Situation en Syrie : le regard de nos partenaires - CCFD-Terre Solidaire

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Le régime est tombé ! Je me le rappelle tous les matins en me levant, tellement j’ai du mal à y croire.

Sana Al Yazigi (Directrice de la Mémoire créative de la révolution syrienne). 

Le 8 décembre 2024, le régime dictatorial des Al Assad, qui régnait sans partage sur la Syrie depuis 1963, s’est effondré. Nous vous partageons ici les regards croisés des différents partenaires syriens du CCFD-Terre Solidaire sur cet évènement historique.

La fin de Al Assad ila al Abad (« Al Assad pour l’éternité »)

L’effondrement du régime des Al Assad se situe dans la continuité de la Révolution syrienne débutée en mars 2011 dans le sillage des printemps arabes. Le soulèvement populaire qui s’était propagé à toute la Syrie avait alors été brutalement réprimé par le régime, menant à une guerre civile meurtrière. Les arrestations arbitraires et les bombardements massifs opérés par les autorités syriennes, ainsi que les exactions menées par certains groupes d’opposition armés, ont mené à des déplacements de population sans précédent à l’intérieur et à l’extérieur du pays (7 millions de personnes déplacées internes et près de 6 millions de réfugiés, soit 60% de la population totale).  

Profitant de l’affaiblissement des alliés traditionnels du régime en Syrie (retrait de militants du Hezbollah redéployés au Liban lors de la guerre contre Israël et concentration de la Russie sur le front ukrainien), le groupe armé islamiste Hayat Tahrir Al Cham (HTS), contrôlant la province d’Idleb depuis 2016, a opéré une avancée éclair sur Hama et Homs entre le 27 novembre et le 6 décembre. Dans le même temps, les provinces de Swaida et Deraa au sud se sont auto-libérées et ont marché sur Damas poussant Bashar Al Assad à fuir le pays dans la nuit du 7 au 8 décembre.  

Le chef de Hayat Tahrir Al Cham, Ahmad Al Charaa (anciennement surnommé Abu Mohammad Al Jolani), a pris le contrôle du pays et a lissé son profil, donnant des gages aux différents courants politiques et aux minorités (volonté d’établir un Etat de droit avec l’organisation d’élections, respect des différentes confessions et ethnies). Cependant, la nomination le 10 décembre d’un gouvernement de transition entièrement composé de proches de Al Charaa et le passé violent de ce groupe impose la vigilance. En outre, la question de l’avenir des provinces de Raqqa et Hassaké, toujours contrôlées par l’Administration autonome du nord-est syrien à majorité kurde, reste entière. 

L’avenir politique de la Syrie demeure incertain mais ouvre le champ des possibles comme nous le rappelle Sana Al Yazigi, fondatrice de Mémoire créative de la Révolution syrienne. Son projet de collection de toutes les œuvres intellectuelles et artistiques se rapportant aux valeurs initiales de la Révolution syrienne prend tout son sens aujourd’hui. Rappeler à la société syrienne – et au nouveau pouvoir – les objectifs de la Révolution syrienne, que sont la liberté, la dignité et l’Etat de droit, est un garde-fou indispensable pour contrer l’avènement d’un nouveau pouvoir autoritaire.

C’est également le constat d’Assem Hamsho, opposant politique réfugié et fondateur de Mindset 011, un café culturel et artistique qui vise à sensibiliser la société française au enjeux politiques et sociétaux de la Syrie et du Moyen-Orient : “La société civile syrienne a été le principal incubateur des principes de la Révolution initiée en 2011 et continuera à se battre pour leur protection” 

Justice transitionnelle et construction de la paix 

La construction politique passe par un processus de justice transitionnelle et de cohésion sociale, afin que les Syriens et les Syriennes puissent faire société en dépit des violences innombrables et inimaginables que certains ont vécu pendant ces décennies de guerre et de répression.  

Noura Ghazi, Directrice de NoPhotoZone, est à la fois soulagée de la libération des détenus et sous le choc de l’étendue des souffrances que l’ouverture des prisons a révélée au monde. Les 113 000 personnes disparues ont pour la plupart été assassinées aux mains du régime. Nombre de personnes détenues sont dans un état psychologique et physique si désastreux qu’elles sont en incapacité de se souvenir ou d’exprimer leur prénom. Le combat de NoPhotoZone pour la justice en faveur des prisonniers d’opinion et les victimes de disparition forcée est plus que jamais nécessaire. L’enjeu est aujourd’hui pour l’association d’identifier les victimes, d’obtenir pour elles réparation, et que les responsables soient jugés. Cela passe par la mise en place d’un processus de justice transitionnelle et par la préservation des preuves sur le terrain. 

La paix sociale passe également par le maintien du dialogue intercommunautaire et interreligieux, porté par notre partenaire historique, la communauté de Deir Mar Moussa, à Nebek. Ce monastère ravivé par le Père jésuite Paolo Dall’ Oglio (enlevé par l’Organisation de l’Etat islamique en 2013) est le siège d’un dialogue permanent entre les communautés chrétiennes et musulmanes de Syrie pour favoriser la fraternité et la compréhension mutuelle. Le Père Jihad Youssef accueille positivement la chute du régime tyrannique, et décrit une Syrie en effervescence : “Je suis sur la route entre Homs et Al Nabek, et il y a plein de voitures, les gens vont et viennent librement. Nous accueillons déjà beaucoup de groupes”. Si les instances chrétiennes de Syrie ont été invitées à dialoguer avec le gouvernement de transition mené par HTS, il attend de voir la mise en œuvre de ses promesses et espère que le futur régime inclut toutes les composantes qui forment la société syrienne.  

Des besoins humanitaires immenses 

La chute du régime n’a pas modifié la situation humanitaire qui reste catastrophique dans l’ensemble du pays, sans compter les opérations militaires menées par la Turquie dans les territoires du Nord de la Syrie, et pour Israël dans le Golan. Depuis la fermeture de l’opération du Programme alimentaire mondial en janvier 2024, 13,4 millions de Syriens et Syriennes sont en situation d’insécurité alimentaire. L’économie du pays est exsangue après une décennie de conflit armé et de sanctions internationale. 90% de la population syrienne vit sous le seuil de pauvreté, et la livre syrienne a perdu 99% de sa valeur depuis le début du conflit engendrant un des taux d’inflation les plus élevés au monde.  

Dans ces conditions, la souveraineté alimentaire constitue la priorité de deux de nos partenaires qui œuvrent depuis plusieurs années au développement de projets agroécologiques permettant une production maraichère locale respectueuse de l’environnement et de la santé (pour des raisons de sécurité ces derniers souhaitent demeurer anonyme jusqu’à une forme de stabilisation politique).  

En outre, durant le conflit des quartiers et des villages entiers ont été rasés par le régime syrien, détruisant en priorité les infrastructures civiles : les hôpitaux, les écoles, et les réseaux d’électricité et d’eau.  

Alors que tout reste à reconstruire, la Syrie actuelle est dans l’incapacité de faire face à un retour massif des réfugiés syriens. Au regard de l’instabilité de la situation politique, il est essentiel que les Etats européens ne remettent pas en cause les protections internationales accordées à des Syriens et des Syriennes, et aucun retour forcé ne peut être envisagé. Si certains ont déjà pris la route du retour, par espoir, c’est aussi souvent parce qu’ils vivaient dans des conditions indignes en Turquie ou au Liban. Il faudra du temps avant que la situation politique se stabilise, que l’économie se relève, et que les conditions soient remplies pour un retour digne et sûr des réfugiés en Syrie. 

L’ensemble des associations syriennes appelle la communauté internationale à leur venir en aide tout en les laissant maîtres de leur destin. Le CCFD-Terre Solidaire se tient aux côtés de ses partenaires pour les soutenir dans cette transition politique inédite, et les enjeux immenses de la justice transitionnelle et de la reconstruction. 

Aller plus loin : 

Texte : Charlotte Bertal Nasser / Photographie de couverture : Hisam Hac Omer / ANADOLU / Anadolu via AFP

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Lili Payant