Affaire Al Hassan : une condamnation bienvenue mais qui ne rend pas justice aux victimes de crimes liés au genre

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La Cour pénale internationale (CPI) a condamné Al Hassan, ancien commissaire de la police islamique de Tombouctou, pour crimes contre l’humanité, une première au Mali. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) salue ce jugement qui représente une victoire pour les victimes mais regrette l’absence de condamnation pour crimes liés au genre. La FIDH avait déposé une plainte contre Al-Hassan depuis 2015. La FIDH enjoint le Procureur de la CPI à continuer ses enquêtes et poursuites des auteur·es de crimes graves commis au Mali, y compris ceux liés au genre.

Paris, La Haye, 26 Juin 2024. Aujourd’hui, les juges de la CPI ont déclaré Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud (Al Hassan), ancien commissaire de facto de la Police islamique de Tombouctou et membre d’Ansar Dine, groupe associé à Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à Tombouctou, au nord du Mali entre le 1er avril 2012 et le 28 janvier 2013. La FIDH, qui a déposé plainte aux côtés de victimes contre Al Hassan devant la justice malienne en mars 2015, se félicite de ce verdict qui intervient au moment où les procédures judiciaires nationales semblent au point mort en dépit des engagements pris par les autorités maliennes.

« Ce verdict représente une étape importante pour les victimes dans leur quête de justice en lien avec les crimes internationaux commis au Mali depuis 2012. Il les console et les sort de l’indifférence dans lequel le déni de justice au niveau national les a plongées depuis plus de 12 ans, et rappelle l’urgence de mettre en place des mesures de réparation », a déclaré Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH.

Il s’agit de la première affaire de la CPI portant sur des crimes contre l’humanité commis dans le nord du Mali, marquant ainsi une étape importante pour la justice et la lutte contre l’impunité pour les atrocités de masse commises dans le pays.

Les juges ont reconnu, à la majorité, la responsabilité d’Al Hassan, soit en commettant directement les crimes, soit en y contribuant, soit en aidant ou en encourageant d’autres personnes à les commettre, pour les crimes suivants : crime de torture comme crime de guerre et crime contre l’humanité ; atteintes à la dignité de la personne comme crime de guerre ; des crimes de guerre de mutilations, traitements cruels et de condamnations prononcées sans un jugement préalable rendu par un tribunal régulièrement constitué et assorti de toutes les garanties judiciaires généralement reconnues comme indispensables ; ainsi que les crimes contre l’humanité d’autres actes inhumains et de persécution pour des motifs religieux.

Cette sentence prononcée contre Al Hassan intervient après l’affaire Al Mahdi dans laquelle dans laquelle Ahmad Al Faqi Al Mahdi, un ancien complice d’Al Hassan, fut condamné à neuf ans de prison pour crimes de guerre liés à la destruction de mosquées et mausolées de Tombouctou. Bien que la condamnation d’Al Mahdi représentait une victoire pour les victimes des crimes au Mali, la FIDH avait regretté qu’elle ne concerne que la destruction de monuments et non les crimes commis directement contre les personnes, et avaient appelé en 2016 à la poursuite des crimes sexuels.

Cependant, le verdict rendu aujourd’hui est marqué par la déception liée au fait que les juges de la CPI n’aient condamné Al Hassan pour aucun crime lié au genre. Bien que la Cour ait reconnu l’existence de certains de ces crimes, elle a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves permettant de les relier à l’accusé, et Al Hassan a été acquitté pour le crime contre l’humanité de mariage forcé et autres actes inhumains, l’esclavage sexuel comme crime contre l’humanité et crime de guerre et le viol comme crime contre l’humanité et crime de guerre. Ce faisant, le verdict manque de reconnaître la gravité et l’impact des crimes liés au genre commis contre les femmes, les filles et les hommes à Tombouctou. La Cour a également manqué l’occasion de reconnaître la persécution fondée sur le genre comme un crime contre l’humanité.

« Je suis en partie déçue de ce verdict qui ne tient pas compte des viols, encore moins de l’esclavage sexuel, des souffrances que moi et d’autres femmes de Tombouctou ont subi avec la complicité d’Al Hassan. J’avais vraiment espoir en la CPI car on n’arrive pas à obtenir justice au niveau national. Et pourtant tout paraissait clair pour qu’il soit aussi condamné pour ces actes ignobles dont nous souffrons toujours des conséquences. Je souhaite cependant qu’une peine sévère lui soit infligée pour que cela ne se reproduise plus au Mali... », a déclaré une survivante participant au procès.

« Malgré tout le temps que cela a pris, un des bourreaux des crimes graves au Mali vient d’être déclaré coupable. Mais nous ne comprenons pas pourquoi les violences sexuelles dont les viols, les mariages forcés ou l’esclavage sexuel n’ont pas retenu l’attention des juges de la CPI alors qu’ils ont été commis au nez et à la barbe de la police islamique dirigée par Al Hassan. Beaucoup de ces survivantes vivent aujourd’hui dans des situations dramatiques, car victimes d’abandon par leurs maris, de stigmatisation, marginalisation, de manque de revenus… Ce verdict va être un précédent très grave et encouragera certainement la commission de crimes sexuels au Mali et ailleurs », a déclaré un membre d’une organisation locale de victimes.

Le verdict dans l’affaire Al Hassan intervient alors que le conflit et les violations des droits humains et du droit international pénal par les groupes armés, les milices et les forces armées s’intensifient au Mali. L’espace démocratique y est également restreint par les autorités maliennes. Les exactions commises par toutes les parties du conflit pourraient faire l’objet de nouvelles enquêtes du Bureau du Procureur de la CPI, si l’État malien continuait de faillir à remplir son obligation d’enquêter et poursuivre ces crimes. Dans ce contexte, la FIDH salue le mandat d’arrêt rendu public par le Bureau du Procureur de la CPI le 21 juin 2024 contre Iyad Ag Ghaly pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans le nord du Mali entre janvier 2012 et janvier 2013. La FIDH appelle le Procureur de la CPI à continuer ses enquêtes et poursuites des auteurs d’autres crimes graves commis au Mali, en particulier ceux perpétrés dans le centre du pays, depuis 2016.

Contexte

En janvier 2012, le Mali a fait face à une insurrection armée touarègue dans le nord du pays. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a lancé une offensive très vite rejointe par des groupes islamistes présents dans la bande du Sahel (Ansar Dine, Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), Mouvement pour l’Unicité du Djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), Boko Haram). Les combats sont menés en violation flagrante des droits humains et du droit international humanitaire. Les principales villes du nord du Mali, notamment Kidal, Gao, Tombouctou, tombent dans les mains des groupes armés en début d’avril 2012 jusqu’en janvier 2013, date de l’intervention des troupes franco-maliennes.

En juillet 2012, de nombreuses informations judiciaires ont été ouvertes au Tribunal de première instance de la Commune 3 de Bamako. En mars 2015, à l’issue de nombreuses enquêtes dont une mission menée du 23 février au 2 mars 2015 à Tombouctou, la FIDH, six organisations maliennes de défense des droits humains et 33 victimes, ont déposé plainte, devant le tribunal de grande instance de la Commune III de Bamako, contre 15 auteurs présumés de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans la région de Tombouctou, dont Al Hassan et Iyad Ag Ghaly, chef du groupe extrémiste Ansar Dine. Le mandat d’arrêt à l’encontre de ce dernier pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis au nord du Mali entre janvier 2012 et janvier 2013, a été rendu public par la CPI le 21 juin 2024. Plusieurs dizaines de femmes victimes de violences sexuelles, en particulier des viols et de l’esclavage sexuel, ont témoigné contre lui. Le 12 novembre 2013, une première plainte avec constitution de partie civile pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre a été déposée par nos organisations auprès du doyen des juges d’instruction du Tribunal de première instance de la Commune III de Bamako, au nom de 80 femmes et filles victimes de viols et d’autres formes de violences sexuelles commis lors de l’occupation du Nord Mali par les groupes armés, en 2012 et 2013.

Le Mali, ayant ratifié le Statut de Rome le 16 août 2000, a déféré sa situation à la CPI le 13 juillet 2012 à l’effet que des enquêtes soient menées sur ces violations graves des droits humains. Le 16 janvier 2013, le Bureau du Procureur de la CPI a formellement ouvert une enquête sur les crimes allégués relevant de la compétence de la CPI commis au Mali. Le 13 février 2013, le gouvernement malien et la CPI ont conclu un accord de coopération en application du Chapitre IX du Statut de la CPI. La Chambre préliminaire a délivré le premier mandat d’arrêt dans la situation au Mali, sous scellés, à l’encontre de M. Al Mahdi le 18 septembre 2015. Une semaine plus tard, Al Mahdi, alors détenu par les autorités nigériennes, a été transféré à la CPI. Il sera jugé et reconnu coupable en tant que coauteur, du crime de guerre consistant à avoir dirigé intentionnellement des attaques contre des bâtiments à caractère religieux et historique sis à Tombouctou en juin et juillet 2012. Al Mahdi fut ensuite condamné à neuf ans d’emprisonnement en 2016.

Le 27 mars 2018, la CPI a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud. Al Hassan a été transféré à la CPI le 31 mars 2018 par les autorités nigériennes. Le 30 septembre 2019, la Chambre préliminaire I de la CPI a rendu une décision confirmant les charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité portées à l’encontre de M. Al Hassan, ensuite modifiées le 23 avril 2020. L’ouverture du procès a eu lieu le 14 juillet 2020 devant la Chambre de première instance X Une cinquantaine de personnes ont témoigné contre Al Hassan.

Initialement annoncé pour le 18 janvier 2024, le verdict a été reporté au 26 juin 2024, en raison de l’état de santé du juge présidant.

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Recapiti
Maxime Duriez