Monsieur le Ministre,
Monseigneur,
Madame la Secrétaire générale,
Mesdames les Ambassadrices, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
C’est un honneur de m’adresser devant vous et c’est une joie de vous accueillir au Quai d’Orsay, un lieu où mes prédécesseurs ont tant fait pour la paix et pour la coopération, après une année qui a été marquée, vous l’avez rappelé, Monseigneur, par des événements qui ont rassemblé en France la communauté internationale.
Vous en avez cité deux, permettez-moi d’en ajouter un troisième : le 80e anniversaire de la Libération avec, dès le mois de mai, des cérémonies à l’honneur de celles et ceux qui se sont battus, qui ont donné leur vie pour libérer la France et l’Europe sur les plages de Normandie. Cérémonies qui se sont poursuivies tout au long de l’année, avec la libération de Paris à la fin du mois d’août, la libération de Strasbourg à l’automne. Cérémonies qui se sont poursuivies en ce début d’année encore, avec hier le 80e anniversaire de la libération d’Auschwitz. Et nous commémorerons le 8 mai la fin de la Deuxième Guerre mondiale, qui a déshonoré l’Europe, mais qui a été aussi à l’origine de l’ordre international fondé sur le droit, dont la France a été l’un des principaux artisans. Il y aura au lendemain du 8 mai un autre anniversaire, qui, lui, est tout entier attaché à la maison dans laquelle vous vous trouvez aujourd’hui : c’est l’anniversaire du 75ème anniversaire de la déclaration de Robert Schuman, prononcée le 9 mai 1950 dans le salon de l’horloge que vous venez de traverser. Une déclaration d’une minute trente, 550 mots ciselés qui auront fait basculer le destin de la France et le destin de l’Europe.
C’est donc à l’orée de cette année que je vous adresse ainsi qu’à vos proches tous mes voeux de bonheur, de santé et de succès pour l’année qui s’ouvre. Elle nous mettra au défi, à n’en pas douter, mais nous avons à notre main un atout incomparable : la force de la communauté diplomatique, que vous incarnez chacune et chacun.
J’ai l’honneur d’être à la tête d’une diplomatie française qui s’attache à oeuvrer pour protéger les intérêts de la France et des Français. Chacune et chacun d’entre vous menez cette belle et difficile mission pour vos pays respectifs. Mais nous avons aussi une tâche en commun et des aspirations collectives : contribuer à la stabilité internationale, protéger la planète, organiser la prospérité de la communauté humaine dans son ensemble. Partout, nous travaillons ensemble à la prospérité et à la sécurité de nos compatriotes. Je souhaite d’ailleurs remercier chacune et chacun d’entre vous et, à travers vous, vos pays, vos gouvernements et vos administrations pour l’accueil que vous réservez à la communauté française qui voyage ou vit à l’étranger. Nos ressortissants établis hors de France, Monsieur le Ministre délégué, sont près de 3 millions et ils font vivre nos coopérations avec votre soutien et votre facilitation, et je tiens à le saluer.
Alors que nous prenons le tournant du quart de siècle, il y a quelques tumultes en vue. En prenant la parole devant les ambassadrices et les ambassadeurs français lors de notre 30ème conférence, le Président de la République a décrit ce monde heurté. Face à cela, notre mission collective est de garder le cap. Mais il y a en nous, dans nos partenariats, dans nos échanges, les ressources nécessaires pour être à la hauteur des défis qui se présentent à nous. Ces défis, quels sont-ils ?
Le premier d’entre eux, c’est le retour de la loi du plus fort, qui fait planer sur nous l’ombre de la guerre. En s’adressant à la représentation nationale, le Premier ministre a évoqué "le règne de la force brutale". C’est exactement le chemin que la Russie a choisi d’emprunter il y a bientôt trois ans en Ukraine, le 24 février 2022, ce jour où tout a changé, ce jour qui fut peut-être le premier du XXIème siècle.
La Russie le fait en conscience et en dépit des messages que la communauté internationale lui adresse. Elle le fait surtout au mépris de tous les principes que nous nous sommes collectivement fixés après la Seconde Guerre mondiale. Nous avions établi ces principes pour ne plus jamais avoir à revivre ce que nos grands-parents, nos arrière-grands-parents, avaient alors vécu. Le principe de justice, pensions-nous alors, serait le ferment de la paix mondiale. En violant en Ukraine la Charte des Nations unies, les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale, le régime russe menace partout cet édifice de la paix. En impliquant en Ukraine d’autres appuis, d’autres nations, au service de son projet guerrier et impérialiste, le régime russe nous fait renouer avec les pires heures de notre Histoire : un conflit mondialisé, la menace nucléaire, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre - qui devront être punis - ainsi qu’une instrumentalisation des faits au service d’une propagande qui vise à justifier l’injustifiable.
À nos concitoyens, les yeux dans les yeux, nous avons décidé de dire depuis le début, avec constance et détermination, que nous ne pouvions laisser faire en Ukraine. Il n’y a qu’un seul Etat agresseur, celui qui unilatéralement a fait le choix d’envahir son voisin, s’estimant au-dessus du droit international. Il n’y a qu’un seul Etat agressé, celui qui, depuis près de trois ans, lutte courageusement pour sa liberté et pour sa survie.
Si le combat des Ukrainiens est aussi le nôtre, c’est aussi le vôtre. À chaque fois que nous transigerons sur les principes, nous abîmerons le précieux socle que constitue l’ordre international fondé sur le droit. Nous prendrons le risque de laisser à nos enfants un monde plus fragile, plus faillible, plus confus. Soyez assurés, Mesdames les Ambassadrices, Messieurs les Ambassadeurs, qu’à chaque fois qu’un Européen vous parle du retour de la guerre sur son continent, comme je le fais ce soir, il vous parle aussi de vous.
Le deuxième défi que nous devrons relever avec encore plus d’énergie cette année, c’est celui des divisions qui menacent la cohésion de nos sociétés. Qu’il s’agisse des inégalités, de la fracture numérique ou encore des tensions migratoires, nous aurons à trouver les voies et moyens pour retisser la solidarité et protéger nos populations, dans nos pays et à l’international. Nous voyons d’ailleurs qu’en matière commerciale, la tentation de jouer bloc contre bloc est revenue elle aussi. Les règles communes sur lesquelles nous tentions de nous accorder sous l’égide de l’OMC sont malmenées. Il est normal que les puissances commerciales de ce monde jouent leur partition et protègent leurs intérêts. Mais l’état de guerre commerciale, qu’il prenne le nom de protectionnisme ou non, n’est dans l’intérêt de personne. Toute mesure qui, cherchant à protéger une économie, en appauvrit les principaux partenaires, revient à se tirer une balle dans le pied. Et s’il y avait encore un doute à ce sujet, la France, comme l’ensemble de ses partenaires européens, continuera à mettre en oeuvre les instruments nécessaires pour que chacun renonce à cette tentation.
La cohésion de nos sociétés est malmenée par la manière dont certains réseaux sociaux s’emparent du débat public sans en respecter les règles, avec des comptes qui font artificiellement monter des polémiques parfois créées de toutes pièces. Le débat public est un trésor fragile, et ni la France ni les Européens n’accepteront qu’il soit délocalisé sur des plateformes dont les règles seraient édictées par des milliardaires installés à l’autre bout de la planète.
Le troisième défi que nous devons relever, c’est celui du changement climatique. L’Accord de Paris sur le climat fêtera ses 10 ans cette année. D’aucuns pensent qu’ils peuvent se retirer sans conséquence, et c’est profondément regrettable. La réalité est la suivante : le réchauffement de la planète tue, il appauvrit, il affaiblit partout sur la planète, de la côte californienne au sud-est de la Chine, en passant par les Etats insulaires. Songez à Mayotte. Songez à Los Angeles. Songez à Valence. Nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire, bien que l’Accord de Paris nous ait permis d’éviter bien des désastres et bien des catastrophes.
Je saisis d’ailleurs l’occasion de m’adresser à vous pour vous transmettre mes plus sincères remerciements pour l’élan de solidarité que vos pays ont spontanément manifesté après le terrible cyclone qui a frappé Mayotte au mois de décembre.
Pour relever tous ces défis, nous porterons nos efforts sur trois priorités, dans la droite ligne des objectifs que le Président de la République et le Premier ministre ont fixés lorsqu’ils se sont adressés aux ambassadrices et aux ambassadeurs de notre pays il y a quelques jours. Pour faire échec à la loi du plus fort, nous rendrons toute sa force à ce que nous sommes : des valeurs claires, une communauté d’action pour répondre aux défis globaux, un ordre international fondé sur des textes fondamentaux, des principes et des droits, une gouvernance, des objectifs en commun.
En matière climatique, nous n’avons pas le droit de renoncer. Remettons-nous sur la bonne trajectoire, celle qui permet de limiter la hausse de la température moyenne globale à +1,5 degré. Et pour cela, remettons le plus vite possible des contributions déterminées au niveau national, réhaussées et ambitieuses. Dans la perspective de la COP30 à Belém, je salue le Brésil et lui souhaite plein succès dans une tâche qu’il mène avec énergie et conviction, au bénéfice de tous.
Protéger le climat, protéger la biodiversité, cela signifie aussi protéger ce qui occupe les deux tiers de la planète : l’océan. Vous le savez, en juin, la France coorganisera avec le Costa Rica, à Nice, la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan, après la deuxième et très belle édition que le Portugal a accueillie en 2022. Cette conférence a vocation à être pour l’océan ce que l’Accord de Paris a été pour le climat. Nous comptons sur votre participation au plus haut niveau pour discuter de cet espace partagé, qui joue un rôle si important pour l’équilibre de notre planète. Nous y prendrons des engagements concrets, à commencer par la mise en oeuvre du traité BBNJ. Nous avons besoin que vos pays ratifient l’accord pour qu’il entre en vigueur le plus vite possible d’ici au mois de juin. Nous avons également besoin que, tous, nous tracions des aires marines protégées et que nous construisions les contributions volontaires pour assurer la protection de l’océan, qui est notre patrimoine commun. Comme le climat, l’océan ne peut plus attendre.
Nous comptons également sur votre pleine participation au sujet de la nutrition, à l’occasion du Sommet "Nutrition pour la croissance", qui se tiendra les 27 et 28 mars prochains à Paris.
Des enjeux globaux, des réponses globales.
Sur l’intelligence artificielle, qui commence à transformer nos existences, nous réunirons un certain nombre d’acteurs à Paris du 6 au 11 février prochains, lors d’un Sommet mondial, le premier de cette envergure, qui sera coprésidé par l’Inde, que je remercie beaucoup de son implication dans la préparation de cette échéance majeure.
Sur la diplomatie féministe aussi, la France sera déterminée, et cette question mérite l’engagement d’autres diplomaties, que j’invite à nous rejoindre.
Ces réponses globales se construiront sur la base d’une coordination étroite, ouverte, avec l’ensemble des partenaires. Voilà l’engagement renouvelé de la France en ce début d’année.
Sur la gouvernance mondiale, il faudra donc rendre plus juste ce qui est fort et plus fort ce qui est juste. Et cela commencera par une gouvernance mondiale réformée et renouvelée. Pour être efficaces collectivement, nous devons être collectivement légitimes. Vous le savez, nous fêterons cette année les 80 ans de l’Organisation des Nations unies, et l’ONU est notre héritage commun. Pourtant, l’ONU est souvent critiquée et parfois paralysée. Il faut rappeler ceci : les Nations unies sauvent des vies et sont les gardiennes des règles et des principes qui fondent l’ordre international fondé sur le droit. L’intégrité territoriale, l’indépendance, la souveraineté des Etats, l’autodétermination des peuples, la coopération entre les nations, le développement durable, la solidarité entre les pays sont des règles avec lesquelles nous ne pouvons transiger.
Ceci étant posé, je ne détournerai pas le regard d’un fait : l’ONU doit être réformée. C’est le cas par exemple de l’usage du droit de veto au Conseil de sécurité, qui doit être encadré. Et je relancerai à cet égard notre initiative conjointe avec le Mexique. Le Conseil de sécurité doit aussi être élargi, adapté au monde dans lequel nous vivons. Nous aurons ces prochains mois, ces prochaines années des rendez-vous décisifs et nous devons faire des pas de géant. Premièrement, intégrer au sein du Conseil de sécurité des Nations unies plusieurs membres permanents, le G4 et deux membres venant du continent africain. Deuxièmement, réformer l’architecture financière mondiale. Et j’invite celles et ceux qui n’en sont pas encore membres à rejoindre le Pacte de Paris pour les peuples et la planète, initié par le Président de la République. Troisièmement, enfin, pour faire respecter le droit international humanitaire. Nous serons, là encore, à l’initiative, avec le CICR et un certain nombre d’autres pays mobilisés sur ce sujet.
Pour éviter la tentation de la division et retisser nos liens, il faudra jouer collectif grâce à ce que la diplomatie sait faire de mieux : nouer des partenariats. Et la France met un point d’honneur à approfondir ses partenariats, qui sont nombreux. Parfois, il faut même les renouveler, quand le temps les a érodés.
Avec nos partenaires du continent africain, nous avons bel et bien engagé une métamorphose. Comme n’importe quelle mue, ce processus prend du temps et demande d’être fort. Puisque nous célébrons ensemble la nouvelle année, je m’essaierai à une sorte de bilan. Qu’il s’agisse du Président de la République ou des ministres du pôle "affaires étrangères", la France a rendu 15 visites officielles à nos partenaires africains en 2024 et, en sens inverse, 40 personnalités africaines ont été reçues en France dans un format bilatéral. Le Président de la République a pour sa part eu 45 échanges bilatéraux avec des chefs d’Etat et de gouvernement africains, dont 24 ont été reçus à l’Elysée. Et les résultats de cette mobilisation diplomatique exceptionnelle sont là : la réforme du franc CFA, la reconfiguration de notre dispositif militaire selon les voeux exprimés par nos partenaires, la restitution des biens culturels sur laquelle nous avançons avec le Bénin, le Cameroun, Madagascar et le Sénégal, le chemin parcouru en matière mémorielle au Rwanda ou au Sénégal, le renouvellement de nos publics - et je pense au formidable projet de la Maison des mondes africains qui ouvrira ses portes en 2025 -, la réorientation sectorielle comme géographique de nos investissements solidaires et durables, le soutien aux écoles nationales à vocation régionale sur des thématiques porteuses pour l’avenir et qui sont au centre des préoccupations de vos compatriotes comme des nôtres - cyber, lutte contre le terrorisme, protection de l’environnement -, le travail sur la souveraineté financière, alimentaire, patrimoniale, enfin. Notre proposition est claire et elle est franche : des partenariats qui servent nos sociétés, qui nous permettent de nous enrichir mutuellement et de nous projeter vers l’avenir, ni plus ni moins.
C’est cette même approche que nous proposons à nos partenaires de l’Indopacifique, en développant avec eux des partenariats de souveraineté sur la sécurité et la défense, la résilience des chaînes d’approvisionnement et de valeur, les métaux critiques, la connectivité, le climat. Là encore, nous voulons promouvoir avec vous ce qui sert la cause de nos peuples : la primauté de la règle de droit sur quelque considération que ce soit. C’est tout le sens de la mission Clémenceau 25 du groupement aéronaval qui se déploie dans l’Indopacifique de novembre 2024 à mai 2025 pour promouvoir la liberté de navigation dans cette région stratégique. Pour la France, la préservation d’un espace indopacifique libre et ouvert, prospère et respectueux des biens communs, passe à la fois par le respect du droit et par la recherche de coopérations aussi inclusives que possible.
Au service de la sécurité et de la prospérité mutuelles, je souhaite insister pour finir sur les efforts que la France continuera de déployer aux côtés de ses partenaires du Proche et du Moyen-Orient. Permettez-moi de me réjouir avec vous du nouvel espoir qui se lève pour la région grâce au cessez-le-feu à Gaza et au Liban, la fin de la crise institutionnelle dans ce pays, le retour des otages. Pour la première fois depuis 500 jours, nous pouvons envisager que la tragédie qui a débuté le 7 octobre 2023 prenne fin et qu’une paix durable puisse être bâtie dans toute la région.
Pour parvenir à un tel résultat, la diplomatie française a oeuvré d’arrache-pied sur tous les tableaux. Au Liban, nous avons négocié, avec les Américains, un accord de cessez-le-feu qui a mis fin à la guerre. Nous veillons à sa mise en oeuvre. Et nous avons facilité une sortie de la crise institutionnelle, avec l’élection du Président de la République, Joseph Aoun. Nous voulons désormais consolider l’espoir qui s’est levé au pays du Cèdre en favorisant sa souveraineté - notamment en soutenant les forces armées libanaises - et sa reconstruction, et nous accueillerons bientôt une conférence des bailleurs à Paris.
En Syrie, nous sommes pleinement engagés en faveur d’une transition politique qui garantisse la stabilité et la prospérité du pays, comme la sécurité collective. Des sanctions vont être progressivement allégées, la reconstruction va se mettre en place et nous nous tenons prêts à redéployer notre dispositif diplomatique sur place. Nous accueillerons à Paris dans quelques jours une conférence internationale pour soutenir cette transition syrienne, si importante pour la région et les équilibres du monde.
En Israël et dans les territoires palestiniens, il faudra tirer profit des acquis précaires du moment pour créer une dynamique régionale et internationale favorable à la paix. C’est tout l’objet de la conférence que nous présiderons avec l’Arabie saoudite au mois de juin, sous l’égide des Nations unies et au service de la solution à deux Etats.
Plus largement, dans la région, les défis sécuritaires posés par le programme nucléaire iranien demandent une solution diplomatique globale et des efforts convergents. Et en évoquant l’Iran, j’ai évidemment une pensée pour nos concitoyens détenus arbitrairement, otages d’Etat de la République islamique, comme pour vos compatriotes qui, partout dans le