Suite à la démolition de l’école Flaubert , nous avons reçu Fernand Hélaine, ancien instituteur à l’école Flaubert, qui avait été contacté par le Service Culture et Thomas Rollin, comédien, afin de participer à la collecte de souvenirs sur la vie à la Cité Verte. Pour l’occasion, il a accepté de partager son expérience et ses souvenirs liés à sa carrière d’enseignant.
Avant d’être enseignant, quel a été votre parcours ?
Je suis originaire de la Manche, de Condé-sur-Vire. Mes parents étaient cultivateurs, et j’ai passé mon enfance à la ferme avec mon frère et ma sœur. J’ai commencé ma scolarité dans une petite école rurale, à 3 km de chez nous. On y allait à pied : matin et soir, par tous les temps. Il n’y avait qu’une classe, une salle délabrée par la guerre, mais on y trouvait un grand poêle et chaque jour une maxime morale était écrite sur le tableau noir. J’étais assez timide mais désireux de bien travailler. À 14 ans, après avoir passé le certificat d’étude, je voulais continuer mes études, mais cela semblait impossible à l’époque. Cependant, une dérogation m’a permis d’entrer en 5e au lycée Le Verrier de Saint-Lô. C’est à cette époque que j’ai décidé de devenir instituteur ; un rêve que ma grand-mère m’encourageait à poursuivre.
J’ai ensuite préparé et réussi le concours d’entrée à l’école normale de Rouen, où j’ai étudié pendant trois ans. Après cela, je suis devenu enseignant à Canteleu, un métier qui me paraissait fondamental dans notre société.
Comment s’est déroulée votre arrivée à l’école Flaubert ?
Je suis arrivé à l’école Flaubert en 1961, à 21 ans, fraîchement diplômé de l’école normale. C’était mon premier poste, et j’ai été affecté à une classe de CM1. C’était impressionnant de se retrouver face à une classe pour la première fois, mais cela s’est bien passé. Les élèves (que des garçons) étaient curieux et tentaient de cerner ma personnalité : est-ce que j’allais être sévère ou conciliant ? De mon côté, j’ai essayé de trouver un équilibre, en étant compréhensif mais ferme.
Vous souvenez-vous de cette première expérience d’enseignement ?
Oui, bien sûr. C’était la première fois que j’étais confronté à une classe, et à l’époque, la formation pédagogique des enseignants était très limitée. On apprenait sur le tas. Cependant, il n’y avait pas de gros problèmes entre enseignants et enfants. Nous n’avions pas le bagage actuel, mais l’essentiel était d’instaurer et de maintenir un respect mutuel.
L’école était-elle différente à l’époque ?
Oui, car il y avait des écoles de filles et des écoles de garçons. La mixité n’a été instaurée qu’en 1976 avec la loi HABY. Cela a radicalement changé l’atmosphère des classes. La mixité a apporté une ambiance plus naturelle, plus équilibrée.
Vous avez toujours enseigné à Canteleu ?
Oui, c’est assez rare pour un enseignant, mais j’ai passé toute ma carrière à Canteleu. J’ai enseigné pendant 15 ans à l’école Flaubert, puis, en 1975, j’ai été nommé directeur à l’école Maupassant, où j’ai exercé jusqu’à ma retraite en 1995. J’ai également été adjoint des affaires scolaires pendant les deux mandats de Christian Bècle. C’était un prolongement de ma carrière d’enseignant. Ça m’a permis d’avoir une vision plus large de l’éducation.
Quel est votre meilleur souvenir d’enseignant ?
Je n’ai pas de souvenir précis, mais je n’ai pas non plus de mauvais souvenir. Les années 60, 70 et 80 étaient probablement plus simples en matière de relations avec les parents et les enfants. Le respect de l’institution était fort, et beaucoup de familles voyaient l’école comme une opportunité de promotion sociale.
En revanche, un de mes souvenirs marquants, c’est l’autorité de Monsieur Pauly, un directeur d’école à l’ancienne. Il imposait des règles strictes, mais il était respecté de tous : élèves, parents, et enseignants.
Quel sentiment avez-vous eu lors de la démolition de l’école Flaubert ?
Il y a eu un petit coup de nostalgie, surtout que ma femme a été enseignante à l’école Flaubert, puis à Maupassant également. Nous avons vu l’évolution de la ville, et ce jour-là, lors de la démolition, un spectacle pyrotechnique a été organisé en hommage à l’école. Christian Leclerc, ancien élève de Flaubert et aujourd’hui conseiller municipal, m’a demandé de participer à cet événement en jouant les instituteurs. J’ai proposé une dictée avec un texte de Flaubert et l’ambiance était très chaleureuse, avec une vingtaine de personnes présentes, installées comme des élèves.
Croisez-vous parfois d’anciens élèves ?
Oui, de temps en temps. Ils me parlent souvent de leur parcours et me remercient pour mon enseignement. Parfois, ils me confient qu’ils ont apprécié que je les aie grondés à un moment donné, car cela les a aidés à se remettre sur le « bon chemin ». Cela fait plaisir, car on n’est jamais vraiment sûr de l’impact qu’on a sur les élèves.
Avez-vous eu l’impression d’avoir été un bon instituteur ?
On cherche toujours à avoir la bonne attitude envers les enfants. Cela me préoccupait même à la maison, le soir. C’était un souci permanent. Quand il y avait un différend avec un élève, cela me tracassait beaucoup. Il fallait être à la fois ferme et compréhensif. Dès le départ, il faut établir des principes clairs : à l’école, on travaille et on respecte tout le monde. Ensuite, quand tout se passe bien, on peut se permettre un peu plus de souplesse.
Si vous deviez donner une image de votre fonction d’instituteur, ce serait laquelle ?
L’image que j’ai toujours eue de ce métier, c’est celle de la sérénité. Il faut savoir garder son calme et ne pas être fébrile, car cela se ressent. L’enseignant doit être une figure de stabilité pour les élèves.
Et l’école Flaubert, qu’est-ce que cela représentait pour vous ?
Ce que j’ai apprécié à l’école Flaubert, c’est son esprit d’ouverture. C’était une école où des enfants de tous horizons, de toutes conditions sociales, se côtoyaient. On y trouvait des enfants d’employés, d’ouvriers, de fonctionnaires, mais aussi de médecins. Cette diversité était enrichissante, et j’ai été très heureux de ma carrière d’enseignant à Canteleu.
Qu’avez-vous envie de dire aux instituteurs d’aujourd’hui ?
Je leur dirais de ne pas baisser les bras. C’est un métier difficile, mais tellement important. Il faut continuer à se battre pour les enfants, car leur avenir en dépend.