Dans la lutte contre l'extractivisme, les femmes sont en première ligne

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L’extractivisme, ce modèle d’exploitation massive et intensive des ressources naturelles au profit de multinationales, s’impose comme une menace majeure pour les droits humains, et notamment pour les femmes. Deux militantes engagées ont accepté de nous raconter leur combat. Des témoignages précieux que nous vous partageons à l’occasion de la Journée de la Terre, ce 22 avril.

Comment en êtes-vous venues à lutter contre l’extractivisme ?

Dunia Sanchez : Mon engagement a commencé face aux menaces que subissent les défenseurs des droits humains au Honduras, notamment ceux et celles qui s’opposent aux projets miniers et hydroélectriques imposés sans consultation.

L’arrivée d’un projet hydroélectrique extractiviste dans ma communauté de Río Blanco nous a obligés à défendre notre territoire face à la privatisation, aux dommages environnementaux et aux impacts sur nos terres agricoles et nos sources d’eau. Les communautés autochtones et rurales sont particulièrement affectées, et nous nous battons pour qu’elles puissent faire entendre leurs voix.

Georgine Kengne Djeutane : Mon engagement puise sa source dans ma quête de justice, qui a nourri mon combat pour les droits des femmes. En analysant le système économique dominant, on constate rapidement que l’extractivisme touche les femmes de manière particulièrement négative. Elles ne sont pas consultées quand les projets miniers viennent s’installer sur leur terre ancestrale, subissent la pollution de l’eau et de la terre, et sont souvent laissées sans ressources lorsque leurs terres sont accaparées.

Quels sont les impacts concrets de l’extractivisme sur les populations locales, en particulier sur les femmes ? 

Dunia : Au Honduras, les projets extractifs entraînent des déplacements forcés et la criminalisation des activistes qui s’y opposent. Les femmes sont doublement touchées : elles perdent leurs moyens de subsistance et font face à une augmentation des violences, y compris des menaces et des agressions. 

Georgine : Les impacts sur les femmes sont multiples et nous observons une augmentation des violations de leurs droits dans le secteur minier. Les femmes sont particulièrement affectées dans ce secteur, car dans les zones touchées par les projets miniers, elles ne sont généralement pas consultées. La tradition et le système patriarcal les confinent aux tâches domestiques, les excluant ainsi des décisions qui impactent leur vie. Donc, quand les projets miniers arrivent, la femme ne participe pas aux réunions de prise des décisions, donc elle n’a pas le droit du consentement. Pourtant, les lois existent, que ce soit au niveau national, régional ou international. 

En Sierra Leone, j’ai vu des communautés entières enclavées par les mines. Les femmes, responsables de l’approvisionnement en eau et en bois, doivent parcourir des distances de plus en plus grandes. Elles sont aussi exposées à des violences, notamment sexuelles, commises par les forces de sécurité des compagnies minières. 

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Quelles sont les stratégies de résistance des communautés et notamment des femmes face à ces violations ?

Dunia : Les femmes jouent un rôle central dans cette lutte contre l’extractivisme. Nous ressentons une connexion profonde avec la Terre Mère, qui nous nourrit et nous donne la vie, tout comme nous, en tant que mères, donnons la vie. Nous défendons notre territoire parce que la terre et l’eau sont essentielles à notre existence. Les femmes du COPINH ont toujours levé la voix sans peur, suivant l’exemple de Berta Cáceres. Nous assumons des rôles de leadership, de communication et de résistance au quotidien. 

Nous assumons des rôles de leadership, de communication et de résistance

Nous travaillons avec des organisations locales et internationales pour documenter les violations des droits, accompagner juridiquement les défenseurs des droits humains et exiger des consultations libres, préalables et informées des communautés concernées. La solidarité est essentielle pour protéger ceux et celles qui dénoncent ces injustices. 

Qui était Berta Cáceres ? Berta Cáceres était une militante écologiste et défenseure des droits des peuples autochtones hondurienne. Elle a cofondé le Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH), une organisation qui lutte pour les droits des communautés autochtones Lenca. Menacée de mort alors qu’elle militait activement contre le projet de barrage hydroélectrique d’Agua Zarca, elle a été assassinée chez elle le 3 mars 2016. L’Amérique latine est le continent le plus dangereux pour les défenseurs de l’environnement. Il concentre à lui seul les trois quarts des assassinats de ces activistes à l’échelle mondiale.

Georgine : WOMIN accompagne les femmes en les formant à leurs droits, notamment au droit au consentement libre, informé et préalable, qui veut que les communautés soient consultées et puissent dire non à tout projet extractif affectant leur communauté.  

Nous mettons aussi en place des réseaux de solidarité pour renforcer la sécurité des femmes et leur donner les outils pour faire valoir leur consentement libre, informé et préalable à l’installation de tout projet extractif affectant leur territoire. 

Dans certains contextes, des téléphones ont été distribués aux femmes afin qu’elles puissent rester en lien, signaler leurs déplacements pour des formations et s’organiser face aux stratégies de division employées par les compagnies minières. En s’unissant, elles peuvent exercer une pression collective contre ces entreprises. 

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Quels résultats avez-vous obtenus ? 

Dunia : Grâce aux mobilisations, certains projets miniers ont été suspendus, et nous avons réussi à obtenir une meilleure reconnaissance des droits des communautés. Cependant, la répression reste intense, et les menaces contre les défenseures persistent. 

Georgine : En Sierra Leone, certaines communautés ont réussi à faire valoir leurs droits, comme le dédommagement des familles affectées. L’impact des formations se voit aussi dans la prise de parole des femmes dans les processus de décision. 

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Quelles sont les prochaines étapes pour votre combat ? 

Dunia : Nous devons continuer à renforcer les réseaux de défense des droits humains et exiger des mesures de protection efficaces pour les défenseurs. Il est aussi crucial de pousser pour des régulations plus strictes sur les multinationales impliquées dans ces abus. 

Le combat pour la justice pour Berta Cáceres continue. Neuf ans après son assassinat, nous exigeons toujours que les responsables intellectuels soient poursuivis. Nous savons que des intérêts économiques puissants entravent la justice, mais nous poursuivons notre lutte pour que vérité et justice prévalent. Notre combat ne s’arrêtera pas tant que justice ne sera pas rendue à Berta Cáceres et à nos communautés. Nous sommes debout et nous continuerons à faire entendre nos voix. 

Georgine : Continuer la formation des femmes et étendre nos réseaux de solidarité. Nous devons aussi sensibiliser davantage les hommes pour qu’ils soutiennent la lutte des femmes et rejettent les pratiques injustes des compagnies minières. 

L’extractivisme n’est pas une fatalité. Grâce à l’engagement de défenseures comme Dunia Sanchez et Georgine, les communautés affectées résistent et défendent leur droit à un environnement sain et à la justice sociale. 

Vous aussi vous pouvez agir ! Rejoignez notre campagne pour défendre le droit des populations à décider de leur avenir ☞ Je signe le manifeste

Photo de couverture : Alessandro Cinque

Recapiti
Lili Payant