Les difficultés budgétaires à venir : allons-nous vers un French Shutdown ? - Fondation Copernic

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Par Nicolas Thirion, syndicaliste, économiste issu de l’EHESS, et Christophe Voilliot, professeur de sciences politiques à l’université de Nanterre.

Cet article a été mis à jour en décembre 2024. Lien vers la vidéo de Nicolas Thirion (décembre 2024)

L’Assemblée Nationale sortie des urnes le dimanche 7 juillet est structurée de manière inédite depuis le début de la cinquième République.

Depuis 1958, une majorité a toujours pu apparaître, relative ou absolue.

Souvent divisée en 2 blocs dont les logiques politiques s’affrontent en se faisant face, projet contre projet, majorité contre opposition, droite contre gauche.

La constitution[1] prévoit même la possibilité de recréer fictivement une majorité par son article 49.3 permettant d’adopter une loi sans réelle majorité et surtout sans vote, dès lors qu’une censure n’est pas votée contre le gouvernement.

Bien que décrié car profondément antidémocratique, l’arsenal juridique constitutionnel doit permettre d’assurer la gouvernance du pays, tant au plan exécutif que législatif.

Il est à noter que le vote du budget occupe une place tout à fait particulière. Par son annualité, c’est un texte de loi qui se présente de manière récurrente à l’assemblée. C’est un acte incontournable dont on sait par avance qu’il constituera un point de discussion législatif ; point d’appui à toute politique économique ou bien point d’opposition, la position à adopter ne peut pas être neutre. Le budget est l’acte de mise en œuvre de toute politique économique, ou bien le frein à cette dernière.

Sous la cinquième République, il a toujours été voté, dans les formes et dans les temps (à l’exception d’un retard en 1962), même à « coup de 49.3 ».

Pour la première fois depuis 1958, les deux tours des élections législatives des 30 juin et 7 juillet ont eu pour résultat la constitution d’une assemblée en 3 blocs a priori non conciliables. La particularité d’une absence de majorité même relative, sauf à la création d’alliances contre nature, risque dès lors de rendre l’assemblée sans orientation dans le cadre de la mandature qui s’ouvre. Hormis des alliances de circonstances sur des projets ou propositions de loi particuliers, l’assemblée qui se réunit de plein droit risque de ne pas pouvoir permettre à un gouvernement de pouvoir bénéficier d’une confiance, même à court terme.

Le risque souvent identifié est double. Le premier est celui de la mise en œuvre de l’article 16 de la constitution par le président de la république dès lors que les institutions sont menacées. Mais les analyses divergent sur cette question.

L’autre risque est budgétaire. On veut ici se concentrer sur ce risque, car il est immédiat et surtout incontournable. La construction d’un budget se travaille pendant toute une année jusqu’à sa publication au plus tard le 31 décembre qui précède l’année de son entrée en vigueur.

Il est essentiel de mesurer en quoi le risque législatif perturbe le cycle budgétaire, de même de voir ce qui peut advenir en cas de non vote du budget, ce qui constituerait assurément un précédent sous la cinquième république.

La perturbation du cycle budgétaire

Perturbations dans la phase administrative

Un budget se construit tout au long de l’année qui précède l’année pour laquelle il est censé s’exercer. Toutes les opérations, jusqu’au vote de la loi de finances qui les sous-tend, promulgation et publication, doivent avoir lieu jusqu’au 31 décembre de l’année qui précède l’application du budget.

Ce calendrier défini par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)[2] comprend une phase administrative et une phase législative.

Il est à remarquer que la phase administrative, qui peut être envisagée comme une phase technique, s’en trouve perturbée avec des conséquences politiques qui ne peuvent être écartées.

Le projet de loi de finances de 2025 a ainsi commencé dès 2024.

Au mois de février – du 05 février au 01 mars – ont eu lieu les « conférences techniques ». Elles constituent chaque année un temps d’échange entre la Direction du budget et les différents ministères. Chaque ministère peut y faire valoir ses besoins en ressources pour l’année suivante.

Dès le mois de février et jusqu’au 28 juin se tiennent les « conférences de performances ». Elles constituent une revue des objectifs et des indicateurs de performance dans le cadre des projets annuels de performance (PAP). La Direction du budget transmet au parlement avant le 15 juillet la liste des objectifs et des indicateurs.

On notera que la nouvelle assemblée issue des urnes le 7 juillet devait se réunir selon l’article 12 de la Constitution le 2ème jeudi suivant l’élection, soit le jeudi 18 juillet, ce qui a représenté une réalité effective.

Si le projet de loi de Finances (PLF) n’est pas à l’ordre du jour de l’assemblée, il n’en demeure pas moins fondé sur une volonté et orientation politiques du gouvernement Attal démissionnaire (gouvernement constitué début janvier 2024).

Parallèlement se sont tenues les conférences budgétaires du 22 avril au 15 mai fondées sur des réunions à Bercy avec les services selon les directives fixées par le premier ministre.

A leur suite ont lieu les premiers arbitrages du 01 juin au 15 juillet où le ministre du budget rencontre chacun des membres du gouvernement dans le cadre de leurs ministères respectifs.

A ce point, on mesure combien a dû être perturbée cette phase, tant par la dissolution de l’assemblée que par la campagne électorale et la nouvelle assemblée issue des urnes. Pourtant, la tendance était aux économies budgétaires, comme le montre le décret du 21 février 2024 qui annulaient 10 milliards d’engagements et 10,1 milliards de crédits. Pour l’ancienne majorité, tout comme la nouvelle assemblée ainsi que les futurs ministères à constituer, les incertitudes ne peuvent pas être levées en l’état.

Perturbations dans les arbitrages et la phase parlementaire

Après les conférences se tiennent les arbitrages, phases où le ministre du Budget rencontre chacun des membres du gouvernement du 1er juin au 15 juillet. Normalement, ces arbitrages sont finalisés avant le 15 juillet et un rapport sur les plafonds prévisionnels de dépenses est publié.

A compter de mi-juillet un courrier notifie le niveau de crédit des ministères par mission et par programme.

Enfin, dernière phase administrative, des conférences de répartition se tiennent pendant la deuxième quinzaine de juillet (du 15 au 26 juillet) qui a pour objectif d’affiner la répartition des crédits et des emplois. Elle doit permettre d’arriver à la soutenabilité de la répartition des moyens des politiques publiques et la couverture des dépenses obligatoires.

C’est traditionnellement au cours de l’été que la direction du budget, en coordination avec les ministres finalisent les articles du projet de loi de finances (PLF).

Cette phase administrative effectuée, la construction du budget entre dans une phase parlementaire. Les élus prennent le pas sur l’aspect administratif pour entrer dans une période de discussion devant aboutir à un vote du budget finalisé.

Conférences et arbitrages se tiennent dans un monde idéal de stabilité de gouvernance, lorsqu’une majorité continue d’exercer sa politique par un gouvernement qui a la confiance et la majorité du parlement derrière elle. Il arrive évidemment que la majorité change et bascule au cours d’un exercice budgétaire. Sous la cinquième république, si l’on excepte les premiers mandats de De Gaulle et Pompidou, les élections ont toujours eu lieu au mois de mai, sans exception. Au reste, l’instauration du quinquennat pour le deuxième mandat de Jacques Chirac (2002-2007) et mis en place sous la mandature de Lionel Jospin, alors premier ministre (1997-2002), a achevé de faire coïncider les mandatures législatives et présidentielles. Sans rentrer dans le débat, il s’agit là d’une des conséquences visibles de la stabilité institutionnelle a priori.

Dès lors que les mandatures du pouvoir exécutif suivent celles du pouvoir législatif, la cohérence du vote dans le pays suit une logique gouvernance identique. Cette logique est en train de basculer. Malgré une construction institutionnelle favorisant la stabilité, une volonté d’effectuer des économies supplémentaires, dictée par les déficits, les notations des agences et les principes de stabilité européens, la situation devient bien plus instable

Renversement inédit de la stabilité budgétaire à l’assemblée sous la cinquième République

Une adoption du budget toujours sécurisée depuis 1958

Après les dissolutions de 1962 (censure du gouvernement Pompidou), 1981 (élection de François Mitterrand), 1988 (réélection de Mitterrand), 1997 (dissolution de Jacques Chirac), il n’y aura plus de dissolution avant celle de cet été.

Lorsque la majorité change, comme lors de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, les élections législatives qui ont eu lieu simultanément ont donné une majorité présidentielle au nouveau président. Le nouveau gouvernement formé alors par Édouard Philippe s’est d’ailleurs empressé dès son discours de politique générale, de mettre en cause la politique budgétaire du pays, accusée de creuser les déficits :

« Nous vous invitons à prendre des mesures fortes afin de ramener le déficit sous la barre des 3%, conformément à nos engagements européens, et cela dès 2017. Notre dette est tellement astronomique qu’on finirait par penser qu’elle n’est que théorique et virtuelle. »[3]

On comprend qu’un gouvernement finit par avoir la haute main sur le budget puisque c’est ce dernier qui le fait voter par sa majorité. La possibilité de voter également un « collectif budgétaire » (une loi de finances rectificative) peut même modifier la loi en cours. C’est sans doute à cela que fait allusion le premier ministre de l’époque Édouard Philippe lorsqu’il veut s’engager, au milieu de l’année 2017, à limiter le déficit dès l’année en cours.

Dans le cas classique du PLF, une saisine du Conseil d’État a lieu pour avis. Après examen, la Direction du Budget confectionne les fameux « bleus » budgétaires qui rassemblent l’ensemble des articles du PLF.

Finalisé, le projet de loi de finances est déposé à l’Assemblée Nationale au plus tard le premier mardi d’octobre en première lecture selon l’article 39 de la LOLF. Discussions et votes se font pour la première partie du PLF (concernant les ressources et l’équilibre) et sa deuxième partie (concernant les crédits des missions).

Transmis au Sénat, si des dissensions se font jour lors des votes de l’autre chambre, une commission paritaire mixte (députés et sénateurs) est instituée pour réexaminer le projet.)

Au final, le parlement dispose de 70 jours au maximum pour examiner le PLF suivant l’article 47 de la Constitution.

Il est souvent adopté à la mi-décembre.

En tout état de cause, sa publication doit intervenir avant la fin de l’année. Le dernier jour de l’année constitue une date.

Néanmoins, si le parlement ne s’est pas prononcé dans ce délai de 70 jours, l’article 47 de la constitution prévoit que les dispositions du projet de loi de finances peuvent être mises en vigueur par ordonnance.

On constatera que cet ordonnancement constitutionnel permet de faire face à tous les cas de figure, et cela depuis 1958.

Or, suite à la débâcle présidentielle lors des élections européennes, le président a annoncé la dissolution de l’Assemblée Nationale.

Pour la première fois existe une possibilité d’absence de majorité qui empêcherait le vote de nombre de lois.

Les conséquences sont multiples et forment un précédent imprévu.

Une situation institutionnelle inédite depuis les élections du 7 juillet 2024

La constitution de la cinquième république n’est pas faite pour les « non-majorités ». Le système de scrutin et le texte lui-même tend à favoriser un exécutif fort s’appuyant sur une majorité législative de la même obédience.

La mandature qui commence rebat les cartes.

Sans majorité, le pouvoir législatif enlève de sa substance au pouvoir exécutif.

Le gouvernement Attal a été démissionnaire suite aux résultats des élections du 7 juillet. Dans un communiqué du 16 juillet de l’Élysée, il est précisé que le président de la République « l’a acceptée ce jour ». Le gouvernement reste néanmoins en place pour le « traitement des affaires courantes ».

A ce titre, une note du secrétariat général du gouvernement[4] se pose très sérieusement la question (dès le 2 juillet, avant les résultats électoraux !) du périmètre d’action d’un gouvernement expédiant les affaires courantes. Ces dernières seraient de 2 ordres : ordinaires et urgentes. Pour ce qui est des mesures législatives, la possibilité d’une activité législative est jugée « inédite et d’une résolution délicate ».

Deux motifs peuvent amener à écarter toute activité législative à un gouvernement démissionnaire. D’une part, comme la constitution a défini dans son article 34 le domaine de la loi aux questions les plus principielles, il serait inopportun de considérer une mesure législative comme non sensible pour un gouvernement démissionnaire. D’autre part, le parlement ne pourrait plus jouer de sa prérogative de renverser le gouvernement, car ce dernier est déjà démissionnaire.

Pour autant, la nécessité de devoir impérativement voter la loi de finances est bien envisagée comme une problématique aiguë. C’est bien au parlement que le gouvernement – même démissionnaire – doit demander d’urgence de percevoir les impôts pour pouvoir ouvrir par décret les crédits se rapportant aux services votés, c’est à dire aux crédits votés pour l’année en cours. Cette nécessité devrait normalement limiter le recours à l’article 47 disposant que le gouvernement peut procéder par ordonnance si la loi de finances n’était pas votée dans les délais et suivant la procédure décrite plus haut.

Si la procédure est inédite sous la cinquième république, elle a été commune par le passé. Sous la quatrième république, 14 lois de finances furent votées « en affaires courantes » ; 9 d’entre elles visaient à éviter la cessation des paiements, comme aux États-Unis où on peut encore aujourd’hui vivre un « shut down », période où les fonctionnaires par exemple ne sont plus payés.

Sous la troisième république, certains votes du budget avortés ont nécessité la demande de vote à la chambre d’un « douzième provisoire », où les crédits et recettes votés sont reconduits à équivalence d’un douzième du budget prévu par la loi de finances de l’année d’avant .

En tout état de cause, la question est de plus en plus débattue, tant dans les médias, les structures gouvernementales, que les « think tanks » comme l’IFRAP qui pose dès le début comme réalité intangible l’existence future d’un budget pour le pays en 2025. En analyse de différents scénarios, ce même institut pose la démission du président comme une nécessité indiscutable !

L’institut envisage la possibilité de non vote du PLF sous l’angle de diminution des dépenses du pays, encore et toujours, sans surprises, dans une stricte logique ultra libérale.

L’analyse doit être différente, plus proche du droit, plus réaliste, et surtout fondée sur une volonté économique axée sur une autre vision qu’un libéralisme obnubilé par le déficit budgétaire.

Dès avant le résultat des élections législatives, les directeurs des finances publiques départementales, par lesquels services sous leur responsabilité passent toutes les dépenses du budget de l’État, ont été convoqués à Bercy. Par ailleurs, Bercy bruisse d’échos sur le vote du budget – et sur la possibilité de son non vote.

Il est évident que la question est cruciale.

L’article 45 de la LOLF a été modifié par la loi du 28 décembre 2021, et dont l’usage n’est possible que depuis l’exercice de 2023, comme si le cas que nous envisageons avait été alors prévisible. Ce scenario s’apparente grosso modo au mécanisme des « douzièmes provisoires » en vigueur sous les régimes précédents, mécanisme explicitement rejeté lors des débats constitutionnels de l’été 1958. Sa réintroduction s’est faite sans grande publicité, dans le cadre d’une révision conséquente de la LOLF à l’initiative d’E. Woerth et de L. Saint-Martin.

Le gouvernement peut demander à l’Assemblée, avant le 11 décembre de l’exercice budgétaire suivant, d’émettre un vote séparé sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances (ressources et équilibre général) de l’année.

Si cette procédure n’aboutit pas, le gouvernement dépose avant le 19 décembre un projet de loi spécial l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année.

Par la suite le gouvernement peut prendre les décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés, c’est à dire au minimum de crédits que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente.

Sans rentrer dans les débats du coût des mesures du programme du Nouveau Front Populaire, il est aisé de comprendre que tout le programme et son chiffrage – quel que soit son niveau – est fondé sur des dépenses visant notamment à rattraper des retards accumulés dans de nombreux services publics.

Si le vote du budget pour l’année 2025 ne devait pas intervenir dans les délais ou bien amènerait à une impasse avant la fin de l’année, la mise en œuvre de l’article 45 de la LOLF constituerait une forme de disposition technique (issue de la LOLF) qui aurait des conséquences politiques majeures.

En effet, le budget de l’année en cours, 2024, a été voté par une majorité de l’assemblée qui soutient l’actuel président. Il est très loin du budget nécessaire à la mise en œuvre du programme du Nouveau Front Populaire. En cela, l’article 45 de la LOLF aurait une incidence politique permettant au gouvernement démissionnaire expédiant

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