Le 8 décembre 2024 s’effondrait le régime des Al Assad en Syrie, après plus de 60 ans de dictature. Une fin spectaculaire qui ne peut faire oublier la catastrophe humanitaire et économique que doivent affronter les Syriens et Syriennes. 95% des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté. 3,4 millions sont en situation d’insécurité alimentaire.
Quelques jours après la chute du régime, le CCFD-Terre Solidaire avait donné la parole à ses partenaires et au peuple syrien dans une série d’articles pour recueillir leur ressentis, leurs analyses et leurs espoirs.
- 16 décembre 2024 : Syrie : « Bienvenue dans une nouvelle Damas »
- 16 décembre 2024 : Syrie : La vigilance après une immense joie
- 20 décembre 2024 : Situation en Syrie : le regard de nos partenaires
6 mois plus tard, nous partageons avec vous les nouvelles de plusieurs de nos partenaires qui poursuivent leur engagement dans une Syrie dont l’avenir reste très incertain.
Où en est la Syrie en juin 2025 ?
Après la chute du régime de Bachar Al Assad le 8 décembre 2024, Ahmad Al Charaa prend la tête du pays. Chef de Hayat Tahrir Al Cham (HTS), le groupe islamiste qui a renversé le régime, Ahmad Al Charaa s’est efforcé de modérer son image, en tendant la main aux divers courants politiques et aux minorités, notamment par la promesse d’élections et le respect du pluralisme confessionnel et ethnique.
Cependant, la multiplication des exactions à l’égard des minorités alaouites et druzes ont douché la relative confiance dans le nouveau pouvoir. Ces exactions ont atteint leur paroxysme en mars 2025 pour les Alaouites de la région côtière et fin avril 2025 pour les Druzes de la banlieue de Damas et de la région de Swaida, entraînant la mort de nombreux civils.
Les experts de la Syrie craignent une exacerbation des tensions inter-communautaires en l’absence de réactions politiques fortes. Les récentes exactions n’ont pas fait l’objet de condamnations immédiates et fermes de la part du pouvoir central. Pire, les révélations concernant la participation à ces massacres de groupes armés placés sous le commandement du ministère de la Défense jette le discrédit sur la capacité du gouvernement Charaa à poursuivre ses propres soutiens. Par ailleurs, si le ministre de la Justice nommé en mars 2025 a inclus la justice transitionnelle dans ses priorités, l’absence d’une feuille de route claire risque d’éroder l’espoir des victimes de recevoir justice un jour et d’encourager une spirale de vengeance.
En parallèle, le contexte économique reste désastreux. Après treize ans de conflit armé et de répression étatique, et un demi-siècle de mauvaise gouvernance, la Syrie est exsangue. La levée des sanctions européennes et états-uniennes en mai est une lueur d’espoir, tant ces sanctions empêchaient toute reconstruction économique de la Syrie.
En juin 2025, la situation de la Syrie reste très préoccupante et semble pouvoir basculer à tout moment. Malgré cela, le peuple syrien est pleinement engagé pour son avenir. C’est le cas de nos partenaires.
Mémoire créative sur la révolution syrienne : une exposition historique au Musée national de Damas
Depuis 2013, Mémoire créative de la révolution syrienne recense, archive et diffuse toutes les formes d’expression intellectuelle et artistique liées à la révolution syrienne, afin de préserver la mémoire collective de la Syrie.
Du 18 mai au 6 juin 2025, le Musée national de Damas a accueilli l’exposition “Détenus et disparus”, une exposition née d’un partenariat entre Mémoire créative de la révolution syrienne, le CCFD-Terre Solidaire, la fondation Friedrich Ebert et l’ambassade d’Allemagne en Syrie. 6 mois auparavant, cet événement aurait été inimaginable.
Le 18 mai, l’inauguration de l’exposition s’est déroulée en présence du ministre de la Culture Mohammad Saleh. A cette occasion, Sana Yazigi, la fondatrice et directrice de Mémoire créative, a pris la parole pour faire part de ces 14 années à documenter l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de la Syrie. La guerre civile a laissé derrière elle plus de 500 000 morts et 136 000 personnes disparues.
Nous avons le sentiment d’avoir fait un pas vers la justice. […] L’exposition qui se tient au musée national, en tant qu’espace public, récupère symboliquement cet espace public dont nous avons été privés pendant longtemps.
Sana Yazigi, fondatrice et directrice de Mémoire créative de la révolution syrienne
NoPhotoZone : la justice transitionnelle comme perspective
La chute du régime a été rapidement suivie de l’ouverture des prisons qui a exposé au monde l’ampleur des horreurs qui y ont été commises.
En décembre dernier, Noura Ghazi, Directrice de NoPhotoZone, nous avait confié être à la fois soulagée de la libération des détenus et sous le choc de l’étendue des souffrances révélées.
Jusqu’en décembre et la chute des Al-Assad, l’équipe syrienne de NoPhotoZone n’avait pas d’autre choix que de travailler secrètement. L’organisation peut désormais travailler au grand jour et se consacrer à la mise en place d’une justice transitionnelle. Pour cela :
- Elle poursuit son soutien juridique auprès des familles de disparus et envisage de porter des dossiers emblématiques auprès de la justice pénale syrienne.
- Elle apporte un soutien psychologique et financier aux détenus libérés.
- Elle développe de nouveaux outils de plaidoyer pour obtenir justice, vérité et réparations pour les familles de victimes de disparition forcée.
☞ A lire aussi : Retour sur le premier Congrès mondial sur les disparitions forcées
Graines et cinéma, DAR et Buzuruna Juzuruna : la souveraineté alimentaire en plein bourgeonnement
Le projet pilote Nawa, mis en œuvre par DAR, vise à faire du maraîchage à partir de semences paysannes et avec des méthodes de permaculture et d’agroécologie (photos prises à Amouda et Raqqa dans le Nord-Est syrien).
Après 13 ans de conflit et de désastre économique, les Syriens ont de plus en plus de mal à subvenir aux besoins de leurs familles. La malnutrition maternelle et la malnutrition aiguë chez les enfants de moins de 5 ans ont atteint les seuils d’urgence mondiaux. Les cultures ont souffert du conflit armé : mines, abandon des terres, saccage… mais aussi de la progression de la désertification due au changement climatique. L’hiver 2025 a connu le plus bas niveau de pluviométrie jamais enregistré.
La chute du régime a permis à de nombreux agriculteurs de retrouver leur terre. Certains ont même pu planter dès le mois de décembre, à l’instar des agriculteurs de Graines et cinéma, partenaires du CCFD-Terre Solidaire, rentrés dans leur région de Saraqeb.
Le décloisonnement du territoire syrien et les déplacements rendus à nouveau possible ont permis à nos partenaires et alliés d’initier un réseau d’agriculteurs autour de la permaculture et des semences paysannes. En parallèle, des échanges de pratiques et formations sont en cours entre DAR et Buzuruna Juzuruna notamment qui sont en train d’organiser une grande rencontre sur l’agroécologie.
La chute du régime permet d’utiliser l’agroécologie comme un tremplin pour créer des rencontres entre des Syriens qui viennent de zones éloignées et dans lesquelles il y avait des conflits et où potentiellement il pourrait y avoir à nouveau des conflits. C’était le cas avec la visite d’Aazat et Ibrahim [du projet « Graines et cinéma »] dans le nord-est de la Syrie contrôlée par les Kurdes, ce qui était impossible et impensable il y a encore quelques mois. Voir des paysans travailler ensemble sur une cause commune et parler de choses qui les rassemblent, c’est assez fort.
Félix Legrand, coordinateur de DAR
Khunaf Shamo coordinatrice du projet Nawa, de l’association DAR, dans le Nord Est syrien (également en photo de couverture)
« Nous les agricultures locaux du Nord est de la Syrie, nous essayons à notre niveau grâce aux semences paysannes de revenir à la vie, de ramener la Syrie à la vie et de revenir à une agriculture qui soit saine pour les êtres humains, les plantes, les animaux, et tout être vivant. En raison du dérèglement climatique, la région souffre de façon extrêmement forte de la baisse du niveau des eaux, on parle de « guerre de l’eau ». Les semences paysannes locales représentent un bouclier contre le changement climatique, car elles n’ont pas besoin de quantité importantes d’eau.
Après la chute du régime, on a pu de nouveau se rencontrer avec des agriculteurs et des ingénieurs venant de zones inaccessibles pour nous sous le régime, comme certaines régions qui ont été assiégées [à l’instar de la Ghouta de l’Est]. On peut désormais unir nos forces et nos compétences entre agriculteurs et ingénieurs kurdes et arabes de toutes régions.
On a pu renforcer notre appartenance à la nation, alors que le régime essayait de nous diviser depuis des années.Quand nous nous rencontrons, toutes les frontières tombent, tout sens de la géographie disparait. Nous sommes Syriens, nous sommes un seul et même peuple. »
La chute du régime des Al Assad a permis de voir renaître l’espoir. Même si la situation est hautement instable, la société civile s’engage et se relaie pour construire une Syrie unie, ouverte, durable. Les prochains mois et années seront décisifs.