Discours de Jean-Noël Barrot, Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères (07.01.25)

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🔴 EN DIRECT | Discours de @jnbarrot à l’occasion de la Conférence des Ambassadrices et Ambassadeurs à Paris. #ConfAmbass https://t.co/yjTM6X1wAz

— France Diplomatie 🇫🇷🇪🇺 (@francediplo) January 7, 2025

Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Madame la Secrétaire générale,
Mesdames les ambassadrices,
Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de vous retrouver à l’occasion de la 30e édition de la Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs. Une édition qu’avec la Secrétaire générale et son équipe nous avons souhaité placer sous le signe de l’action, l’action de notre diplomatie au service de la France et des Français.

C’est dans un contexte particulier que nous nous réunissons. L’année 2025 s’ouvre avec son lot de craintes et d’espoir, marquée par les crises internationales, le bruit des bottes, le retour des guerres commerciales, les conséquences tragiques du dérèglement d’une planète désormais en ébullition.
Le Président de la République nous a appelés hier à aborder avec réalisme l’état du monde d’aujourd’hui et les perspectives pour demain. Réalisme sans résignation, lucidité sans défaitisme, optimisme de la volonté, avec au fond du cœur l’intérêt national, l’intérêt des Français.

La sécurité des Français, la prospérité de notre pays, l’affirmation de notre modèle : nous avons collectivement beaucoup à faire. Et c’est grâce à vous que la feuille de route présentée hier pourra se déployer.

Ambassadrices, ambassadeurs, vous exercez un métier unique, à nul autre pareil. Vous avez été appelés à cette vocation par le goût de l’altérité, de l’action ou du grand large. Et voilà que vous sillonnez la planète, projetés tous les trois ou quatre ans de part et d’autre, sans oublier de revenir faire étape au ministère. Enjeux bilatéraux, négociations multilatérales, affaires consulaires, directions d’administration centrale : cette carrière si particulière vous mène sur tous les fronts. Des fronts auxquels vous montez au prix de sacrifices dont on ne saurait sous-estimer le poids dans vos vies personnelles et familiales. Des fronts qui vous exposent parfois aux grandes convulsions du monde.

Je me joins, avec les ministres délégués, à la reconnaissance exprimée hier par le Président de la République à l’endroit des agents engagés à Kaboul, à Kiev, à Port-au-Prince au plus fort des violences, à Beyrouth, à Tel-Aviv, à Jérusalem et sur tant d’autres théâtres où ils font preuve d’un courage qui force notre admiration.

Et je n’oublie pas nos collègues qui ont perdu leur vie dans l’exercice de leurs fonctions au service de la France. Louis Delamare, tué par balle à Beyrouth alors qu’il se rend en voiture de la Chancellerie à sa résidence en septembre 1981. Philippe Bernard, fauché par une balle dans son bureau, alors que des émeutes agitent les abords de l’ambassade à Kinshasa en janvier 1993. Nous mettons tout en œuvre pour que de tels drames ne se reproduisent pas, mais les Françaises et les Français doivent savoir que représenter la France partout dans le monde emportera toujours une part de risque car il y a dans l’arbitraire de la violence une part d’irréductible.

Ambassadrices, ambassadeurs, dans les pays où vous êtes envoyés, vous portez une lourde charge, celle de représenter la France, notre Nation, dans son entièreté, et dans sa diversité. Cela n’est pas rien. Vous êtes investis d’une mission presque impossible, en tout cas très exigeante : celle de défendre, en toute circonstance, l’intérêt national, l’intérêt des Français. Et pour cela, vous cheminez en permanence sur des chemins de crête. S’immerger sans se noyer dans des méandres culturels et politiques qu’il vous faut parcourir les yeux fermés pour agir efficacement. Garder un pied dans l’immédiat, pour saisir ce qui peut l’être maintenant ; l’autre dans le temps long, pour surmonter les défaites et préparer l’avenir. Chercher le compromis lorsqu’il est possible, tout en restant intransigeant sur l’essentiel. Manier alternativement et avec habileté ou la séduction ou le rapport de force, selon les circonstances.

Voilà un métier qui suppose de cumuler quelques qualités qui ne sont pas tout à fait universelles. Je parlais du courage. Je veux parler de persévérance. Celle qui vous donne la force de remettre inlassablement l’ouvrage sur le métier, comme nous l’avons fait depuis près d’un an au Liban, jusqu’à obtenir un cessez-le-feu qui commence à produire des effets, avec les premiers retraits de troupes israéliennes au Sud-Liban hier. Première interruption des hostilités dans la région depuis le 7 octobre 2023, véritable succès diplomatique français, nous le devons à la patience acharnée de notre ambassadeur et de nos équipes, que je remercie et félicite pour leurs efforts. Et je pourrais multiplier les exemples. Alors oui, il faut parfois attendre des mois, des années, recommencer et recommencer encore. Mais il faut imaginer Sisyphe heureux, surtout lorsque l’Histoire, à la fin, nous donne raison.

Je veux parler enfin d’humanité. Car vous êtes entrés dans cette Maison, dans ce métier, avec la passion de servir notre pays en contribuant à construire pour lui des relations apaisées avec les autres nations du monde. Vous avez choisi de placer vos pas dans ceux de générations d’hommes et de femmes qui, par la diplomatie, ont épargné à la France le conflit et la guerre, d’être celles et ceux qui, poussant à son extrémité l’art de la langue et de la traduction, trouvez les mots et les réponses aux problèmes les plus insolubles. Vous savez pouvoir obtenir bien plus de vos interlocuteurs par l’intelligence que la force, par le dialogue que la brutalité, en utilisant votre humanité pour éveiller la leur.
Ces qualités auxquelles je viens de rendre hommage, vous les mettez au service d’un métier que je souhaite vous voir exercer pleinement, et que je souhaite faire mieux connaître aux Françaises et aux Français.

C’est la raison pour laquelle nous allons faire évoluer nettement certains aspects de notre organisation collective.

Je voudrais tout d’abord renforcer votre pouvoir d’agir, car vous avez toute ma confiance. Pour cela, nous allons vous donner davantage de latitude pour gérer votre budget, un agenda de déconcentration et de délégation à votre profit avec davantage de liberté d’arbitrage sur vos crédits de fonctionnement - y compris pour ce qui relève de la formation, de l’entretien immobilier et des opérations d’urgences - et davantage de marge de manœuvre pour le recrutement local. Pour renforcer votre pouvoir d’agir, je souhaite aussi vous rendre du temps : nous allons chaque mois supprimer une commande qui vous est adressée, chaque semaine supprimer un processus qui n’est pas indispensable.

Ensuite, je souhaite poursuivre le développement de nos outils de formation aux métiers diplomatiques et consulaires. L’Académie diplomatique et consulaire prendra véritablement son envol en 2025, avec notamment un cycle de préparation des secrétaires des affaires étrangères et cadres A au concours des administrateurs de l’État, ainsi qu’une offre structurée autour de l’intelligence artificielle. Dans ce même élan, je vous annonce que la première promotion de la réserve diplomatique sera constituée dans les mois à venir, avec 300 participants.
Enfin, je souhaite que les métiers, les lieux, les succès de notre diplomatie puissent être mieux connus des Françaises et des Français. Au second semestre 2025 sera créé un circuit labellisé de 50 sites remarquables de nos territoires qui ont été au cours de l’Histoire le cadre d’événements diplomatiques majeurs en France. Nos concitoyens pourront ainsi être fiers de voir que la diplomatie française a agi au plus près d’eux et a avec chacun d’entre eux des lieux en partage. Comme vous le savez, nous avons lancé cet automne le festival « Cinéma et diplomatie » pour échanger avec le grand public sur la perception et les représentations autour de nos métiers. Je vous annonce que nous lancerons cet hiver le Prix littéraire du Quai d’Orsay, qui sera remis pour la première fois à l’été, avec la participation d’un comité de présélection composé d’agents du ministère volontaires et celle d’un jury trié sur le volet. Il a vocation à s’installer durablement dans le paysage des prix littéraires les plus prestigieux.

Mesdames les ambassadrices, Messieurs les ambassadeurs,
Après avoir rendu hommage à votre action et évoqué la noblesse du métier qui est le vôtre, je voudrais vous soumettre une question, une question existentielle pour nous : qu’est-ce qui fait la force de notre diplomatie ? Quels sont les atouts qui permettent à la France de boxer, comme on le dit parfois, au-dessus de sa catégorie, d’être entendue dans le vacarme ambiant et d’entraîner d’autres nations avec elle ?

La réponse me semble résider dans trois dimensions, trois atouts maîtres de notre diplomatie qu’il est de notre responsabilité collective de renforcer. Le premier, c’est sa voix singulière. Le deuxième, c’est sa puissance créative. Le troisième, c’est son orientation au service des Françaises et des Français. Permettez-moi de les aborder tour à tour, en commençant par la voix singulière.
Sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale qui déshonora et ruina l’Europe, et au moment où se tissait la réconciliation entre la France et l’Allemagne, nos prédécesseurs ont œuvré avec la conviction qu’il n’y a pas de paix durable sans la justice et pour que s’édifie un ordre international reposant sur le droit, sur des principes d’autodétermination des peuples et d’intégrité territoriale, qui ont été ancrés dans la Charte des Nations unies.

Alors que cet acquis majeur a été progressivement contesté et relativisé, alors qu’il risquait d’être relégué au rang de « modèle parmi d’autres », nous n’avons jamais dévié. Et si la voix de la France est toujours entendue, si elle est toujours attendue et si elle est parfois redoutée, c’est parce qu’elle est toujours du côté de la justice, du droit et des règles collectives, dans un monde ou ces dernières sont constamment remises en cause.

Et souvent, l’Histoire nous a d’ailleurs donné raison. Il suffit de nous souvenir de celles et ceux qui, hier, ont creusé ce sillon. C’est la voix singulière d’Aristide Briand devant la Société des Nations. Celle de Robert Schuman dans le salon de l’Horloge, qui fait basculer le destin de l’Europe. Celle de Maurice Couve de Murville, artisan de la grandeur de la France et de la politique de dissuasion nucléaire. Celle d’Hubert Védrine, dénonçant l’inacceptable unipolarité du monde. Celle de Dominique de Villepin, refusant d’engager la France dans une guerre injuste en Irak. Celle de Laurent Fabius, annonçant il y a 10 ans l’adoption historique de l’Accord de Paris.

Et si depuis bientôt trois ans nous nous mobilisons si fortement pour que l’Ukraine puisse repousser l’agression russe et retrouver sa liberté, c’est bien sûr parce que le combat des Ukrainiens, c’est aussi le nôtre. Chaque fois que les Ukrainiens reculent la menace se rapproche de nous, et c’est bien la sécurité des Françaises et des Français qui est en jeu. Mais c’est aussi parce qu’accepter de laisser triompher la force brutale de l’envahisseur, fermer les yeux sur ses crimes de guerre aujourd’hui, ce serait autoriser par avance toutes les violations futures, où qu’elles soient, et consacrer définitivement la loi du plus fort.

Il en va de même en Syrie, où nous avons combattu avec intransigeance le régime Assad. Nous n’avons jamais cédé à la tentation, que certains partenaires ont pu avoir, de la normalisation. Nous n’avons cessé de soutenir la société civile, les oppositions en exil, les communautés chrétiennes, et toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui appelés à construire un nouvel avenir pour le pays. Nous avons été le fer de lance de la lutte contre l’impunité en protégeant César et les lanceurs d’alerte de Tadamon, et en aidant à documenter les crimes du régime, qui devront être punis pour qu’advienne le redressement moral et spirituel du pays.

Car pour la France, en Ukraine, en Syrie comme ailleurs, toutes les vies humaines sont égales en dignité. C’est pourquoi nous dénonçons les violations du droit international et du droit international humanitaire partout et en tout temps - en Israël par le Hamas, à Gaza par Israël, au Liban par Israël, en Israël par le Hezbollah, au Soudan par les forces armées, en Syrie et en Irak par les bourreaux des Yézidis, en Afghanistan par les Talibans. Il n’y pas, dans le langage de la France, de double standard.

Et ces dénonciations ne sont pas des incantations. Elles se prolongent dans l’action au service des populations civiles. Chaque fois que les vies sont en jeu, la France se mobilise.

Un mois après le 7 octobre, pire massacre antisémite depuis la Shoah, c’est à Paris qu’a été accueillie la première conférence internationale de soutien à Gaza. Un an après le début de la guerre meurtrière au Soudan, c’est à Paris qu’a eu lieu une conférence internationale permettant de lever 2 milliards de promesses de dons. Un mois après le début de l’escalade militaire au Liban cet automne, c’est encore à Paris que nous avons réuni les donateurs pour lever plus d’1 milliard de dollars et éviter ainsi l’effondrement du Liban.

Et au-delà des questions de sécurité et d’humanitaire, la France ne détourne les yeux d’aucun des enjeux qui désormais engagent la planète entière, qui ne s’arrêtent pas à nos frontières et qui pèsent lourdement sur le destin des peuples. Dix ans après le succès diplomatique de l’Accord de Paris sur le climat, nous avons rendez-vous avec l’ambition, à Paris, à Nice, puis à Belém. La conférence de Nice doit être pour l’Océan ce que l’Accord de Paris a été pour le climat. Le traité BBNJ, pour lequel notre pays et notre ministère en particulier ont joué un rôle majeur et décisif, doit entrer en vigueur. Je vous appelle à aller chercher les ratifications de vos pays de résidence et j’appelle, avec Éléonore Caroit et les autres parlementaires, à une mobilisation collective pour que nous puissions atteindre nos objectifs. Plus largement, dans la perspective de Nice, je vous appelle à demander aux autorités d’annoncer de nouveaux engagements jusqu’en juin prochain.

Mais la voix de la France, qui inlassablement défend l’équilibre et le droit, ne restera crédible, à l’heure où le droit est contesté, que si nous réformons le droit.
Mesdames les ambassadrices, Messieurs les ambassadeurs,
Nous ne pouvons plus attendre pour rendre plus juste ce qui est fort et rendre plus fort ce qui est juste.

Cela suppose que chacun trouve sa place dans la gouvernance mondiale. Chaque seconde que nous perdons sur le chemin de la réforme du multilatéralisme alimente le procès en illégitimité de ses institutions. Le succès des BRICS réunis à Kazan, alors même que ses membres n’ont pas de vision commune de ce que doit être demain, est une nouvelle alerte que nous ne pouvons ignorer. Nous en avons parlé ensemble hier.

Ainsi, je souhaite qu’aboutisse à l’horizon 2026, quand notre pays présidera le G7, des chantiers cruciaux pour l’avenir de la paix et de la gouvernance mondiale. Alors que l’ONU fêtera son 80ème anniversaire, avançons résolument pour qu’une juste place soit donnée à nos partenaires africains au sein de la gouvernance mondiale, du Conseil, des institutions financières internationales ; pour l’adhésion la plus large possible et la mise en œuvre concrète du Pacte de Paris pour les peuples et la planète initié par le Président de la République ; pour que les initiatives du Forum de Paris sur la Paix porte leurs fruits ; pour qu’aboutisse l’initiative du CICR - à laquelle nous contribuons aux côtés du Brésil, de la Chine, de la Jordanie, du Kazakhstan et de l’Afrique du Sud - pour une pleine applicabilité du droit international humanitaire. Sur ces sujets, je compte sur votre mobilisation sans faille et je vous solliciterai dans les prochaines semaines avec des instructions en méthode. Il en va de la crédibilité de la voix singulière de la France, dont nous sommes les dépositaires, et qu’il est de notre devoir d’entretenir, dans l’intérêt du pays et dans l’intérêt des Français.

J’en viens à notre second atout : notre puissance créative. Dans un environnement en perpétuel mouvement, où la communication est définitivement désintermédiée, nous avons réussi à nous adapter et à renouveler notre manière de faire de la diplomatie.

Comment défendre nos intérêts dans cet environnement ? Tout d’abord en nous transformant.

Lors des États généraux de la diplomatie voulus par le Président de la République et initiés par Catherine Colonna, nous nous sommes posé des questions existentielles. Les 350 recommandations figurant dans le rapport qui s’en est suivi ont été notre boussole et nous les avons suivies scrupuleusement. 80% d’entre elles ont été mises en œuvre ou lancées. Le processus d’affectation est désormais mieux anticipé, les concours se modernisent, les agents sont mieux accompagnés. Fonds Équipe France, conseillers enjeux globaux, renforcement de la communication - notamment en Afrique -, poursuite de la modernisation de nos services aux Français de l’étranger, assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée… tant de changements qui, ces dernières années, ont fait souffler sur notre ministère un vent nouveau, qui devra s’amplifier. Je présiderai régulièrement un comité exécutif de la transformation pour y veiller.

Devant la reconfiguration des équilibres de la puissance, l’émergence des questions globales, qui ont besoin du concours transversal de toutes les parties prenantes de nos sociétés, la diplomatie française a véritablement fait sa mue. Aux enceintes traditionnelles et historiques, elle a ajouté des formats inédits, qui associent pleinement la société civile, toutes les composantes du multilatéralisme, les fonds internationaux, les grands leaders d’opinion, mais aussi les territoires et les entreprises.

Sans chercher ici l’exhaustivité, je citerai néanmoins quelques exemples marquants de formats que nous avons su inventer ou réinventer.
Le format du Triangle de Weimar, auquel Stéphane Séjourné a redonné vie, et que nous cultivons avec Benjamin Haddad, que je remercie de s’en être pleinement saisi. Ces concertations resserrées visent, en complément de nos efforts en Europe, à mettre le poids du corps sur les dossiers le

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