Le vampire, cette créature condamnée à s’abreuver du sang des vivants pour perpétuer une existence de damné a, de tout temps, entretenu une relation particulière avec la littérature. En effet, celle-ci dès ses débuts s’est emparé de cette figure mythique. Voici donc nos recommandations, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs livres de vampires. Une sélection qui permet d’explorer l’extraordinaire diversité de leur représentations dans les livres.
Le Vampyre de John Polidori (1819)
Tout commence à l’été 1816, dans la villa Diodati. Une demeure louée sur les bords du lac Léman par le fameux poète Lord Byron, pour y recevoir ses invités.
Alors qu’une météo exécrable oblige le groupe à rester enfermé, Lord Byron propose à chacun d’écrire une histoire fantastique. Il y a là Mary Shelley, qui débute l’écriture de ce qui va devenir Frankenstein et John William Polidori, qui invente la figure moderne du vampire : Lord Ruthven, un personnage mystérieux, séduisant et maléfique, dont il se serait inspiré de Byron lui-même. Finalement, le texte sera publié sous forme de nouvelle en 1819 dans le The New Monthly Magazine.
La morte amoureuse de Théophile Gautier (1836)
Dans cette nouvelle fantastique de Théophile Gautier, le vieux Romuald raconte les faits étranges qui lui sont arrivés, alors qu’il n’était qu’un jeune homme souhaitant vouer sa vie à la prêtrise : « […] j’étais plein de joie et d’impatience. Je n’en dormais pas, je rêvais que je disais la messe ; être prêtre, je ne voyais rien de plus beau au monde. »
C’est là qu’il fait une rencontre qui va bouleverser sa vie, celle de Clarimonde : « J’éprouvai la sensation d’un aveugle qui recouvrerait subitement la vue. L’évêque, si rayonnant tout à l’heure, s’éteignit tout à coup, les cierges pâlirent sur leurs chandeliers d’or comme les étoiles au matin, et il se fit par toute l’église une complète obscurité. La charmante créature se détachait sur ce fond d’ombre comme une révélation angélique ; elle semblait éclairée d’elle-même et donner le jour plutôt que le recevoir. »
Un modèle du vampire femelle
Il est bien loin de se douter qu’il a affaire à une courtisane dotée de pouvoirs surnaturels : « Si tu veux être à moi, je te ferai plus heureux que Dieu lui-même dans son paradis ; les anges te jalouseront. Déchire ce funèbre linceul où tu vas t’envelopper ; je suis la beauté, je suis la jeunesse, je suis la vie ; viens à moi, nous serons l’amour. Que pourrait t’offrir Jéhovah pour compensation ? Notre existence coulera comme un rêve et ne sera qu’un baiser éternel. […] Je t’emmènerai vers les îles inconnues ; tu dormiras sur mon sein, dans un lit d’or massif et sous un pavillon d’argent ; car je t’aime et je veux te prendre à ton Dieu. »
La Famille du Vourdalak de Alexeï Tolstoï (1840 ?)
Alexeï Tolstoï, cousin éloigné de Léon Tolstoï, écrivit cette nouvelle vampirique au destin mouvementé en français, mais elle ne fut traduite en russe et publiée qu’en 1884 et à titre posthume. Elle nous conte l’histoire d’un diplomate qui, lors d’un voyage en Europe de l’Est, passe la nuit dans une auberge. Notre héros est l’hôte d’une famille rongée d’angoisse, qui attend avec impatience le retour du père, Gorcha. En effet, ce dernier a prévenu : s’il n’est toujours pas là au bout de dix jours, il faut le considérer comme mort et ne surtout pas le laisser entrer dans la maison, car il sera alors devenu un vourdalak : « Nous en étions là quand j’entendis l’horloge du couvent sonner lentement huit heures. À peine le premier coup avait-il retenti à nos oreilles que nous vîmes une forme humaine se détacher du bois et s’avancer vers nous. »
La Dame pâle d’Alexandre Dumas (1849)
Eh oui ! Alexandre Dumas a également succombé au mythe du vampire.
Tous les ingrédients de la nouvelle vampirique sont là : des paysages nappés de brume, un sombre château des Carpathes, une belle héroïne fuyant le danger et deux frères mystérieux et menaçants : « Ma tête renversée me permettait de voir les beaux yeux de Grégoriska fixés sur les miens. Kostaki s’en aperçut, me releva la tête, et je ne vis plus que son regard sombre qui me dévorait. Je baissai mes paupières, mais ce fut inutilement; à travers leur voile, je continuais à voir ce regard lancinant qui pénétrait jusqu’au fond de ma poitrine et me perçait le cœur. »
La Vampire de Paul Féval (1865)
Nous sommes à Paris en 1804 et la disparition d’une centaine de jeunes hommes fortunés, ne peut s’expliquer que par la présence en ville d’une vampire : «La vampire existait, voilà le point de départ et la chose certaine : que ce fût un monstre fantastique comme certains le croyaient fermement, ou une audacieuse bande de malfaiteurs réunis sous cette raison sociale, comme les gens plus éclairés le pensaient, la vampire existait.»
Paul Féval (1816-1887) a écrit plus de 70 romans populaires édités en feuilleton. Il eut un énorme succès à son époque, au même niveau qu’Honoré de Balzac et Alexandre Dumas.
Carmilla de Sheridan Le Fanu (1872)
Écrit dans la plus pure tradition du roman gothique, ce roman de Sheridan Le Fanu devenu depuis un classique du genre, relate les relations ambiguës qu’entretiennent la brune, énigmatique, dangereuse et sulfureuse Carmilla et la blonde, innocente, naïve et prude Laura.
De plus, l’auteur prend le risque, dans une époque et une société victorienne extrêmement puritaine, de suggérer une relation homosexuelle entre les deux femmes. Avec, bien sûr, un érotisme tout en retenue, sous-entendu et raffinement.
Un petit extrait
« Elle avait coutume de me passer ses beaux bras autour du cou, de m’attirer vers elle, et, posant sa joue contre la mienne, de murmurer à mon oreille : « Ma chérie, ton petit cœur est blessé. Ne me juge pas cruelle parce que j’obéis à l’irrésistible loi qui fait ma force et ma faiblesse. Si ton cœur adorable est blessé, mon cœur farouche saigne en même temps que lui. Dans le ravissement de mon humiliation sans bornes, je vis de ta vie ardente, et tu mourras, oui, tu mourras avec délices, pour te fondre en la mienne. Donc, pour quelque temps encore, ne cherche pas à en savoir davantage sur moi et les miens, mais accorde-moi ta confiance de toute ton âme aimante. » Après avoir prononcé cette rapsodie, elle resserrait son étreinte frémissante, et ses lèvres me brûlaient doucement les joues par de tendres baisers. »
Dracula de Bram Stoker (1897)
Qualifié par Oscar Wilde de « plus beau roman du siècle », ce récit gothique est un pur chef-d’œuvre. En même temps qu’un classique de la littérature fantastique.
Bram Stoker s’inspire d’un personnage historique réel : Vlad III Basarb. Un prince valaque du XVe siècle devenu célèbre sous le nom de Vlad l’Empaleur. En raison de sa pratique de l’empalement comme méthode de torture et d’exécution favorite. De plus, il utilise l’un des surnoms de Vlad, Drăculea, qui signifie fils du dragon en roumain médiéval. Le roman commence par le journal de Jonathan Harker, jeune clerc de notaire envoyé en Transylvanie afin d’y rencontrer, dans son mystérieux château des Carpathes, le comte Dracula, qui souhaite faire l’acquisition d’un domaine à Londres. Très vite, le jeune homme se méfie de l’inquiétant personnage et se rend compte qu’il est prisonnier de son hôte.
Extrait 1
« Son visage donnait une impression de force, avec son nez fin, mais aquilin, des narines particulièrement larges, un front haut et bombé, des cheveux qui se clairsemaient aux tempes, mais, ailleurs, épais et abondants. Les sourcils, massifs, se rejoignaient presque à l’arête du nez et paraissaient boucler tant ils étaient denses. La bouche, pour autant que je pusse l’entrevoir, sous l’épaisse moustache, présentait quelque chose de cruel, sans doute en raison des dents éclatantes et particulièrement pointues. Elles avançaient au-dessus des lèvres elles-mêmes dont le rouge vif soulignait une vitalité étonnante chez un homme de cet âge. Les oreilles étaient pâles et se terminaient en pointes. Le menton paraissait large et dur et les joues, malgré leur maigreur, donnaient toujours une impression d’énergie. »
Extrait 2
« L’impression générale était celle d’une extraordinaire pâleur. J’avais déjà remarqué le revers de ses mains qu’il avait posées sur ses genoux et, dans la lueur des flammes, elles m’avaient paru longues et fines. Pourtant, à présent que je les voyais de près, je les découvrais grossières, larges, doigts épais. Étrange constatation, aussi, je remarquais des poils au milieu des paumes. Les ongles étaient longs et fins, presque trop pointus. Un moment donné, le comte se pencha vers moi et ses mains me frôlèrent. Je ne pus retenir un frisson. Peut-être devais-je en imputer la cause à son haleine fétide, mais une terrible nausée s’empara de moi, que je ne pus cacher. Le comte s’aperçut de mon dégoût, car il recula. Avec un sourire effrayant, qui découvrit davantage ses dents proéminentes, il retourna s’asseoir à côté de la cheminée. »
Je suis une légende de Richard Matheson (1954)
Robert Neville est le dernier homme sur terre à ne pas avoir été contaminé par un virus. Ce dernier a transformé l’humanité en un mélange de vampires et de zombies.
La nuit il se cache, barricadé dans sa maison régulièrement assiégée par des hordes de vampires. Et le jour il les traque, car ces derniers ne supportent pas la lumière.
Il tente également de trouver un remède à cette pandémie. Et finit par se rendre compte que toutes ces personnes qu’il considère comme des monstres ne sont peut-être que des victimes.
Voir les monstres en nous !
Ainsi, en grand maître de la SF qu’il est, Richard Matheson pose la question du monstre qui s’ignore : « Examinez bien vos consciences, mes petits cœurs, et dites-moi si le vampire est tellement épouvantable. Tout ce qu’il fait, c’est boire du sang. Pourquoi, dès lors, ce préjugé injuste et absurde à son égard ? Pourquoi le vampire ne peut-il vivre là où il a envie ? Pourquoi l’obliger à se terrer ? Pourquoi chercher à le détruire ? Vous avez fait de cet innocent un animal traqué, sans moyen de subsistance ni possibilité d’instruction. Il n’a même pas le droit de vote. Pas étonnant qu’il doive mener l’existence d’un prédateur nocturne. »