 % à 40 %. Une avancée mesurée, mais constante, que l’Arcom relie directement au cadre législatif, notamment la loi du 4 août 2014 sur l’égalité femmes-hommes, qui a incité les chaînes à réévaluer leurs pratiques.

Cette progression se concentre toutefois dans des formats très spécifiques. Les programmes à forte audience (divertissements, magazines de société, talk-shows ) affichent une féminisation plus marquée. Les chaînes semblent privilégier ces créneaux pour répondre aux attentes sociales et aux exigences du régulateur. À l’inverse, l’information, les documentaires politiques ou économiques et les émissions d’expertise technique restent très largement masculinisés.

Toujours plus présentes à l’antenne ou au micro, les femmes ne sont, en revanche, pas plus entendues. Leur temps de parole a pu être mesuré grâce à un outil algorithmique développé par l’INA et ce dernier stagne à 36 %.

En représentation, tout comme en temps de parole, les femmes sont mieux loties dans l’audiovisuel public que dans le privé : elles sont 47% contre 45% et leur temps de parole y est nettement plus élevé (42% contre 32%).

On note une dissociation persistante entre la visibilité des femmes et la nature des rôles qu’elles occupent à l’écran. 

Dans les émissions de flux (magazines, plateaux, talk-shows), elles incarnent davantage des figures du quotidien ( témoins, consommatrices, participantes ) que des rôles décisionnaires ou spécialisés.
Dans les programmes d’information, leur présence en tant qu’expertes (économistes, politologues, scientifiques, spécialistes de défense ou de géopolitique) reste nettement inférieure à celle des hommes.
Plus largement, les femmes sont fortement sous-représentées dans les contenus traitant de thématiques régaliennes, économiques, scientifiques ou technologiques, qui demeurent des espaces dominés par des intervenants masculins, tant dans l’information que dans les documentaires d’actualité.

Autrement dit : la télévision française continue de sous-représenter les responsabilités professionnelles réellement occupées par les femmes dans la société.

En réponse au manque de représentativité des femmes, des chaînes développent des outils internes, comme Canal +, qui utilise « Le Gender Equality Monitor », un outil interne utilisant l’IA, qui mesure désormais le temps de présence et de parole des femmes à l’écran.

L’âge, un facteur discriminant majeur

La sous-représentation des femmes s’accentue avec l’âge.
Les femmes de plus de 50 ans constituent une part très faible des personnes visibles à l’écran, un phénomène récurrent, confirmé par les données du baromètre.
Tandis que la présence masculine reste stable ou augmente avec l’âge, celle des femmes décroît nettement, y compris dans des formats où l’apparence ne devrait pas primer, comme les débats économiques ou politiques. 

La fiction en avance, l’information à la traîne

La fiction apparaît comme un moteur de diversité : les séries, notamment celles du service public, offrent davantage de personnages féminins actifs, cadres, leaders.

À l’inverse, l’information, cœur d’influence de l’audiovisuel, évolue lentement. Le recours à des expertes progresse, mais demeure marginal. Certaines rédactions ont mis en place des annuaires, ou partenariats pour diversifier leurs intervenants, mais l’effet reste encore limité dans les statistiques.

« Notre média s’adresse chaque jour à des millions de personnes, nous avons la responsabilité et le devoir de représenter la société dans son ensemble. A la sortie de la crise sanitaire en 2021, période durant laquelle les expertes étaient beaucoup moins visibles sur les écrans de tous les médias, nous avons décidé de lancer un nouveau projet pour sourcer des expertes dans les domaines où nous estimons qu’elles étaient moins représentées (santé, géopolitique, économie, sécurité, défense). Notre volonté était de renforcer la présence et la prise de parole des femmes expertes dans nos rendez-vous d’information. Des femmes parfois peu connues ou non identifiées par nos journalistes mais aussi des femmes qui n’osaient pas franchir la porte des médias par crainte d’illégitimité. C’est ainsi qu’est né notre programme  “experte à la une” ». Christelle Chiroux, directrice adjointe de l’information du Groupe TF1 en charge de la médiation et de la RSE & Directrice déléguée de la Fondation TF1 – “Métiers d’hommes, métiers de femmes  Déconstruire les stéréotypes de genre” – Les entreprises pour la Cité – Juin 2025

Cette inertie pourrait devenir un handicap stratégique. Les publics, notamment les plus jeunes, sanctionnent les programmes qui ne reflètent pas la société réelle. Dans un contexte de concurrence accrue des plateformes, la diversité devient un enjeu d’image autant que de conformité réglementaire.

Femmes et plateformes numériques : une visibilité croissante, une légitimité toujours inégale

Bien que les plateformes numériques ouvrent de nouvelles possibilités d’expression, elles ne résolvent pas les déséquilibres déjà présents dans les médias audiovisuels traditionnels. Les recherches récentes montrent même que les mécanismes de visibilité et de valorisation restent similaires, et sont parfois renforcés par les algorithmes.

Une étude de 2024 sur la communication scientifique en ligne (The Gender Gap in Science Communication on TikTok and YouTube) révèle que les vidéos produites par des créatrices de contenus scientifiques obtiennent en moyenne 15 à 30 % de vues en moins que celles réalisées par des hommes, à contenu équivalent. L’écart est particulièrement marqué sur YouTube, qui tend à favoriser les chaînes déjà fortement établies.
Sur ces mêmes plateformes, leurs vidéos enregistrent également près de 20 % d’engagement en moins (likes, commentaires, partages) confirmant que la visibilité ne garantit pas une réception équivalente.

Au-delà des contenus scientifiques, les pratiques de mise en avant jouent un rôle déterminant. Une étude publiée en 2022 (The Gender Gap in Scholarly Self-Promotion on Social Media) montre que les femmes relaient 40 % moins que les hommes leurs propres travaux ou interventions sur les réseaux sociaux. Cette moindre mise en avant, souvent liée à un environnement numérique perçu comme plus hostile, réduit mécaniquement leur visibilité dans les flux algorithmiques et freine leur reconnaissance comme voix expertes.

L’environnement numérique lui-même produit des effets d’éviction. Les récentes études publiées depuis 2023, notamment par le Pew Research Center, l’UNESCO ou l’Oxford Internet Institute, montrent que les femmes créatrices de contenus sont davantage exposées à des commentaires agressifs, sexualisants ou dénigrants. 41 % d’entre elles déclarent publier moins souvent après des attaques. L’UNESCO parle même d’un chilling effect, lorsque la peur du harcèlement conduit à réduire la fréquence de publication, l’ambition des contenus et parfois la présence en ligne elle-même. Le numérique ne neutralise donc pas les biais : il peut les amplifier.

Ainsi, même si les plateformes ont permis l’émergence de créatrices reconnues notamment dans les domaines du lifestyle, de la culture ou de l’éducation, les registres associés à la légitimité (expertise, savoir, science) demeurent majoritairement occupés par des créateurs masculins. 

Comme dans l’audiovisuel classique, la visibilité progresse, mais la valorisation reste inégale. Le chemin vers une pleine égalité d’autorité et de crédibilité demeure long. Télévision, réseaux sociaux, plateformes : l’écosystème change, les mécanismes résistent. La parité ne se joue plus seulement dans la présence, mais dans la reconnaissance. La prochaine étape n’est plus de voir davantage de femmes, mais de les entendre autrement et la question sera désormais la place que la société accepte de leur donner. 

Les entreprises pour la Cité 

Les entreprises pour la cité : un réseau pionnier

Depuis plus de 30 ans, notre association mobilise et inspire les entreprises en matière d’innovation sociale (diversité, inclusion, égalité des chances, mécénat et engagements citoyens). Nos équipes animent la réflexion et accompagnent un collectif d’entreprises engagées en faveur de l’intérêt général, par le partage et la co-construction. 

Recapiti
Nathalie DUCONGE