Publié le 16.12.2024| Mis à jour le 20.12.2024
Dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 décembre 2024, le régime du clan Assad s’est effondré. Plus de 50 ans d’un règne cruel prennent fin. Sana Yazigi est la fondatrice de Mémoire créative de la révolution syrienne, une plateforme partenaire du CCFD-Terre Solidaire qui, depuis 2013, récolte et met en ligne toutes les formes d’expressions intellectuelle et artistique liées à la révolution syrienne. Encore dans l’émotion de la chute de Bachar al-Assad près de 25 ans après son arrivée au pouvoir à la suite de son père, Sana Yazigi partage ses premières réactions avant de se rendre prochainement en Syrie, son pays, qu’elle n’a pas vu depuis 14 ans.
Mémoire créative de la révolution syrienne : Animée par la conviction profonde qu’il faut préserver la mémoire, Sana Yazigi a créé un site internet unique en son genre. À la fois archives, mémoire et actualité, le site « La Mémoire créative de la révolution syrienne », partenaire du CCFD-Terre Solidaire, recense, depuis mai 2013, l’expression intellectuelle et artistique du peuple syrien qui s’est soulevé contre Bachar al-Assad. Un livre documentant les années 2011-2020 a paru en Arabe et est en cours de traduction en Anglais et Français. ➝ En savoir plus
« Nous sommes sous le choc ! même si c’est un choc positif. La chute du clan Assad a été si rapide que c’est une surprise pour tout le monde. Tous les Syriens ressentent aujourd’hui une immense joie car nous nous sommes débarrassés d’un criminel. Maintenant, les craintes et incertitudes quant à la suite sont nombreuses mais je ne veux voir pour l’instant que le champ des possibles qui s’ouvre. C’est une opportunité pour la Syrie. Nous voulons donc être positifs sans nous faire d’illusions.
Le nouveau pouvoir est islamique. Pas jihadiste. Et cela fait toute la différence (trois jours après la chute de Bachar al-Assad, le Premier ministre syrien de transition Mohamed al-Bachir a assuré que les droits de toutes les communautés serait garanti et qu’il souhaitait assurer la stabilité et le calme, ndlr). Pour bien comprendre, les islamiques veulent gouverner par la voie musulmane tandis que les jihadistes veulent porter et imposer l’Islam à l’extérieur. Ce n’est donc pas ce qui se profile ici. Nous sommes vigilants mais les signes envoyés par ce pouvoir de transition sont rassurants, notamment parce que ce pouvoir, temporaire, brandit le drapeau de la révolution.
“The Tunnel” de Najah Albukai, archivé sur le site Mémoire créative de la révolution syrienne.
Najah Albukai est un graveur et dessinateur syrien né à Homs en 1970. Il est connu notamment pour ses dessins de corps suppliciés et de méthodes de torture, subies et observées lors de ses périodes d’emprisonnement dans les prisons du régime syrien.
Les années Daesh sont un traumatisme pour les Syriens et notamment pour la minorité chrétienne dont je suis issue (Daesh a détruit les Églises et pourchassé les chrétiens avant son départ en 2019, ndlr). Les chrétiens étaient a minima silencieux et au pire pro-régime par peur d’être à nouveau menacés. Mais ces derniers jours, immédiatement, les chrétiens se sont alignés derrière ce nouveau pouvoir dans l’espoir d’entrer enfin dans une période de calme et de paix.
“Syrians Are Not Numbers” de Roya Issa, archivé sur le site Mémoire créative de la révolution syrienne.
Roya Issa (née en 1973) est une artiste peintre contemporaine syrienne qui vit et travaille à Berlin. Bien que Roya peigne depuis son enfance, sa véritable carrière d’artiste n’a commencé qu’à Cologne, en Allemagne, en 2014.
En raison de la guerre en Syrie, Roya s’est installée en Égypte et a poursuivi une carrière artistique. Au Caire, elle a exposé à l’Opéra en 2013 et a reçu le prix Lovers for Fine Arts.
Entre 2012 et 2013, elle a mené un projet intitulé We are Puppets avec d’autres réfugiées syriennes sous le parrainage du HCR.
Justice
Maintenant va se poser la question de la justice. Le monde entier a été choqué ces derniers jours par les images tournées à la prison de Saydnaya, un lieu de torture. Il faut donc montrer ces images, montrer les crimes du régime. C’est tout le travail que nous effectuons depuis plus de dix ans.
Le pouvoir actuel souhaite juger les hauts responsables pour ces crimes commis sous le régime Assad. Même si tout le monde ne pourra pas être jugé, il est important de mettre en place une justice transitionnelle. Pour l’instant, il n’y a pas eu de vengeance organisée par le nouveau pouvoir même s’il y a eu des incidents isolés. L’amertume est immense mais il faut prendre le temps d’attendre cette justice transitionnelle.
Ce que je note aujourd’hui et qui me donne espoir, c’est que la chute du régime se fait par les Syriens. »
Propos recueillis par A.C.
Aller plus loin :
- Situation en Syrie : le regard de nos partenaires
- Syrie : « Bienvenue dans une nouvelle Damas »
- L’interview de Sana Yazigi, créatrice du site Mémoire créative de la révolution syrienne, dans l’émission “A l’air libre” de Mediapart (12 décembre 2024)
Image de couverture :
Le tableau “Oussama” peint en 2017 par Dima Nashawi, archivé le site Mémoire créative de la révolution syrienne. Dima Nashawi est une artiste et militante pour les droits humains syrienne née en 1980 à Damas. Elle défend notamment les droits des enfants syriens réfugiés à Beyrouth, au Liban. Elle est illustratrice, clown et fondatrice du projet Memory Initiative for Syrian Culture.