Öykü Aytaçoğlu et Jingjie Dai, sociologues
Par rapport à leurs pays d’origine, la Turquie et le Maroc apparaissent pour de nombreuses personnes migrantes queers comme une oasis à traverser. Mais ce sont aussi des espaces de surveillance, d’enfermement et de violence.
Si les mobilités Sud-Nord restent au centre de l’attention des études sur les migrations queers, elles ne constituent pas les seules mobilités de ces personnes, comme en témoignent nos recherches qui se penchent sur les expériences des personnes migrantes queers en Turquie et au Maroc.
3,6 millions de réfugié.es sont accueillis par la Turquie, ce qui en fait le premier pays d’accueil au monde (UNHCR 2022). Sa position géopolitique, comme porte d’entrée vers l’Europe, en fait un point de convergence des diverses routes migratoires, y compris celles suivies par des personnes queers. Le Maroc occupe aussi une position géographique stratégique dans les migrations internationales, et un nombre considérable de personnes étrangères y restent pour les études, le travail et le commerce. Beaucoup viennent d’Afrique occidentale et centrale et des pays arabes.
Pour les migrations queers, la Turquie apparaît comme un lieu prometteur en raison de l’absence de loi criminalisant les rapports sexuels entre personnes de même sexe, ainsi que du sentiment de sécurité, d’anonymat et de liberté qu’elle procure. Au Maroc, une telle loi de criminalisation existe mais elle est aujourd’hui rarement appliquée. En Turquie tout comme au Maroc, les expressions et les pratiques queers persistent et sont tolérées à un certain degré, en particulier si elles se restreignent à la sphère privée. Toutefois, même ces « libertés », à titre limité et non officiel, ne sont pas accessibles à tout le monde et à tout moment.
« Les circonstances socio-politiques peuvent rapidement basculer vers la marginalisation, la stigmatisation, la violence, voire la criminalisation des personnes queers, y compris les migrant.es. »
Les circonstances socio-politiques peuvent rapidement basculer vers la marginalisation, la stigmatisation, la violence, voire la criminalisation des personnes queers, y compris les migrant.es. D’autres problèmes, tels que la xénophobie, le racisme et les difficultés socio-économiques, peuvent accentuer leur vulnérabilité.
C’est pourquoi ces pays sont surtout considérés comme des lieux de transit par les personnes queers des pays du Sud qui souhaitent se rendre dans des pays du Nord. Cependant, du fait des accords migratoires avec l’Union européenne et des voies de migrations régulières insuffisantes, y compris la réinstallation des réfugié.es, leurs séjours dépassent souvent le caractère de transit. La Turquie et le Maroc, qui semblent représenter un refuge temporaire par rapport à leurs pays d’origine, peuvent devenir une impasse dans des contextes de surveillance et même de violence socio-juridique encadrant la vie quotidienne, et entraînant un enfermement à l’intérieur des frontières politiques, ainsi que dans les villes, les quartiers, et chez soi.