Exiger des comptes pour les discours de haine russes : Q&A sur la communication de l'article 15 de la FIDH à la CPI

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On 6 June 2024, the International Federation for Human Rights (FIDH), jointly with its Ukrainian member organizations, the Kharkiv Human Rights Protection Group (KHPG) and the Center for Civil Liberties (CCL), as well as a Russian NGO, submitted an Article 15 Communication to the Office of the Prosecutor of the International Criminal Court (ICC) alleging that six Russian nationals committed the crime against humanity of persecution in the form of hate speech in Ukraine. To accompany the Communication, FIDH and its partners are publishing this Q&A addressing the reasons behind the submission, its main findings, and our main requests.

Le 6 juin 2024 la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), en collaboration avec ses organisations membres ukrainiennes, le Kharkiv Human Rights Protection Group (KHPG) et le Center for Civil Liberties (CCL), ainsi qu’une ONG russe, a soumis une communication au titre de l’article 15 au Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) alléguant que six ressortissant⋅es russes ont commis le crime contre l’humanité de persécution sous forme de discours de haine en Ukraine. Pour accompagner cette communication, la FIDH et ses partenaires publient cette FAQ abordant les raisons de cette requête, ses principales conclusions et ses principales demandes.

1 - Qu’est-ce qu’une communication au titre de l’article 15 à la CPI et quels sont vos objectifs ?
2 - Quels types de crimes supposément commis en Ukraine sont-ils au centre de cette communication ?
3 - Existe-t-il des occurrences antérieures d’individus ayant été poursuivis par un tribunal international pour des infractions de discours telles que les discours de haine ?
4 - Qui sont les principaux auteur.es présumé⋅es ? Comment les avez-vous sélectionnés ?
5 - Qui sont les victimes de persécution ?
6 - Pourquoi les crimes documentés constituent-ils des crimes contre l’humanité ?
7 - Quel rôle joue le discours de haine dans le conflit armé en cours ?
8 - Pourquoi ce crime est-il différent de l’incitation au génocide ?
9 - Pourquoi la CPI a-t-elle compétence pour examiner les crimes dénoncés par la communication ?
10 - Quelle est la prochaine étape pour le procureur de la CPI après cette soumission ?
11 - Qui sont les parties requérantes de cette communication au titre de l’article 15 ?

1 - Qu’est-ce qu’une communication au titre de l’article 15 à la CPI et quels sont vos objectifs ?

Une communication de l’article 15 est une demande formelle au Procureur de la CPI fournissant des informations sur des crimes présumés relevant de la compétence de la Cour. En vertu de l’article 15 du Statut de Rome, ces communications peuvent inciter le ou la Procureur⋅e à ouvrir des enquêtes si, sur la base des preuves fournies par la communication, il ou elle conclut qu’il existe une base raisonnable pour poursuivre. Ce mécanisme permet aux organisations non gouvernementales, aux États et à d’autres entités de mettre en lumière des crimes graves, tels que ceux survenant dans le contexte de la guerre en Ukraine, qui n’ont potentiellement pas été au centre de l’attention du Procureur de la CPI auparavant.

Étant donné qu’une enquête sur la situation en Ukraine a déjà été ouverte, avec quatre mandats d’arrêt délivrés contre des auteurs russes, l’objectif de cette communication de l’article 15 est de sensibiliser sur le rôle de la rhétorique dans la guerre en Ukraine, en soulignant que les discours de haine participent du crime contre l’humanité de persécution au sens du Statut de Rome, et que les individus identifiés dans la communication devraient être poursuivis et tenus responsables pour de tels actes.

Quels types de crimes supposément commis en Ukraine sont-ils au centre de cette communication ?

Cette communication se concentre sur les discours de haine en tant que type de crime contre l’humanité, à savoir la persécution, en vertu de l’article 7(1)(h) du Statut de Rome. Tout comme l’incitation au génocide, les discours de haine constituent un crime international relevant de la compétence de la CPI.

La persécution est définie comme la privation intentionnelle et grave des droits fondamentaux de tout groupe ou collectivité identifiable sur des bases politiques, raciales, nationales, ethniques, culturelles, religieuses, sexuelles ou autres universellement reconnues comme inadmissibles en droit international, et doit être commise en relation avec tout acte visé à cet alinéa ou tout crime relevant de la compétence de la CPI.

Cette communication montre comment les discours de haine diffusés à la télévision russe, à la radio et sur les plateformes de médias sociaux appellent à la violence contre les Ukrainien⋅nes, les dénigrent et les déshumanisent gravement, violant leurs droits à la sécurité, à la dignité humaine et à l’autodétermination. Cela inclut l’appel à la destruction de l’Ukraine ou à la mort des Ukrainiens opposés à l’agression russe, les comparaisons des Ukrainiens avec des "vers", des "nazis", des "démons" ou des "satanistes", le déni d’une identité ukrainienne distincte et du droit de l’Ukraine à exister en tant qu’État souverain, la présentation des Ukrainien⋅nes comme "conditionnés" par "l’Occident" à opter pour une plus grande séparation de la Russie, ou affirmant que "l’idéologie d’État ukrainienne est la haine de tout ce qui est russe" ; et la promotion de théories du complot, notamment que les Ukrainien⋅nes ont réprimé et même commis un génocide contre les Russes et les russophones dans l’est de l’Ukraine.

Il est important de noter que les discours de haine constituent un crime inchoatif, ce qui signifie que l’acte de discours, en lui-même, constitue une violation des droits humains fondamentaux. Aucun lien de causalité entre l’acte de discours et tout autre crime ultérieur ou tout autre acte de violence, y compris les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité commis contre les civil⋅es ukrainien⋅nes sur le terrain, ne doit nécessairement être prouvé.

3 - Existe-t-il des occurrences antérieures d’individus ayant été poursuivis par un tribunal international pour des infractions de discours telles que les discours de haine ?

Oui, des individus ont effectivement été condamnés auparavant par des tribunaux internationaux pour des discours de haine. L’origine de ces poursuites remonte aux procès de Nuremberg, où Julius Streicher a été condamné pour la diffusion de propagande antisémite, qui aurait “infecté l’esprit allemand”.

Des tribunaux internationaux ultérieurs ont également traité des cas de crimes de discours. Notamment, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a jugé trois figures des médias, Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, coupables de persécution en tant que crime contre l’humanité. La Cour a déclaré que, de manière similaire aux articles antisémites de Streicher, comme un "poison", les "écrits virulents de Kangura et les émissions incendiaires de RTLM" ont créé un "climat de préjudice" et conditionné la population à davantage de violence. Dans un exemple plus récent, le Mécanisme de résidus internationaux pour les tribunaux pénaux, en tant que successeur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), a condamné le politicien serbe Vojislav Šešelj pour avoir appelé publiquement à l’expulsion des Croates de la ville de Hrtkovci, qualifiant son discours de persécution. De plus, les discours de haine ont été largement interdits dans les juridictions nationales, avec plus de 100 États interdisant les discours de haine, d’une manière ou d’une autre, dans leur législation pénale, y compris la Russie elle-même.

Dans l’ensemble, la jurisprudence des tribunaux internationaux montre que les discours de haine atteignant un niveau de gravité suffisant peuvent constituer le crime contre l’humanité de persécution, et qu’il existe une base juridique pour la poursuite des discours de haine en tant que crime contre l’humanité en vertu de l’article 7(1)(h) du Statut de Rome.

4 - Qui sont les principaux auteur⋅es présumé⋅es ? Comment les avez-vous sélectionnés ?

La communication identifie six ressortissant⋅es russes ayant participé à une campagne haineuse contre les civil⋅es ukrainien⋅nes, encourageant et facilitant les crimes de guerre de la Russie et d’autres atrocités, incluant :

 L’ancien président et actuel vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dmitry Medvedev,
 Vladimir Solovyov, animateur d’une émission de télévision populaire sur la chaîne de télévision d’État russe Rossiya-1,
 Margarita Simonyan, rédactrice en chef de Russia Today,
 Dmitry Kiselyov, chef du groupe de médias d’État Rossiya Segodnya,
 Sergey Mardan, animateur de radio et de télévision.

De plus, cette soumission expose la responsabilité du premier adjoint au chef de l’état-major de l’administration présidentielle de la Fédération de Russie, Alexey Gromov, pour la rédaction et la diffusion de directives écrites et orales établissant les principaux récits de propagande à diffuser par les principaux médias russes, ainsi que l’organisation de réunions hebdomadaires avec leurs représentants, démontrant ainsi son contrôle sur les discours de haine diffusés par les médias russes.

Conformément à la stratégie de poursuite adoptée par le Bureau du Procureur de la CPI pour concentrer ses efforts sur les auteur⋅es les plus responsables des crimes internationaux, cette sélection d’individus est basée sur leurs positions de leadership en tant qu’officiel⋅les de l’État russe ou représentant⋅es des médias d’État, leurs rôles éminents en tant qu’animateur⋅trices ou présentateur⋅trices de télévision/radio identifiables, les désignant comme les principaux⋅les propagandistes, à un moment où les médias et le journalisme indépendants sont interdits, réduits au silence et persécutés en Russie. La sélection s’appuie également sur la large diffusion de leurs déclarations, potentiellement accessibles à des millions de téléspectateur⋅trices, d’auditeur⋅trices et de lecteur⋅trices en Russie et au-delà, y compris dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie, ainsi que la gravité, la quantité et la fréquence des déclarations dénigrant les Ukrainien⋅nes par ces individus.

5 - Qui sont les victimes de persécution ?

Les déclarations des auteur⋅es présumé⋅es et les circonstances environnantes révèlent que les victimes sont ciblées pour des motifs nationaux et politiques. Il s’agit de ressortissant⋅es ukrainien⋅nes, ou d’autres individus s’identifiant comme faisant partie de la nation ukrainienne, qui soutiennent la position de leur gouvernement sur le maintien de l’indépendance et de la souveraineté ukrainiennes, et qui restent sous l’emprise de la propagande russe, en particulier dans les territoires occupés de l’Ukraine. Ils défendent leur identité nationale distincte et leur droit à l’autodétermination, y compris le droit de poursuivre un modèle de gouvernance démocratique, et s’opposent à l’invasion russe et aux autres actions des autorités russes. C’est pourquoi ils sont ciblés par les propagandistes russes.

6 - Pourquoi les crimes documentés constituent-ils des crimes contre l’humanité ?

Pour constituer un crime contre l’humanité en vertu de l’article 7 du Statut de Rome, les discours de haine, en tant que crime sous-jacent de persécution, doivent être commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.

Tous les actes de discours décrits dans la communication ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre la population civile de l’Ukraine, qui se poursuit à ce jour, y compris l’emprisonnement illégal, le meurtre, la torture, la déportation et le transfert illégal de civil⋅es, ainsi que le viol et d’autres formes de violence sexuelle et sexospécifique contre la population civile de l’Ukraine.

Comme décrit ci-dessus, les actes de discours documentés constituent une persécution car ils incitent à la violence discriminatoire et à la haine des Ukrainien⋅nes en raison de leur appartenance à un groupe national et/ou politique. Compte tenu du contexte de ces actes de discours, de leur intensité, de leur répétitivité et de leur portée, ces actes de discours équivalent à une grave privation des droits fondamentaux à la sécurité, à la dignité humaine et à l’identité du groupe protégé. De plus, ils ont été commis intentionnellement en sachant que la rhétorique faisait partie intégrante d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, répondant ainsi aux critères de persécution énoncés à l’article 7(1)(h).

7 - Quel rôle joue le discours de haine dans le conflit armé en cours ?

Le discours de haine est crucial au sein de ce conflit par la déshumanisation des Ukrainien⋅nes et la justification de la violence à leur encontre, facilitant les actes de violence auxquels ils et elles sont soumi⋅ses. Les médias russes utilisent de nombreuses techniques pour dépeindre les Ukrainien⋅nes comme des ennemi⋅es, créant un environnement hostile qui encourage et légitime les abus. Par exemple, les soldats russes ont qualifié les Ukrainien⋅nes de "nazis" lors d’actes de torture et de meurtres, y compris dans les territoires de l’Ukraine qu’ils ont occupés, illustrant comment le discours de haine encourage, facilite et perpétue la violence et la persécution. Mettre en lumière cette corrélation est crucial pour reconnaître le discours de haine comme un crime international.

8 - Pourquoi ce crime est-il différent de l’incitation au génocide ?

Tant l’incitation directe et publique au génocide que le discours de haine en tant que crime contre l’humanité de persécution sont des crimes internationaux relevant de la compétence de la CPI. Cependant, le discours de haine en tant que crime contre l’humanité de persécution implique une privation grave de droits et une intention discriminatoire, tandis que l’incitation au génocide doit inclure un appel public à détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. La persécution doit faire partie d’une attaque généralisée ou systématique contre des civil⋅es en raison de leur identité, et être commise en lien avec un autre crime relevant de la compétence de la CPI, ce qui la distingue de l’appel direct au génocide. Cette communication souligne la nécessité d’une reconnaissance internationale du discours de haine en tant que crime sérieux en soi.

9 - Pourquoi la CPI a-t-elle compétence pour examiner les crimes dénoncés par la communication ?

L’Ukraine n’a pas ratifié le Statut de Rome de la CPI et n’est donc pas partie à la CPI. Cependant, le 17 avril 2014, les autorités ukrainiennes ont déposé une déclaration auprès du registraire de la CPI, reconnaissant sa compétence aux fins d’identification, de poursuite et de jugement des auteur⋅es et complices des actes commis en Ukraine entre le 21 novembre 2013 et le 22 février 2014. Le 8 septembre 2015, le ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine a soumis une deuxième déclaration au registraire de la CPI, acceptant "la compétence de la Cour aux fins d’identification, de poursuite et de jugement des auteurs et complices des actes commis sur le territoire de l’Ukraine depuis le 20 février 2014".

Ces deux déclarations confèrent à la CPI la compétence pour les crimes énumérés à l’article 5 du Statut de la CPI commis par des ressortissants de tout État sur le territoire de l’Ukraine à partir du 21 novembre 2013.
Les crimes décrits dans la communication de l’article 15 constituent des crimes contre l’humanité tels que décrits à l’article 7(1)(h) du Statut de la CPI. Ils sont commis "sur le territoire" de l’Ukraine parce que le discours émanant de la Russie est diffusé dans les territoires ukrainiens tant occupés par l’armée russe que ceux inoccupés.

10 - What is the next step for the ICC Prosecutor following this submission ?

Suite au dépôt de la demande, le procureur de la CPI évaluera la communication pour déterminer s’il existe suffisamment de preuves pour compléter ou entreprendre sa propre enquête sur le crime en question. Les parties requérantes estiment que la communication fournit des preuves solides pour conclure qu’il existe une base raisonnable pour croire que le crime contre

Recapiti
Maxime Duriez