En Argentine, l’usage massif des pesticides, associé aux vastes monocultures, fait des ravages sur la santé des populations. Pour l’organisation Incupo, que nous soutenons sur place, le soutien à l’agriculture familiale constitue le meilleur rempart contre les pesticides
Ernesto Starhinger, directeur d’Incupo, nous en dit plus sur le fléau des pesticides dans son pays, et leur action
Quel est le rôle d’Incupo dans la lutte contre l’usage abusif de pesticides ?
Ernesto Starhinger : Depuis cinquante ans, nous nous battons pour l’accès à la terre des paysans et la préservation de l’écosystème. Incupo soutient 4 000 familles qui pratiquent l’agriculture dans cinq provinces du Grand Chaco argentin. Ces familles sont des véritables défenseuses de l’environnement. Si ces cultures familiales meurent, la nature meurt. Or, cette agriculture familiale argentine est en danger. Notamment à cause de la contamination par les pesticides employés par les grandes exploitations voisines qui pratiquent la monoculture.
L’agriculture vivrière face aux fonds de pension
Prenons un exemple. Dans ma région de Corrientes, j’ai deux fils qui s’occupent de notre exploitation de 30 vaches et pratiquent l’agriculture vivrière sur une vingtaine d’hectares. A côté de chez nous, un Fonds de pension étranger produit du riz sur 50 000 hectares, en utilisant des semences transgéniques et des pesticides. Les pesticides s’écoulent ensuite dans nos rivières et les contaminent. Ces grands producteurs extensifs détruisent le milieu ambiant. Ils provoquent la mort des poissons. A Corrientes, le riz est devenu la culture la plus importante.
Dans d’autres provinces, ce sont des monocultures de soja, de maïs ou de tournesol. En Argentine, chaque année, 600 millions de litres de produits chimiques sont utilisés et viennent intoxiquer notre terre !
Pourquoi l’agriculture familiale n’a-t-elle pas besoin des pesticides ?
L’agriculture familiale est la meilleure défenseuse de l’environnement. Les petits agriculteurs produisent une diversité de cultures à destination d’une clientèle locale. Ils n’ont pas besoin de pesticides comme dans la monoculture. La monoculture favorise les maladies des plantes.
Diversifier les plantations
Si je fais 3 hectares de fraises, une seule maladie peut décimer toute ma récolte. C’est un risque que je ne peux pas courir et j’emploie donc des pesticides. Si j’ai 10 sortes de plantes sur la même superficie, je partage les risques et je ne perdrai pas toute ma récolte en cas de maladie sur l’une de mes espèces.
Aucun agriculteur n’utilise des pesticides de sa propre initiative. C’est le marché qui le demande en incitant à la monoculture. Il pousse aux engrais chimiques pour arriver à augmenter le rendement. Le rendement est une notion liée à la monoculture.
Comment luttez-vous contre l’usage des pesticides ?
En amont, chez les agriculteurs, nous expliquons les avantages de diversifier leurs cultures. Nous prouvons les dangers des pesticides. En aval de la production, nous développons les circuits de commercialisation propres, avec des marchés locaux de produits naturels. Nous sensibilisons les consommateurs et les consommatrices à l’avantage de ces produits sans pesticides.
Les enquêtes sont bloquées
Il y a deux ans, une étude officielle a été menée en Argentine, en collaboration avec un institut français, pour mesurer les traces de produits chimiques dans le sang des personnes au contact de ces pesticides, habitants et agriculteurs. Les résultats de l’enquête ont été bloqués et non publiés. Incupo a dénoncé cela dans la presse. Nous accompagnons également un mouvement qui veut freiner la diffusion de pesticides aux alentours des écoles et des maisons.
Que change l’arrivée au pouvoir du président ultra-libéral Javier Milei ?
Le gouvernement actuel ne croit pas au changement climatique. Il est contre le peu de lois environnementales qui existent en Argentine. Il estime que l’Etat n’a pas à réguler ce type de problèmes. C’est aux citoyens de s’organiser. Il a fermé la division de l’agriculture familiale qui existait dans l’administration. Aujourd’hui, il fait pression sur les directeurs des centres de santé qui dénoncent des allergies, des malformations à la naissance, liées aux pesticides.
Propos recueillis par Pierre Cochez
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