Guatemala : le café "justicia", symbole de la résistance Maya  - CCFD-Terre Solidaire

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Au Guatemala, où poussent certains des meilleurs cafés au monde, les terres sont le théâtre de luttes pour la justice sociale et environnementale. Dans ce contexte, le Comité Paysan de l’Altiplano (CCDA) a développé une initiative unique, le Café Justicia, qui allie production durable et défense des droits des peuples mayas. La photographe Ophélie Chauvin est allée à leur rencontre.

Après une trentaine de minutes en “lancha” (bateau à moteur typique), nous accostons à San Lucas Tolimán. Ce village pittoresque, berceau de la culture maya Tz’utujil, est bordé par les rives sud du majestueux lac Atitlán et entouré d’imposants volcans parsemés de plantations de café.

Sur ses hauteurs, le CCDA produit son café “Justicia”. Loin d’être une simple boisson populaire, ce café biologique est au service de la lutte pour la préservation des terres et de la culture mayas. Pour en saisir sa particularité, il faut remonter le fil de son histoire.


Rendre justice aux peuples mayas persécutés 

Se reconstruire après la guerre civile

Au Guatemala, les communautés mayas et paysannes ont subi de nombreux épisodes de spoliation et de persécution. Dans les années 1980, en pleine guerre civile, elles sont victimes d’un génocide¹ et d’une politique de la terre brûlée.

C’est dans ce contexte de violence inouïe que le CCDA émerge pour défendre leurs droits. Aujourd’hui, présent dans 20 des 22 départements du pays, cette organisation de base poursuit inlassablement son combat pour le “bien-vivre”.

Aujourd’hui, nous défendons les droits de l’homme, le droit à notre territoire, à la Terre Mère, et nous proposons également une initiative économique et productive ainsi qu’une participation politique active. Celle-ci encourage l’inclusion des femmes et des jeunes dans ce que nous construisons : c’est-à-dire le buen vivir.

Neydi Morales, coordinatrice du CCDA. 

Défendre le droit à la terre face à la violence et la corruption

Signés en 1996, les Accords de Paix ont mis fin au conflit armé. Pourtant, de nombreuses terres spoliées n’ont jamais été restituées. Depuis, le CCDA soutient les communautés dans leur lutte pour récupérer leurs terres ancestrales. En plus d’un accompagnement juridique et politique, l’organisation a réalisé des études anthropologiques pour démontrer à la Cour Constitutionnelle l’appartenance historique de ces terres. Son combat a permis de restituer près de 80 parcelles à 80 communautés.

Cependant, les défis demeurent nombreux et la violence persiste. Le crime organisé et la corruption progressent dans ces territoires et s’infiltrent dans les instances politiques. Dans les zones riches en ressources convoitées, de grands propriétaires terriens s’accaparent des terres en toute impunité.

1.100

mandats d’arrêt visent les membres du CCDA. 

1.000

conflits agraires sont en attente de résolution.

Le CCDA en première ligne pour lutter contre les violences de genre

La violence agraire envers les femmes est encore plus complexe. “Car nous vivons dans un État et un système patriarcal qui nous excluent, et qui nous ont historiquement exclues”, témoigne Neydi Morales. L’héritage de la terre est généralement attribué aux hommes premiers-nés. Alors que 70 % de la nourriture provient de l’agriculture familiale et que 80 % des initiatives agricoles sont gérées par des femmes, seulement 10 % d’entre elles bénéficient d’une garantie de possession de leur parcelle.

En 2014, le CCDA a créé la Commission Nationale de la Femme pour lutter contre les inégalités de genre systémiques. Cet espace de revendication dédié aux femmes a permis de renforcer leur formation et leur participation politiques. Aujourd’hui, le CCDA est composé à 65 % de femmes.

Nous nous appuyons beaucoup sur une phrase de nos frères zapatistes : ‘si la femme avance, l’homme ne s’arrête pas ‘

Neydi Morales 

Le CCDA a également mis en place la certification : “avec les mains des femmes”, “pour valoriser non seulement leur travail en tant que productrices, mais aussi leur contribution réelle à la culture du café”, explique Naobil Xep, coordinateur des inspections au CCDA.

Le café justicia : une tasse pour la justice sociale

Une initiative pour soutenir la souveraineté alimentaire

Au Guatemala, la faim et la pauvreté atteignent des niveaux alarmants. La mobilisation du CCDA pour la récupération et la préservation des terres nourricières est cruciale pour le développement et la souveraineté alimentaire. En s’appuyant sur des pratiques ancestrales, l’organisation promeut des initiatives productives et alimentaires durables.

50 %

de la population souffre d’insécurité alimentaire (2021).

60 %

de la population vit sous le seuil de pauvreté (2021).

Agroécologie et cosmovision maya

Le Café Justicia, mis en place il y a 25 ans, est une coopérative qui propose un café de qualité issu de l’agroécologie et du commerce équitable.

Ce café est cultivé dans différentes régions du pays, Atitlán, Cobán, Huehuetenango et San Marcos, par des producteurs et productrices organisé.e.s au sein du CCDA. Les fruits du café sont ensuite acheminés au centre de transformation et de formation du CCDA, situé à San Lucas Tolimán.

Grâce à une équipe de techniciens et d’agronomes dévoués, le CCDA œuvre continuellement à l’amélioration de ses techniques de production tout en préservant les écosystèmes, les sols et l’eau. En l’espace de cinq ans, la qualité moyenne de leur café est passée de 83 à 86 points, sachant qu’une note moyenne de 80 est requise pour l’exportation.

Nous voyons l’agroécologie non seulement comme une méthode de production, mais aussi comme un système politique pour revendiquer des droits, notamment les droits des femmes, la redistribution des terres, la défense des semences natives, et, bien sûr, la défense et la récupération de la Terre Mère.

Neydi Morales.

Un symbole de résistance et de promotion de la culture maya

Le Café Justicia est un véritable symbole de résistance pour les Mayas. Au Guatemala, le café est un produit issu de l’époque libérale (fin XIXe siècle) et fortement lié aux processus d’esclavage, de confiscation des terres, et de racisme envers les populations autochtones.

Pour nous, le Café Justicia n’est pas seulement un produit que nous vendons, mais aussi un outil de revendication de tous ces droits pour les populations qui ont historiquement possédé la terre et dont la main-d’œuvre a été exploitée pour faire croître ces produits d’exportation.

Neydi Morales.

Acteur incontournable de la société civile guatémaltèque, le CCDA poursuit sans relâche son combat pour la défense des terres et des droits mayas. Récemment, il a remporté une nouvelle victoire : le 7 février dernier, un accord a été signé avec le Président actuel pour mettre fin aux expulsions forcées et trouver une solution concrète à une crise agraire qui affecte le Guatemala depuis des décennies.

¹ Le génocide a été reconnu par le Commission pour la Clarification Historique (CEH) en 1999, dans son rapport : “Guatemala, memory of silence” (§ 122, p.41).

Pour aller plus loin :

Au Guatemala : la fierté des femmes mayas #UnCaféAvec

Crise alimentaire au Guatemala #JeudiPhoto

Au Guatemala, des semences et des marchés paysans contre la malnutrition

Recapiti
Ophélie Chauvin