Q - On a eu l’occasion d’échanger avec le ministre israélien Gideon Saar ce matin, et il y a plusieurs points. On voudrait avoir la version, on va dire, ou plutôt la position du Quai d’Orsay. La première, c’est sur la Turquie. Israël voit vraiment un danger dans l’installation de la Turquie en Syrie, et il y a eu la déclaration du ministre Barrot hier. Donc je voudrais savoir un peu, par rapport à cette discussion, quelles sont les divergences et quels sont les points communs dans la position ? L’autre, ça concerne le Qatar. Parce que si vous parlez des négociations, c’est que vous avez évoqué le rôle du Qatar et de l’Arabie saoudite dans ces rencontres. Est-ce que c’était bien le cas ? Et aussi sur la Hongrie et la déclaration de sortir de l’ICC [Cour pénale internationale] ?
R - Sur la première question, évidemment, l’entretien a porté sur les questions bilatérales. L’entretien a porté aussi sur, bien évidemment, la situation dans la région et tout particulièrement sur la situation en Syrie. La veille, le Ministre s’était entretenu avec le ministre turc des Affaires étrangères, M. Hakan Fidan. Il a rappelé au ministre que nous suivions de près la situation en Syrie, que nous avions toujours dit depuis le début que ce qui nous importait, c’était de soutenir une transition politique juste, inclusive et répondant aux aspirations du peuple syrien. Il y a eu – et ça, le Ministre l’a redit – une ferme condamnation de la France des graves violences qui sont survenues dans le nord-ouest de la Syrie en mars dernier, violences qui ont rappelé toute l’importance de ce processus politique.
Sur votre deuxième question sur le Qatar, évidemment nous appelons à une reprise des discussions pour le maintien du cessez-le-feu qui a été obtenu le 19 janvier dernier, avec des discussions qui devaient se poursuivre vers une deuxième phase. Le Qatar est évidemment impliqué dans ces discussions. Depuis le début, nous avons accueilli favorablement son rôle dans le cadre des négociations, qui est un rôle de facilitateur. Maintenant, le point, c’est effectivement de dire que ce cessez-le-feu doit être appliqué. Les négociations doivent reprendre. La dynamique qui a été enclenchée à partir du 19 janvier était une dynamique qui nous semblait positive, avec un retour des otages, avec une cessation des opérations dans la bande de Gaza. Les derniers événements montrent que ce n’est plus le cas. Il faut absolument revenir à une situation où le dialogue reprend, sous l’égide du Qatar notamment, et puisse aboutir à un nouvel accord qui permette, encore une fois, la fin des hostilités et surtout le retour des otages qui sont toujours retenus dans la bande de Gaza.
Et sur votre troisième question qui concernait, je crois, la visite du Premier ministre Netanyahou en Hongrie…
Q - La déclaration de la Hongrie sur sa sortie de l’ICC…
R - Je ne peux pas faire de commentaires sur ce qui a été dit par les autorités hongroises et sur les décisions qu’elles peuvent prendre. Nous avons toujours dit de manière extrêmement claire que la France respectera l’ensemble des obligations internationales qui lui incombent en vertu du Statut de Rome, sachant que, encore une fois - j’ai eu l’occasion de l’expliquer plusieurs fois - ce statut prévoit notamment une pleine coopération avec la CPI, mais que par ailleurs elle prévoit qu’un État ne peut pas être tenu d’agir de manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international pour ce qui concerne les immunités des États non parties. Pour nous, la réponse est claire : c’est l’autorité judiciaire, qui agit en toute indépendance, qui est la seule compétente pour se prononcer sur la question des immunités dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt. Ce sera le cas pour le mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahou. Mais je ne peux pas commenter les décisions qui ont été prises par les autorités de Budapest.
Q - Le sujet de la médiation du Qatar et de l’Arabie saoudite a été évoqué dans ce rendez-vous ce matin, ou pas ?
R - Il faudra attendre le communiqué qui devrait sortir sur l’entretien qu’a eu le Ministre avec son homologue israélien ce matin.
Q - Il y a eu un vote hier à l’Assemblée générale aux Nations unies sur une résolution concernant la situation des droits humains dans les Territoires palestiniens occupés et la nécessité d’assurer justice et responsabilité. C’est le nom de la résolution. La France s’est abstenue. Donc ma question est : pourquoi ? Qu’est-ce qui vous a dérangé dans cette résolution ? Pourtant, par exemple, la Suisse et la Belgique ont voté pour.
Ma deuxième question, est-ce que vous avez une réaction aux frappes israéliennes en Syrie ? Israël dit vouloir envoyer un message à la Turquie. Je sais que ma consœur a un peu mentionné le sujet de la Turquie, mais c’est spécifiquement sur ces frappes hier soir dans plusieurs régions syriennes.
R - Je vais commencer par votre deuxième question sur les frappes israéliennes en Syrie. La position a été assez constante de notre part quand on parle en Syrie d’un processus politique qui doit suivre son cours, qui doit être inclusif, qui doit être respectueux de l’ensemble de la diversité syrienne, de la diversité religieuse, politique et confessionnelle. Le corollaire, c’est une obligation de respect de l’intégrité territoriale de la Syrie et de la souveraineté syrienne. C’est un corollaire absolument nécessaire pour que ce processus puisse continuer dans de bonnes conditions. Les frappes israéliennes, on l’avait déjà dit lorsqu’il y avait eu des incursions israéliennes sur le territoire syrien, sont des actes que nous condamnons. Il y a un devoir de respecter pleinement l’intégrité territoriale de la Syrie et de respecter aussi pleinement l’accord de 1973, s’agissant de la délimitation territoriale et de la situation particulière du plateau du Golan. Chacun doit respecter ses obligations à ce titre, et ça vaut aussi pour Israël en l’espèce. Voilà ce que je peux vous dire sur les frappes israéliennes en Syrie.
Sur la résolution d’hier, je pourrais revenir vers vous avec des détails beaucoup plus précis, parce que je pense que comme c’est une résolution à l’Assemblée générale des Nations unies, il n’y a peut-être pas eu nécessairement d’explication de vote. Sur le fond, il y a évidemment, et ça je rappelle des positions qu’on a toujours eues depuis le début, celui de devoir respecter le droit international humanitaire sur l’ensemble des Territoires palestiniens, et donc dans la bande de Gaza, et tout particulièrement, et c’est ce que je vous disais au début, sur les travailleurs humanitaires. Donc sur le principe, je pense que ce sont des sujets qui sont clairs et qu’on a répétés de manière constante.
Q - Je voudrais revenir sur la question sur la Turquie. Est-ce que la France partage ou pas le point de vue israélien que la Turquie représente une menace en Syrie ? Puisque je crois que vous n’avez pas vraiment répondu à cette question.
Ensuite, j’ai une question concernant la plainte déposée par la France contre l’Iran devant la Cour internationale de justice. Qu’est-ce que vous attendez de cette plainte, en termes de conséquences pour l’Iran ? Et d’un point de vue timing, est-ce qu’il y a des éléments que vous pourriez nous communiquer pour que cette plainte n’aboutisse pas dans plusieurs années, mais qu’il y ait un effet immédiat ? Puisque le risque, c’est que ce soit une procédure très, très longue, et qu’il n’y ait donc aucun impact sur l’Iran.
Et enfin, vous avez évoqué le voyage de M. Jean-Noël Barrot à Alger dimanche. Est-ce qu’on peut avoir des détails ? On sait qu’il va rencontrer son homologue des affaires étrangères, puisque c’est à son invitation. Mais est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur ce qu’il va y faire, qui il va rencontrer, et quel message va être porté ? Et est-ce qu’il évoquera le cas Boualem Sansal, dont l’avocat a annoncé avoir fait appel de la décision de sa condamnation à cinq ans de prison ?
R - Merci. Sur votre première question, je n’aurai pas plus de commentaires à faire que ce que j’ai déjà fait et je vous renvoie au communiqué de ce matin, qui fait état de l’entretien du Ministre avec son homologue turc, et à celui qui devrait sortir dans la journée et qui fera état de l’entretien de Jean-Noël Barrot avec son homologue israélien.
Sur la Cour internationale de Justice (CIJ), le Ministre l’a annoncé hier, nous sommes en train de constituer une plainte que nous déposerons auprès de la Cour. Donc elle n’est pas encore déposée. Nous sommes en train de la préparer. Comme vous savez, les procédures devant la CIJ peuvent être très longues. Il n’en reste pas moins, sur le fond, et c’est peut-être le plus important dans la déclaration du Ministre hier, que nous avons toujours deux ressortissants français, Mme Cécile Kohler et M. Jacques Paris, qui sont retenus comme otages d’État par la République islamique d’Iran depuis plus de 34 mois. Ils sont détenus dans des conditions absolument indignes. Le droit international, et tout particulièrement la Convention que je vous citais dans mes propos liminaires, la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, prévoit quelque chose d’assez simple et d’assez universel, que tout État du monde est tenu de respecter : c’est qu’à partir du moment où un étranger est détenu dans un pays, sa représentation diplomatique ou consulaire doit pouvoir exercer ce que l’on appelle la protection consulaire, à savoir que l’ambassade ou le consulat doivent pouvoir régulièrement avoir des entretiens, avoir accès aux détenus.
Dans le cas de l’Iran, la dernière visite des services de l’ambassade de France à Téhéran, à Jacques Paris et à Cécile Kohler, remonte à il y a plus d’un an. Donc c’est extrêmement long et c’est en contravention avec les obligations de l’Iran au titre de cette convention. La France a demandé à plusieurs reprises aux autorités iraniennes de pouvoir accéder, à avoir des visites auprès de Cécile Kohler et Jacques Paris. Et ça n’a pas été honoré. C’est une situation qui n’est pas admissible au niveau du droit. Il y a des principes de droit international qui doivent être respectés ; les principes de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires au même titre, et ce sont des dispositions qu’on entend faire respecter. C’est la raison pour laquelle la France déposera contre l’Iran une plainte auprès de la CIJ, au titre du manquement de l’Iran à ses obligations, qui découlent de cette convention de 1963.
Q - Avec cette plainte, vous espérez faire pression sur l’Iran pour que vous puissiez obtenir, en tout cas, pouvoir avoir ces visites consulaires rapidement ? C’est ça l’idée ?
R - Pour le moment, il s’agit de faire constater, et c’est tout l’objet d’une telle procédure, un manquement des autorités iraniennes dans les obligations qui leur incombent au titre de cette convention. Manifestement, les autorités iraniennes ne respectent pas les termes de cette convention, donc il s’agit tout d’abord de faire constater un manquement de l’Iran au regard de ses obligations qui découlent de cette convention de 1963.
Sur votre dernier point, sur le déplacement du Ministre en Algérie, il s’agit effectivement d’une visite de travail qui s’inscrit dans le contexte que vous connaissez. Et l’idée générale, c’est d’incarner la reprise du dialogue avec les autorités à Alger et d’opérationnaliser la feuille de route du communiqué conjoint qui a été publié à l’issue d’un appel téléphonique entre le Président de la République et son homologue algérien. Donc il y a plusieurs points qui sont évoqués et ce sera, je pense, à l’ordre du jour des discussions du Ministre avec son homologue algérien. Il y a d’abord la reprise sans délai de la coopération sécuritaire, l’idée qu’il faut réinitier immédiatement une coopération migratoire confiante, fluide et efficace qui permette de traiter de toutes les dimensions de la mobilité entre les deux pays dans une logique de résultats qui soit conforme aux préoccupations des deux pays. Il y a par ailleurs aussi la poursuite des travaux de la commission mixte des historiens, parce que c’est une commission qui est toujours à l’œuvre. Et puis les questions de coopération judiciaire et les questions de coopération économique. Je n’ai pas de détails du programme exactement, mais encore une fois, le message qui est envoyé, c’est d’indiquer que, comme le Ministre l’a dit depuis plusieurs mois, le Ministre était disponible et disposé à reprendre le dialogue avec son homologue algérien. Ce dialogue reprend, c’est une bonne chose. Il permettra d’évoquer l’ensemble des sujets qui sont en ce moment des sujets d’intérêt commun pour Paris et pour Alger.
Q - D’abord, pardonnez-moi d’insister. Vous avez déjà répondu sur la question turque, mais vous avez dit sur Israël que le message sur la Syrie, qu’il faut respecter l’intégrité territoriale. Est-ce que vous avancez la même position vis-à-vis de la Turquie ? Parce qu’à l’époque, je me souviens très bien, vous avez dit que la France comprend la préoccupation sécuritaire de la Turquie quand il s’agit de la Syrie. Est-ce que vous employez les mêmes mots vis-à-vis de la Turquie quand vous parlez de l’intégrité territoriale de la Syrie ? C’est une petite question.
Je voulais aussi vous demander sur l’Iran, parce qu’il y avait ce rendez-vous chez M. le Président qui a réuni des experts iraniens. Il y avait aussi votre ministre qui a parlé. Il a dit que les conflits militaires deviennent de plus en plus proches, de plus en plus probables. Est-ce que, si jamais, comme M. Trump a dit, si jamais il y a des négociations indirectes avec l’Iran, où est-ce que vous vous positionnez ? Est-ce que vous allez, comme vous l’avez fait avant, soutenir Israël s’il n’y a jamais vraiment un conflit militaire ?
Et une petite question, si vous me permettez, sur le Liban. Si on écoute la conférence de presse de M. le Président avec le président libanais Joseph Aoun d’un côté, et de l’autre côté la conférence de presse tenue ce matin par le ministre israélien, on voit un écart absolument phénoménal dans la position de la France et d’Israël sur le Liban. Est-ce que, vraiment, la France pense qu’elle peut continuer à jouer un rôle de médiateur dans ces conditions ?
R - Sur votre première question, ma réponse sera assez simple : oui, nous utilisons les mêmes termes avec tout le monde.
Sur votre deuxième question, j’ai souvent eu l’occasion de le dire, la relation avec l’Iran concerne différents sujets et implique différentes négociations. Ce sont des négociations qui sont difficiles et exigeantes. On vient de parler de la situation de nos deux compatriotes qui sont retenus sans raison et qui sont otages d’État à Téhéran, il y a aussi toute la discussion qui concerne le nucléaire iranien. Et bien évidemment, sur ce sujet, nous avons été également extrêmement clairs. Le premier des moyens que nous utiliserons pour faire en sorte que l’Iran n’obtienne jamais gain de cause en termes de programme nucléaire, c’est bien évidemment la voie diplomatique. Nous menons avec nos partenaires allemands et britanniques des discussions en format E3 avec les Iraniens. Ce sont des discussions qui ont eu lieu très régulièrement et au travers desquelles nous poussons l’Iran à accepter une solution diplomatique pour éviter toute déstabilisation accrue dans la région. Donc le premier message que nous portons, c’est que pour enrayer la crise actuelle, l’Iran doit s’engager sur cette voie diplomatique qui doit permettre d’obtenir une solution au conflit.
Sur votre question sur le Liban, si je me rappelle bien des termes de l’accord du 26 novembre dernier qui mettait en place le cessez-le-feu au Liban, il y avait effectivement deux pays qui étaient considérés comme membres du mécanisme de surveillance. C’était les États-Unis et la France, parce que ce sont deux États qui ont contribué à obtenir cet accord sur le cessez-le-feu. Nous restons, pour ce qui nous concerne, totalement mobilisés pour que d’une part, ce cessez-le-feu soit maintenu, qu’il tienne. Vous savez que c’est un accord, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais c’est un accord qui fonctionne en plusieurs phases, avec une première phase qui a été prolongée, mais maintenant nous sommes dans la deuxième. Nous continuons, à cette fin, nos contacts avec nos partenaires – avec notre partenaire américain évidemment, mais aussi avec nos partenaires israéliens et libanais –, pour que le cessez-le-feu puisse être maintenu. C’est le sens des déclarations qui ont été faites par le Président de la République, lorsqu’il a reçu son homologue libanais, Joseph Aoun, ces derniers jours. Et ils se sont par ailleurs entretenus de l’évolution de la situation. Donc oui, je pense que la France continue et continuera à être active pour exercer pleinement son rôle de médiateur au Liban.
Q - J’ai une question sur les droits de douane. Est-ce que la contre-mesure de la France envers le tarif annoncé par le président Trump sera toujours décidée en tant que l’Union européenne ? Y a-t-il la possibilité d’annoncer des autres mesures indépendantes en tant que France ?
R - Non, c’est une question de principe, mais qui est une question importante. Les questions commerciales sont de la compétence de l’Union européenne. Bien évidemment, comme l’a dit la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, hier, dans sa conférence de presse, il y a une réponse qui sera apportée aux décisions américaines. Et nous répondrons éventuellement par des contre-mesures, mais aussi par un dialogue avec les États-Unis sur ce point. C’est une question qui est extrêmement importante, puisque les annonces commerciales du président américain hier concernent une grande majorité des pays du monde, et nous y serons très attentifs. Mais c’est évidemment par le biais de la Commission européenne que cette réponse sera organisée. Je vous signale que le Président de la République recevra cet après-midi les représentants des filières concernées par ces hausses des tarifs douaniers. Je vous invite à suivre sa conférence de presse, mais l’idée, c’est bien d’apporter une réponse crédible en Européens aux mesures décidées par le président des États-Unis.
Q - Je voulais juste revenir sur le voyage en Algérie, parce que vous n’avez pas répondu sur Boualem Sansal. Est-ce que son cas va être évoqué dimanche, sachant qu’il a fait appel de sa condamnation ?
R